Après ses mémoires, Stock édite le recueil de nouvelles d’un des cinéastes les plus importants de ces 50 dernières années, Woody Allen. Tous publiés dans le New Yorker entre 2008 et 2013, ces 18 textes sonnent comme la voix off et les dialogues brillants de ses films. Son humour, qui joue sur la surprise de l’incongru, le recul de l’esprit, une grande culture, une approche psychanalytique, et une longue méditation sur la mort - le meilleur humour juif ashkénaze pour résumé -, ne perd rien en passant à l’écrit, bien au contraire.
Le 18/09/2023 à 11:31 par Hocine Bouhadjera
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18/09/2023 à 11:31
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Un jeune Boychick artiste qui s’est marié trop vite, qui rêve trop et qui découvre l'Upper class de Manhattan, une vache qui veut la peau d’un Schmuck, une affaire immobilière des plus risquée qui rappelle aux meilleures nouvelles de Balzac, une histoire pour la rubrique insolite d’ActuaLitté, une autre qui refait le début de son film Scoop, ce Mensch d’Abe Moscowitz décédé subitement et réincarné en homard…
Des récits souvent inspirés d’articles de journaux et magazines américains : New York Times, USA Today, Sport Illustrated, Huffington Post, Hollywood Reporter… Et en fin d'ouvrage, un glossaire de toutes les expressions yiddish utilisées par le réalisateur d’Annie Hall.
Voici 22 exemples de la drôlerie et de l’esprit de Woody, qui pourront donner envie de se procurer Zéro Gravité (trad. Nicolas Richard) :
Il fallait reconnaître que si elle avait apprécié l’idée d’être mariée à un écrivain, elle ne s’était pas attendue à un misanthrope chroniquement déprimé, taciturne, obsédé par le travail, porté à ce point sur le sexe.
Sachs avait beau faire des efforts, il n’arrivait pas à s’intéresser aux amis de Gladys dont les ambitions provinciales étaient d’enseigner, d’avoir des bébés et de s’acheter un four à céramique. Elle, de son côté, n’arrivait pas à faire semblant de s’enthousiasmer pour ce qui faisait plaisir à son mari : le jazz, Ogden Nash, les films suédois.
Soudain, il entendit un son atroce et se rendit compte que c’était sa propre voix.
Deux inconnus tâtent le terrain pour déterminer s’ils ont assez en commun pour partager un jour une concession au cimetière.
Pas de housses en plastique là-haut, songea-t-il. Pas de table cirée, pas de linoléum. Petite, elle n’avait jamais bu son jus d’orange ou son chocolat au lait dans des verres ayant au préalable été des bougies Yahrzeit.
Et si en fait l’univers infini ne m’en voulait pas personnellement ?
Son oncle Moishe Post lui avait confié une fois : « Dans la vie, tu joues avec les cartes qu’on t’a distribuées. »
Je pourrais en outre ajouter que les sempiternelles mesquineries de ce malotru étaient proférées sur un mode nasal et geignard proche du kazou, tout comme ses sempiternelles plaisanteries vaseuses : une avalanche de facéties censées lui attirer les faveurs de l’assemblée, mais dont l’unique effet était de déclencher alentour un silence de columbarium. (...) Ce petit suppositoire niais, avec ses grands airs et ses chichiteries à vomir, pygmée binoclard.
Me voyant sur mes pattes arrière, prête à l’occire, il poussa un bêlement soprano assez similaire à une note particulière que la cantatrice Joan Sutherland atteint dans l’enregistrement Decca de Siegfried que possédaient les Pudnick.
Après tout, il n’est pas juste un asticot pénible en société, c’est aussi un parano fou furieux, articulant en silence une histoire sans queue ni tête, une tentative d’homicide perpétrée par une vache Hereford.
En larguant notre six-pièces de Park Avenue et en jonglant un peu, nous pouvions retomber sur nos pattes et réussir une opération presque blanche, raisonnait mon petit éclair, recourant à une estimation mathématique qui incluait la constante de Planck.
Nous avons maintenant deux maisons, dis-je à ma femme d’une voix chevrotante, fouillant mes poches à la recherche de la capsule de cyanure que mon comptable m’avait confiée au cas où les choses prendraient exactement la tournure qu’elles prenaient.
Comédien confirmé, j’ai joué Shakespeare et les Grecs, Pinter bien sûr. Mais je suis aussi cabotin de formation. On dit que j’ai un beau brin de voix et, sans être Fred Astaire, je suis capable de vous faire un honorable numéro de claquettes. J’ai étudié à l’Actors Studio et j’ai animé mon lot de bar mitzvahs quand il fallait payer le loyer. En outre, je suis capable d’assurer une soirée one-man-show en Noël Coward.
Les poules ont besoin de distractions, sinon elles ne pondent pas d’œufs, et moi c’est grâce aux œufs que je conduis une Lamborghini.
Ma première véritable mission en tant que journaliste, et c’est ce coup fantastique. Pourquoi l’acteur le plus charismatique d’Hollywood, Bolt Upright, lui qui fuit les projecteurs, a-t-il accepté une interview avec une jeune inconnue de dix-neuf ans avec des cheveux blonds aux épaules, de longues jambes bronzées, des pommettes façon dynastie Ming, une paire de mappemondes top niveau et des dents du haut qui avancent légèrement et rendent dingues tous les titulaires d’un chromosome Y ?
Du reportage sérieux : pour m’assurer que sa libido surpuissante ne lui donnera pas de mauvaises idées, j’ai pris soin de m’habiller de manière conventionnelle : jupe mini-mini absolument pas aguichante, bas résille noirs et corsage ajusté mais élégamment transparent. En appliquant sur mes lèvres, qui sont plutôt pulpeuses et sensuelles, une touche discrète de rouge à lèvres rubis foncé, je me sentais d’une discrétion de souris suffisante pour calmer les ardeurs que Mister Testostérone pourrait avoir à mon endroit.
Le bien dont la star était le plus fier, ai-je appris, était une Rolex gravée qui lui avait été offerte pour la Saint-Valentin par Mère Teresa.
Pourquoi un honnête citoyen comme lui, un dentiste, un mensch, qui méritait d’être réincarné en aigle s’élançant dans les cieux ou bien langoureusement calé dans le giron de quelque mondaine sexy, à se faire caresser le poil, revenait-il ignominieusement en un plat au menu d’un restaurant ?
Comment ma femme a-t-elle réussi à transmuer les ingrédients d’une recette primée de brownies au chocolat en douze carrés parfaits de granite ? Voilà un exploit que seuls des alchimistes médiévaux pourraient apprécier.
Soudain plus riche que Crésus, Wurm appelle son avocat, Jason Hairpiece, et lui demande de faire porter à Vendetta les documents du divorce pour cause de prise de poids inconsidérée, arguant du fait que s’il avait promis à l’autel de l’aimer dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, dans la richesse et dans la pauvreté, pour le meilleur et pour le pire, le rabbin n’avait jamais parlé de surcharge pondérale.
À LIRE - Woody Allen, ou l'humour juif new-yorkais à son meilleur
Miley Cyrus : « Je suis littéralement ouverte à tout, à condition qu’il y ait consentement et qu’aucun animal ne soit impliqué…» Une terrible discrimination envers les animaux…
Je dirai juste que ce sera un film à mi-chemin entre Les Dents de la mer et Persona de Bergman.
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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