Voilà quelques semaines, la députée du Calvados Isabelle Attard évoquait « une escroquerie sémantique », en parlant de la vente d'ebooks par Amazon. Le marchand ne fournit en effet qu'une licence d'utilisation, et à aucun moment, le consommateur n'achète réellement un livre. Or, depuis juillet 2012, le projet MO3T - Modèle Ouvert 3 Tiers - a fait son apparition, se positionnant comme une solution à la française.
Le 25/11/2013 à 17:54 par Nicolas Gary
Publié le :
25/11/2013 à 17:54
Amazon est le leader sur la vente de licences de lectures numériques. Eux parlent de vente de livre, mais c'est une escroquerie sémantique.
— Team Isabelle Attard (@TeamIsaAttard) September 18, 2013
ActuaLitté s'est replongé dans un intéressant document de présentation, datant d'avril dernier et qui pose plusieurs questions : d'abord, le fonctionnement même de la solution MO3T, ensuite l'absence quasi totale d'innovation dans le projet. Enfin, l'arrivée d'un nouveau venu, Newco, au coeur du modèle 3 Tiers, qui devient donc... 4 Tiers. Une approche qui, plusieurs mois après, se confirme, et s'affine...
Difficultés, réticences et interopérabilité sous DRM
Selon nos informations, les discussions sont particulièrement longues, et l'ensemble du projet s'oriente vers une solution qui n'aurait rien à envier aux écosystèmes propriétaires d'Amazon ou d'Apple. Ainsi, on peut lire :
Grâce à MO3T, les éditeurs sont capables de concevoir de nouvelles offres et de contrôler l'accès, avec l'assurance que les mesures de sécurité contre le piratage et les droits numériques s'appliquent toujours, assurés par des opérateurs de bibliothèques personnelles.
On croit rêver. Pourtant, non : c'est bien une licence d'utilisation que le consommateur va pouvoir se procurer, et certainement pas l'achat d'un livre numérique. Si dans l'absolu, les DRM apposés sur les fichiers proposent une multitude de solutions dans la gestion des droits de lectures (impressions du document, prêts entre particuliers, etc.), elle n'apporte, concrètement, aucune innovation.
Mieux : toute solution sans DRM qu'un éditeur souhaiterait intégrer dans MO3T est exclue de fait. Un oubli presque volontaire, qui risque d'écarter des éditeurs pour qui l'absence de DRM est un argument commercial. C'est que, dans l'écosystème numérique, l'éditeur est souverain, certainement pas le lecteur.
Dans les faits, l'intervention de MO3T remplacera la vente d'ebook par la vente d'usages, définis strictement par les éditeurs. Et ce, par l'instauration d'un système massif de DRM. Le seul apport, pour l'heure, serait donc l'intégration des librairies françaises, qui s'intégrerait dans un système Kindle-like (propriétaire et refermé), mais bien français : un comble alors que l'interopérabilité est martelée à plusieurs reprises dans le document. Mais qu'en serait-il de lecteurs open source ?
Cela revient à entendre de la part d'Amazon ou Adobe que leur modèle est intéropérable, et leurs DRM ouverts, parce que tous les acteurs peuvent les utiliser. Mais un DRM reste un DRM, et se ferme nécessairement aux autres acteurs.
MO3T est un projet ouvert : Tout le monde peut y adhérer à tout moment. Les membres actuels du consortium ne portent pas que leur intérêt propre. Ils développent une réflexion qui servira à terme l'ensemble du secteur, voire l'ensemble des contenus numériques.
À la lumière de cette première approche, on comprend bien que les innovations de MO3T ne seront pas légion. Dans leur volonté de protéger la chaîne du livre de poche, les éditeurs font preuve d'une inertie redoutable, en matière de Recherche et Développement.
Innovation, Recherche & Développement : on repassera
Sur le papier, MO3T intègre en amont différentes boutiques de vente, et en aval, des bibliothèques personnelles pour les consommateurs. Et surtout, autour de la table se retrouvent de nombreux partenaires comme Carrefour, La Poste, Bouygues ou Huawei, aux côtés des Kobo, Leclerc, Dilicom, Orange, et d'autres, déjà présents.
Mais voilà : en termes d'offre, MO3T arrive avec les mains vides. Pas une seule solution innovante - qu'en sera-t-il d'une possibilité de prêts entre particuliers ? reproduira-t-on les défauts du papier ? Quand on prête un ouvrage imprimé, on perd l'usage de la lecture, mais est-il indispensable de reproduire cette limitation dans l'univers numérique ? Et les bonnes intentions présentées dans ce document sont loin de la réalité des échanges.
Le voeu pieux ?
En outre, acheter un droit de lecture peut être une solution intéressante, mais qui n'est valable qu'à condition que l'on répercute sur le prix de vente cette limitation ? La question tarifaire n'est évidemment pas évoquée dans le document, et il existera toujours la loi PULN pour lever les boucliers sur la question... On se doute qu'une fois encore, les éditeurs préféreront camper sur leurs positions, et imposer aux opérateurs de MO3T de s'appuier sur l'existant, sans effectuer de modifications sur leurs informations.
Les bibliothèques personnelles, gérées par différents opérateurs, incarnent le coeur du produit pour l'utilisateur. Elles permettront de retrouver l'historique des achats et de les retélécharger, dans le cas où l'on quitterait l'offre MO3T. Mais à ce titre, on ne voit pas pourquoi un acheteur quitterait Amazon pour MO3T, qui propose déjà cette solution, dans un environnement propriétaire, ou d'autres librairies qui disposent de cette fonctionnalité...
Newco, le quatrième tiers du modèle
La solution se trouve probablement du côté de Newco, le nouvel acteur introduit dans le projet. « MO3T, c'est avant tout un projet de convergence et de fédération des acteurs. Nous ne nous articulons pas autour de la création d'une nouvelle offre, et en ce sens, MO3T ne sera pas une énième librairie en ligne, proposant des livres numériques. Il s'agit au contraire d'un projet de service qui soit interopérable et pérenne. Et qui, pour se structurer, tente de réunir tous les acteurs concernés autour d'une table », nous expliquait Orange en juillet 2012.
Mettre les acteurs autour de la table, l'idée est bonne, et dans le principe, le modèle 3 Tiers se composait d'un libraire, d'un distributeur numérique et d'une bibliothèque personnelle. Trois parties, distinctes... et qui trouvent au centre de leurs échanges un acteur désormais incontournable : Newco.
Qu'est-ce donc que Newco ? Une société qui a pour vocation de contrôler l'ensemble des opérations qui seront réalisées. Newco va donner les droits et autorisations pour un libraire d'accéder aux catalogues des distributeurs numériques, par exemple. Et de l'autre côté, c'est encore Newco qui va conditionner les droits d'utilisation des livres pour le consommateur : au moment de la vente, c'est cette société qui déterminera quels sont les droits accordés, en fonction de ce que l'éditeur aura défini en amont.
Mais plus encore, c'est Newco qui accordera aux distributeurs numériques les droits de se connecter à l'interface pour commercialiser les oeuvres de leurs éditeurs. Selon nos informations, l'opérateur Immatériel s'est retiré du projet voilà quelque temps, emportant avec lui nombre d'éditeurs - dont certains prônent une offre numérique sans DRM. Hachette avait expliqué à ActuaLitté que le projet MO3T lui semblait trop flou pour l'intéresser : « C'est un projet très collégial, qui veut réunir 'les corps de métiers'. Mais nous ne travaillons pas dans le bâtiment. Tout cela relève d'une initiative de société privée, Orange, et nous sommes une autre société privée. À ce titre, nous n'avons pas vocation à créer une grande famille. Il y a des limites à la coopération, ce qui nous pousse à nous tenir à l'écard, avec réserve. »
Et si Orange clame que MO3T n'est pas centralisé, Newco reste au coeur du projet.
L'aventure d'Orange avec les livres est complexe; et il a toujours été difficile pour l'opérateur d'entrer dans le monde du livre à ce titre. En ayant ouvert la porte d'une plateforme qui est une grosse machine, les éditeurs ont manifestement accueilli avec plus d'enthousiasme cette présence. Selon le programme, MO3T devrait entrer en début d'industrialisation à la fin de l'année.
"La Culture ne s'enferme pas"
À l'occasion des Assises du numérique, organisées par le SNE, David Lacombled en charge du MO3T pour Orange, a rappelé que « la culture ne s'enferme pas », et souligné que l'ensemble repose sur « un gestionnaire de bibliothèques personnelles ». En somme, MO3T serait au livre numérique ce que l'envoi de SMS est au monde de la téléphonie mobile : de même que les opérateurs se sont organisés pour assurer la réception des messages textes, de même MO3T entend proposer une solution opérationnelle sur tout support, tout en garantissant la pérennité de l'accès aux fichiers.
S'il existe « des droits imprescriptibles du lecteur », MO3T travaille sur « les devoirs imprescriptibles du livre, d'être visible sur plusieurs écrans ». Avec l'ambition de toucher 100 % de la population numérique, l'accessibilité aux fichiers en permanence est au coeur du projet. Pour l'heure, un premier prototype est en cours de finition, et un second devrait être présenté en fin d'année, pour démontrer que MO3T fonctionne. « On se donne encore un an pour industrialiser notre projet, dès lors que notre premier prototype sera validé. » Une nouvelle levée de fonds accompagnera ainsi cette fin d'année.
Interrogé sur la vente de licences, et non de livres numériques à proprement parler, il nous précise : « Effectivement, MO3T doit répondre à tout, mais c'est bien aux éditeurs, au final, de décider du prix, et de la manière dont ils vendront leurs ouvrages. S'ils décident de les vendre pour une période limitée, pour six mois ou un an, c'est leur liberté. » Mais dans l'absolu, MO3T pourrait vendre « ad vitam »... si on le demandait.
Sur la question de fichiers vendus sans DRM, « c'est le choix des éditeurs, moi je ne leur impose rien ». Et pourtant, on sait bien que le choix du sans DRM n'est pas vraiment des plus prisés...
Quant à l'apparition de Newco, David Lacombled nous confirme son rôle central, puisqu'il sera chargé de « créer les conditions du gestionnaire de bibliothèque personnelle ». Il sera donc « le label » chargé de diffuser la norme auprès de tout un chacun. Une norme qui sera définie, « dans les semaines qui viennent » par le prototype que MO3T est en train d'achever.
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