En avril 2013, est apparu un nouveau service de promotion pour les livres numériques, sur la toile, évidemment : MyKindex. « C'est un outil destiné à aider les auteurs à obtenir plus de visibilité sur Amazon », nous explique Pascal Cerise, cofondateur. Et pour cause, grâce à un ingénieux système, tout ouvrage « propulsé », le terme employé pour parler de ce coup de pouce, entre immédiatement dans le top 20 des ventes Kindle.
Le 26/07/2013 à 13:47 par Nicolas Gary
Publié le :
26/07/2013 à 13:47
Page d'accueil de MyKindex
Le principe est très simple : avant sa création, MyKindex a constitué une première communauté de lecteurs, une forme de club. Les auteurs indépendants qui souhaitent ‘propulser' leur livre en bénéficient alors simplement. « Nous avions proposé une première offre de 49 € HT, représentant nos frais de fonctionnement et permettant l'achat de clics. Un lecteur du livre représentait un achat de livre. Puis nous avons transformé l'offre. Désormais, l'auteur s'inscrit, accède à un back-office et paye 149 € HT (soit 178 € TTC), via Paypal. Nous vérifions différentes données concernant le livre, et si tout est correct, nous lançons l'opération. »
Vérifier, cela ne signifie pas lire le livre : le service contrôle la qualité de la couverture, s'assure des commentaires déjà postés sur l'ouvrage - mais uniquement les commentaires formels. Un ebook qui se ferait incendier pour des problèmes de mise en page, d'orthographe et autre, serait alors refusé - et l'auteur remboursé. « Propulser un livre avec des fautes d'orthographe serait une erreur : l'ouvrage se ferait dégommer rapidement. »
Propulsion enclenchée
Qu'en est-il alors de cette promotion ? Elle joue sur une faille du système Amazon, en réalité. Chaque matin, entre 9h et 10h, le ou les titres mis en avant sont soumis aux lecteurs du club. « Ils nous signalent les ouvrages qu'ils souhaitent lire, les achètent sur Amazon, et quelques heures plus tard, quand les données sont mises à jour, les ebooks sont entrés dans le top 20. » C'est bien un jeu sur le fonctionnement du classement qui est mis en place : la société ne vend rien d'autre, et surtout pas des commentaires favorables pour les livres.
De fait, durant la propulsion, ce sont « plusieurs centaines de lecteurs », constituant le club, qui vont pouvoir acheter les livres proposés, générant « entre 70 et 100 ventes en moyenne ». Juste assez pour que le classement du top 20 Amazon soit modifié donc. Et, petite carotte pour les lecteurs, leur achat sur Amazon, après présentation d'un justificatif d'achat, leur est remboursé, avec un cadeau au bout : ils perçoivent 20 % du prix de vente du livre en prime.
Attention toutefois : pour s'assurer de faire un maximum de ventes, le livre numérique doit être commercialisé à 99 cents maximum, nous précise l'entreprise. De même, le club de lecture ne présente aucune caractéristique particulière : l'ouvrage est proposé, chacun en fait ce qu'il veut.
Dans la jungle de la forêt amazonienne
« Nous respectons scrupuleusement les conditions générales de ventes d'Amazon, surtout en ce qui concerne les commentaires. Et nous sommes surtout complètement indépendants de cette société », insiste Pascal Cerise. Et lui-même se défend de « fausser le classement : si le livre n'est pas apprécié, après sa propulsion, alors il redescendra dans le top ».
En fait, MyKindex propose de gagner du temps, moyennant finances : « Développer une communauté, un réseau de lecteurs, accroître sa visibilité, assurer sa promotion, sont autant d'activités chronophages. Ici, l'auteur profite d'une forte audience, rapidement. » Et le système fonctionne plutôt bien, puisque l'on découvre assez vite les titres propulsés du matin dans ce fameux Top 20. D'ailleurs, MyKindex envisage de développer son service.
Des livres à 99 cents bien propulsés ?
« Nous avons commencé avec les livres numériques sur Amazon, mais nous avons également fait une expérimentation avec un DVD, qui a été concluante. La prochaine étape, ce seront les autres plateformes de vente de livres numériques, mais également de livres papier », détaille Pascal Cerise.
Résultats éloquents
À ce jour, MyKindex a ainsi ‘propulsé 150 ouvrages, avec un total de ventes avoisinant les 10.000 exemplaires, depuis 90 jours que le service existe. « Nous garantissons aux auteurs un remboursement si le livre n'entre pas dans le classement. »
Mais cela n'est jamais arrivé encore. D'ailleurs, les auteurs indépendants ne sont pas les seuls à en avoir profité : un titre des éditions Hélène Jacob (aucun lien avec Odile Jacob) a également profité de cette méthode, L'homme qui voulait rester dans son coin. « Le livre est resté dans le Top 10 durant 60 jours, et a vendu 4000 exemplaires. Les petites maisons d'édition peuvent devenir nos clients, bien entendu, de même que nous travaillons déjà avec des éditeurs numériques. » Sauf que l'on entre là dans les secrets industriels, et qu'aucun nom ne sera donné.
Aujourd'hui, MyKindex n'est pas en recherche de nouveaux lecteurs, le club constitué peut se développer par le fait que les auteurs qui ont soumis un manuscrit peuvent mettre leur compte à jour pour devenir des lecteurs, et profiter donc des campagnes.
En revanche, la société chercherait volontiers à mettre en place des partenariats avec des blogueurs, cette fois, en vue d'obtenir des lecteurs qualifiés, mais également des chroniques, en plus des ventes. « C'est en effet le même type de système que le Masse critique de Babelio, mais nous recherchons avant tout des lecteurs qui ont envie, donc des personnes très ciblées. L'objectif n'est pas de s'ouvrir au plus grand nombre : ce que nous voulons, ce sont des partenariats intelligents. »
L'envers du décor : cours plus vite que les balles
Contactée par ActuaLitté, Amazon n'est pas particulièrement enthousiaste : étant donné le volume de ventes réalisées sur des titres très spécifiques, difficile de croire que la filiale française de la firme n'ait rien remarqué. «Amazon prend très au serieux toute tentative d'alteration de ses résultats, et s'efforce de maintenir l'intégrité des informations communiquées. » En outre, le top est rafraîchi régulièrement, juste àcette fin.
Néanmoins, il faut noter qu'à partir du mois de mai, une nouvelle fonctionnalité marketing est apparue chez Amazon : la newsletter signalant les offres éclairs. Difficile de ne pas établir un lien entre l'arrivée du service MyKindex et cette nouveauté du marchand...
Laconique, mais pas vraiment convaincu. Il semblerait d'ailleurs que cet outil puisse contraindre à des modifications dans la création du classement. C'est qu'il ne faut jamais perdre de vue que, chez Amazon, le client est au centre de toute la stratégie. Et autant, arroser de lettres d'informations, soigneusement réalisées, est acceptable, puisque cela vient du marchand lui-même. Autant, jouer sur une faille du classement, cela ne passe pas très bien.
Mettre le feu au classement du Kindle Fire ?
Il faut comprendre un simple fait : intervenir dans le classement, par cette méthode, revient à fausser les ventes, et donc la popularité réelle des ouvrages, fut-ce durant une courte période. D'ailleurs, s'il fallait résumer, un auteur achète des ventes de son livre pour obtenir les meilleures places possibles, le plus rapidement possible. « Si Amazon laisse faire cela trop longtemps, on peut très bien imaginer que le top 20 deviendra la propriété de plusieurs sociétés spécialisées dans cette offre », commente un éditeur papier, au fait des choses numériques. En somme, on n'accéderait plus au top qu'en payant.
Remember the time...
Décalons légèrement le sujet, pour évoquer la création de AppGratis, une application lancée sur iOS initialement, puis virée avant de trouver dans le PlayStore de Google, une seconde jeunesse. Son principe était simple : mettre en avant une application gratuite, chaque jour, et la proposer aux clients. Le nombre de téléchargements fait monter dans le classement ladite application, et voilà que cette dernière se retrouve à prendre les premières places. AppGratis fonctionnait d'ailleurs sur le même modèle : pour promouvoir son application gratuite, il fallait acheter cette visibilité.
Dans un entretien accordé au Figaro, Simon Dawlat, le fondateur, expliquait :
Ce qui est déballé aujourd'hui n'a jamais été caché. Notre modèle est simple: Google vend des mots-clés sponsorisés, nous vendons des téléchargements. .../...
Les annonceurs veulent être dans les meilleures positions, savent le nombre de téléchargements nécessaires et font des plans médias en achetant des installations. Comme l'algorithme d'Apple tient compte de la vitesse pendant une période courte, c'est une équation de niveau sixième. Ensuite, Apple condamne ça aujourd'hui, mais ce n'est pas vraiment notre problème. Avec ou sans le top de l'App Store, on génère des milliers de téléchargements grâce à notre communauté d'utilisateurs.
La solution proposée par MyKindex n'est pas réellement différente.
Manipulation de top, ou top de la manipulation
Dans le cas de MyKindex, on retrouve la même problématique : des auteurs indépendants veulent se faire connaître, et on leur vend un outil qui fonctionnera temporairement, et indépendamment de la qualité de leur livre.
Mais celui qui se retrouve floué, c'est le client final, qui, voyant le top 20, fera comme n'importe qui : il va acheter, sans savoir que le titre a profité d'une propulsion spécifique. Tromper le consommateur de cette manière, Amazon ne souhaite pas le dire officiellement, mais ce ne sont pas vraiment des méthodes que l'on apprécie.
Sauf qu'en attendant une réaction de la firme, qui semble tout aussi condamnable de son silence que le service apparaît comme spécieux, le manque de transparence est réellement problématique.
Si le service ne vend pas de commentaires, bien entendu, on se retrouve perplexe devant certains d'entre eux, retrouvés sur Amazon. On nous assure également que le remboursement du livre n'est pas conditionné par la publication d'un message sur Amazon, mais les résultats sont assez étonnants. Il semblerait qu'au moment de la propulsion, plusieurs commentaires positifs apparaissent, mais que ces derniers se raréfient avec le temps. Et sur la durée, que les lecteurs déçus n'hésitent pas à se manifester...
"le bon livre, pour le bon lecteur, sur le bon canal"
La société eDantès, spécialisée dans la diffusion numérique reconnaît que le système manque de garanties. « Nous travaillons à trouver le bon livre, pour le bon lecteur, sur le bon canal. Ce n'est manifestement pas la démarche de ce service. Que des services marketing se développent autour du livre numérique, c'est normal, et plutôt sain, les éditeurs ont besoin d'externaliser ce type de service. » Et de pointer que la quantité n'est pas la qualité : « Nous travaillons avec les libraires, pour que les tops reflètent les réelles envies de leurs clients. » En somme, ne pas oeuvrer pour des classements qui auraient quelque chose d'artificiel.
Jeff, ça te fait sourire ?
jurvetson, CC NBY 2.0
Du reste, la question d'une offre déployée vers les éditeurs plus institutionnels pose un problème. « Comment un opérateur marketing pourrait tenter d'imposer un prix de vente à un éditeur ? Il existe une loi sur le prix unique du livre numérique : c'est à l'éditeur que revient de décider s'il souhaite, ou non, modifier le prix de vente, en accord avec l'auteur », souligne une maison numérique.
L'autre point qui dérange, c'est cette idée d'opérateur unique : faire modifier un prix de vente dans un ebookstore est toujours anxiogène. Le temps de latence pour que la modification soit apportée nécessite souvent d'anticiper le lancement de son opération plusieurs jours auparavant. Certes, pour un auteur indépendant, ce n'est pas problématique, mais pour une maison d'édition, la chose devient plus complexe.
La qualité, la qualité, la qualité
Quant à la question qualitative, le réseau social Babelio, qui organise régulièrement des opérations où la lecture d'un ouvrage est proposée en l'échange d'une chronique, n'en démord pas. C'est la qualité du lecteur qui fait la réussite du livre, autrement dit : parvenir à cibler la personne qui sera la plus à même d'apprécier un ouvrage, pour lui proposer la lecture de ce livre. Offrir à quelqu'un qui lirait des biographies de Gandhi, un titre sur la Révolution française, ça ne fait pas sens. Pas plus qu'un manga à un amateur d'Heidegger - même si les deux ne sont pas incompatibles.
« Le problème est que l'on finit par tromper le lecteur final qui ferait confiance au top 20 d'Amazon », explique Babelio. Dans le cadre du service Masse critique, le réseau social souligne d'ailleurs que les opérations, si elles ciblent des lecteurs en mesure d'apprécier l'ouvrage qui leur est proposé, peuvent également générer des critiques négatives, même dans le cadre de campagnes payantes.
« Tenter d'obtenir des critiques de complaisances en mettant en place un club de lecture qui revient à une forme d'achat industriel des livres, avec cet appât du gain, c'est compliqué. » Et de rappeler qu'en matière d'algorithmes, les sociétés américaines sont souvent promptes à réagir. « On se souvient bien de l'effet que Google Panda a pu avoir sur les sites internet. Lorsque Google a découvert que des sites qui ne fonctionnaient que sur l'affiliation avaient décortiqué leur algorithme, Google a frappé fort, et tous ces sites se sont retrouvés en page 20 des résultats de recherche. »
Webmarketing, vous avez dit webmarketing ?
Ce qu'il sera plus intéressant de comprendre vient par la suite, dans le bouillonnement créatif même du projet MyKindex. À l'origine, donc, Sébastien et Pascal Cerise, sont les cofondateurs de ce club de lecture. Sébastien Cerise ne cache pas sur internet qu'il a travaillé pour un certain Christian Godefroy, personnalité du webmarketing - et surtout particulièrement controversée.
IvanWalsh.com, CC BY 2.0
Ce gourou du marketing, décédé le 27 novembre 2012, était présenté comme un des maîtres dans la formation en édition internet et copywriter. L'une de ses formations les plus connues s'intitule Kindle Bank System - monté en parallèle du Club positif, « un site de développement personnel libre et gratuit sur internet ». L'une des premières actions du KBS est de proposer des solutions pour « débuter dans l'édition, sans être écrivain ». Le projet est donc de parvenir à vendre, et non de constituer des communautés de lecteurs qui seraient en mesure de suivre un auteur.
Christian Godefroy était particulièrement enthousiaste à l'idée de la création et au lancement du Kindle, comme outil de vente de livres. Surfant sur les investissements réalisés par Amazon pour promouvoir la vente de contenus dématérialisés, ce dernier incitait en effet les auteurs à tenter leur chance, pour profiter de cette manne financière. (voir cette vidéo) Et bien entendu, c'est au travers de l'outil Kindle Direct Publishing qu'il incitait à vendre ses ouvrages - autrement dit, par le biais de l'autoédition. De quoi assurer des « revenus réguliers, croissants et sans faire grand-chose », mais à condition de connaître les secrets que Christian Godefroy entendait partager.
Nous attendons de pouvoir entrer en contact avec Sébastien Cerise, pour évoquer ces différents points, mais la proximité entre les deux hommes laissent planer un doute supplémentaire quant à la finalité du service MyKindex. Une dernière chose : la société est basée en Espagne, un point à savoir.
Mise à jour 16h50 :
Sébastien Cerise a assuré que Christian Godefroy n'était pour rien dans le projet MyKindex, et qu'il avait simplement travaillé avec lui durant huit années.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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