Prolégomènes à l’attention de tous les gentilshommes qui suivent mes pérégrinations : je m’excuse sincèrement, mais la présente chronique s’adresse principalement aux représentantes de la gent féminine. Je vais en effet vous parler d’un livre écrit par une femme pour les femmes. Et plus particulièrement pour les femmes qui rêvent secrètement de devenir la muse d’un grand écrivain, d’être l’héroïne de l’un de ses romans, voire même de constituer la matière première de toute son œuvre et le terreau de son imagination.
Chères lectrices, amoureuses, romantiques, emmerdeuses, malheureuses, épanouies, aventurières, timides, et j’en passe : laquelle d’entre nous n’a pas ressenti le désir de séduire son auteur favori, vous savez celui qui nous tient en éveil jusqu’au petit matin ? Pas seulement séduire facilement, physiquement, rapidement. Non, séduire sans se voir, sans se toucher, sans se parler. Séduire par l’attente. Séduire par la suggestion.
Et surtout, séduire l’artiste en le prenant à son propre jeu et lui prouver qu’il n’est pas le seul à avoir du talent. Nous aussi, nous sommes capables d’émouvoir l’autre par des mots, nos mots posés sur le papier. Fantasme ultime pour toutes celles qui pensent qu’un homme qui lit et écrit est bien plus sexy que celui qui dribble et marque des buts. (voir ici pour le sexy ou là pour le pouvoir d'attraction)
D’ailleurs, il m’est arrivé de tenter le coup de la lettre enflammée, mais la peur de me voir opposer une fin de non-recevoir, ou pire aucune réponse en retour, a toujours freiné mes ardeurs. Et pensez donc si cela fonctionnait, arriverait bien un moment où le destinataire voudrait me voir. Je fais quoi moi si Laurent, Kamel ou Harlan demande à me rencontrer en vrai ? Je consens à y aller, toute corne dehors et mets mes plus beaux cache-sabots ? Ridicule, je préfère garder mes missives au fond de mon tiroir !
Comment donc réconcilier l’intellect et le corps, l’imaginaire et le tangible, la projection et le réel ? « Je serais ton esprit, tu seras ma beauté. Tu marcheras, j’irai dans l’ombre à ton côté. » C’est bien à travers le corps du beau Christian que Roxanne aime l’esprit de Cyrano. Et c’est bien à travers les lettres d’Irène que Jean Mermoz, célèbre écrivain, tombe amoureux de Lisa. Dans Tu seras ma beauté, Gwenaële Robert n’invente rien, mais elle nous propose une version moderne et inversée du drame rostanien.
La sublime Lisa, professeure de sport à Saumur, se rend au Salon du livre de la ville dans l’espoir de faire dédicacer, pour sa maman convalescente, un exemplaire du dernier best-seller de Jean Mermoz. Peu amatrice de belles-lettres, et encore moins habituée à fréquenter les festivals, la jolie Lisa se laisse envoûter par le charisme et l’apparente notoriété de l’auteur. Consciente de ses lacunes en matière de littérature, elle demande à sa collègue Irène, enseignante de français, d’initier une correspondance avec Mermoz afin de l’attirer dans ses filets. Malgré ses réticences, Irène accepte. Et malheureusement c’est elle qui finira par tomber dans le piège de ce jeu dangereux.
L’écriture de ces lettres représente un moyen pour cette femme, ni belle, ni laide, ni brillante, ni stupide — transparente, dirons-nous — de s’extirper d’une petite existence « de province étriquée ». Irène c’est un peu la femme de 30 ans de Balzac, mais « il y a du Eugénie Grandet chez [elle], un peu de Bovary, l’esprit en plus. »
Irène cherche dans cet échange le piment qui manque à son quotidien, l’excitation qui fait défaut à son couple, le grain de folie qui lui donnera envie de tout envoyer balader et ainsi, réinventer une réalité qui l’ennuie tant. Irène a besoin d’aimer, de pleurer, de rire, de souffrir. Irène a besoin de vivre. Et cette relation littéraire, et la fin tragique de celle-ci suite à la rencontre entre la « vraie » Lisa et Mermoz, aura pour effet de la submerger d’une palette d’émotions qu’elle n’avait peut-être jamais ressenties jusqu’alors. Comme disait Charles B. « tout l’art de vivre est de nous servir des personnes qui nous font souffrir ».
Irène est en quête de sens, de raison, de vérité, et c’est dans l’écriture qu’elle réapprend à souffler, sentir, regarder, aimer. De même, le grand écrivain, affecté par le syndrome de la page blanche suite à son dernier succès, trouvera dans cette correspondance « incroyablement romanesque » le matériau de son prochain livre : « C’est comme si mon personnage se délivrait d’un excès de prose qui étouffe son cœur, l’empêche de respirer. Il y a quelque chose qui relève de l’hémorragie dans son écriture, une esthétique du déluge. Je suis envoûté, je ne sors plus, de peur de rater le passage du facteur. Ses lettres deviennent mon pain quotidien. Et, petit à petit, l’inspiration me revient ». Chacun réussira à délivrer l’autre de ses maux et ses angoisses, sans se voir, se toucher, se parler.
Il y a fort longtemps que mes petites pattes n’ont pas tenu un livre si poétique, si riche, si empreint d’une nostalgie de la littérature du passé. L’écriture de Gwenaële Robert est précise, fine, classique, presque un peu surannée. La beauté ne situe donc pas uniquement dans le titre, car ce roman est beau. Beau par ses images, par son vocabulaire, par ses références littéraires et par le rythme subtil qui suit exactement l’échange épistolaire.
Et simplement beau, par l’histoire de cette femme qui ne veut qu’une chose, être heureuse. Et souvent, le bonheur passe par les larmes : « il y a dans le cœur d’une femme qui commence à aimer un immense besoin de souffrir ». (Charles Nodier)
Confidence : j’ai fait l’expérience de la correspondance. J’ai fait l’expérience de tomber amoureuse de celui qui m’écrivait. J’ai fait l’expérience de la déception quand nous avons réalisé que tout cela n’était que pure fiction.
Chères amies, n’arrêtez jamais, au grand jamais de lire et d’écrire, mais laissez-moi vous rappeler une dernière vérité : bien que Pessoa ait énoncé dans Fragments d’un voyage immobile que « la littérature est la preuve que la vie ne suffit pas », la vie peut être pleine de surprises, d’arcs-en-ciel et de bulles de champagne. Et c’est là que finalement, on comprend que « la vie est la preuve que la littérature ne suffit pas »… Ne rêvez pas vos rêves, réalisez-les, vite… à la semaine prochaine !
(Toutes les références et citations sont issues du livre)
Gwenaële Robert – Tu seras ma beauté — Robert Laffont — 9782221202777 – 18 €
Par La Licorne qui lit
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 24/08/2017
228 pages
Robert Laffont
18,00 €
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