ENTRETIEN — Au cours de l’été, les éditions Piranha ont décidé d’annuler la parution du livre d’Hamed Abdel-Samad, journaliste et politologue originaire d’Egype et résidant en Allemagne. L’islamisme est-il un fascisme ne paraîtra pas, et le fondateur de la maison, Jean-Marc Loubet apporte quelques précisions sur sa décision.
Le 09/09/2016 à 16:04 par Nicolas Gary
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09/09/2016 à 16:04
Originellement paru en Allemagne, le livre évoque « une mise en évidence des parallèles idéologiques entre l’islamisme contemporain (État islamique, Boko Haram, Al-Qaïda) et les régimes fascistes du XXe siècle incarnés par Hitler et Mussolini ». Son auteur avait annoncé l’annulation du livre pour le territoire français, soulignant que les arguments opposés par l’éditeur ne lui convenaient pas. S’il comprenait les raisons de sécurité mises en avant, il n’acceptait pas l’idée que l’on puisse dire de son livre qu’il apporterait « de l’eau au moulin de l’extrême droite ».
Hamed Abdel-Samad
Jean-Marc Loubet : Même si je peux tout à fait comprendre la frustration qu’a dû ressentir Hamed Abdel-Samad lorsqu’il a eu connaissance de ma décision, j’ai tout d’abord été surpris par la méthode choisie pour l’exprimer et par ses accusations. Il me semble que nous aurions pu, avant la publication de sa tribune sur différents sites Internet, avoir un échange pour que chacun puisse exprimer ses positions. Les citations publiées sur son compte Facebook et sur son blog proviennent d’un message email que j’ai envoyé au représentant de son éditeur allemand et sont donc peu développées.
J’avoue avoir été également surpris par le nombre d’articles consacrés par la presse allemande à cette polémique, car la plupart semble ignorer qu’il y a une très grande différence de contexte entre nos deux pays. En revanche, je tiens à souligner ici que les médias français qui se sont intéressés dès cet été (Le Point, Le Monde et l’AFP) à cette « affaire » ont pris le soin de nous contacter avant de publier des papiers que je trouve bien plus objectifs. Enfin, je suis choqué (excès de naïveté sans doute) par la violence abjecte des messages que nous avons reçus par la suite via les réseaux sociaux et dont les expéditeurs haineux (principalement Allemands, Français et Américains) se revendiquent qui chrétiens fondamentalistes, qui sionistes (sic) ou qui thuriféraires de la « vraie France » bleu marine…
Jean-Marc Loubet : Nous avons acquis les droits de ce livre en septembre 2014, c’est-à-dire avant le massacre de Charlie Hebdo et la vague d’attentats qui a endeuillé notre pays. À l’époque, il nous a semblé que, même si les faits historiques relatés par Hamed Abdel-Samad n’étaient pas inconnus d’une partie du public français et si la méthodologie consistant à aller chercher dans la biographie de Mahomet les prémices d’un fascisme qui ne trouverait sa définition que bien des siècles plus tard, la publication de ce livre en français était à même de participer intelligemment au débat sur l’islam en apportant à la fois un regard extérieur (parce qu’en provenance d’Allemagne) et en même temps initié grâce au parcours personnel d’Hamed Abdel-Samad.
Jean-Marc Loubet : Il m’est difficile de me mettre à sa place. Ce que je reconnais, c’est que Hamed Abdel-Samad revendique à juste titre son statut de penseur libre et que ses écrits sont argumentés et fondés sur des faits historiques avérés. Mais ce que je constate, c’est que ses arguments sont souvent utilisés par une partie nauséabonde de l’opinion publique, française ou allemande, pour justifier le rejet en bloc de l’islam et, plus, des musulmans. On ne peut soupçonner Hamed Abdel-Samad d’être d’extrême droite ou de chercher à faire le jeu de l’extrême droite, j’en conviens volontiers.
Mais lorsqu’il écrit, dans un chapitre ajouté après janvier 2015 et la tuerie de Charlie Hebdo que « L’islam est à l’islamisme ce que l’alcool est à l’alcoolisme » et que plus que la distinction entre islam et islamisme, il est préférable de « distinguer » plutôt « l’islam d’un côté et les musulmans de l’autre », je vois là une porte grande ouverte à tous ceux qui appellent ardemment, parfois au nom du principe de laïcité malheureusement profondément dévoyé par les populistes de tous bords, à obliger par la loi les musulmans à abandonner des pans entiers de leurs pratiques religieuses.
De plus, il me semble que ce que nous vivons en France, après la série d’attentats de ces derniers mois, et ce que vivent les Allemands, avec l’accueil de centaines de milliers de réfugiés majoritairement syriens, est tout à fait différent et que la réception du livre serait donc tout à fait différente.
Jean-Marc Loubet : Oui c’est exact. L’attentat de Nice a été le déclencheur même si cela faisait plus d’un an que je ne cessais de réfléchir à la parution de ce livre (d’où sa programmation pour le mois de septembre initialement prévue). À tort ou à raison, j’ai senti dès le lendemain de cet atroce attentat que les discours politiques (les réactions d’une partie de la droite et de l’extrême droite) et populaires (principalement sur les réseaux sociaux) étaient en train de changer par rapport aux réactions au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo et même d’après le Bataclan, de se durcir pour tendre vers l’exclusion de l’autre ou sa mise au pas. Quelques jours plus tard, la pitoyable polémique autour d’un vêtement de plage est du reste venue conforter ce sentiment.
Le livre qui ne verra pas le jour
Jean-Marc Loubet : L’acte principal d’éditer réside dans celui du choix. Tout le reste est une question de technique et d’expérience. Choisir de publier un livre ou non, choisir d’abord de le publier puis y renoncer parce qu’on tient compte d’un contexte qui a profondément changé ne m’apparaît pas comme relevant de l’autocensure. Un des traducteurs de la maison m’a envoyé il y a quelques jours cette citation que je reprends volontiers ici en forme de réponse à votre question. Il s’agit de l’intitulé de la quatrième des Cinq difficultés pour écrire la vérité de Bertolt Brecht : « Le discernement pour choisir ceux entre les mains de qui la vérité devient efficace. »
Jean-Marc Loubet : Il m’est impossible de répondre à la place de mes confrères. Mais il me semble que ma réponse à votre précédente question semble indiquer que non.
Jean-Marc Loubet : Pour les raisons que je viens d’évoquer, il me semble que, au contraire, il ne s’agit pas ici de sabordage. Ma décision a certes en partie été dictée par la prudence : non pas que j’ai craint une menace, précise, mais j’avoue être incapable de mesurer le risque. Mais c’est bien le deuxième argument qui a été prépondérant dans ce choix, celui justement que l’auteur conteste le plus.
Depuis le début de la proclamation du Califat, les messages des propagandistes sont clairs et précis : le but est de monter les unes contre les autres les populations musulmanes installées en Occident et les populations qu’ils nomment les « Croisés ». Dans le contexte actuel, je pense que dire que le message et la vie de Mahomet sont fascisants ne peut que participer, involontairement, à une tension entre les communautés.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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