Rentreelitteraire23 – Naguère, à une époque où « littérature », « écrivain » et « roman » signifiaient encore quelque chose, un livre comme celui de Maurice Barthélémy n’existait pas, relégué à sa place d’historiette de comptoir, lâchée entre deux gorgées d’un demi siroté entre amis. Mais voilà, nous sommes en 2023. Les temps ont changé, paraît-il.
Quiconque sait tenir un stylo peut désormais aligner quelques mots sur une page blanche, les adresser tout faraud à un éditeur qui, plus enclin à des considérations économiques que littéraires, y verra « un véritable bijou ». Estampillé « Roman », le voilà qui s’enquille une place dans les étals de nos librairies.
Nul doute, après cet « exploit », que le rôle de la critique s’en trouve bouleversé.
Pourquoi écrit-on ? Qu’avons-nous encore à dire depuis des millénaires que les hommes pensent et écrivent ? Il est clair que chaque rentrée littéraire met le critique devant ces questions auxquelles personne ne semble avoir de réponse évidente. Pourquoi chacun se sent légitime à présenter à un éditeur ses fonds de tiroir ? Et pourquoi le roman surtout ? Genre-roi, à la plasticité maintes fois éprouvée, le roman est malmené, trituré, violé.
L’idée de départ n’est pas dénuée d’intérêt. Léo, un homme de 44 ans, fuit le monde dans le silence feutré d’une salle de cinéma.
« Tu veux savoir si tout va bien ? C’est ça ? Eh bien, non, ça ne va pas. Ça ne va même pas du tout ! Pourquoi tu crois que je suis là ? Je suis rentré dans cette salle parce que tout foire autour de moi. Rien ne me rend heureux. Ma vie sentimentale est une catastrophe. Mon boulot m’emmerde. Je ne parle plus à ma fille depuis quatre ans. Et là, je suis dans une salle de cinéma en train de parler à un écran… »
Commence l’expérience annoncée par le titre. Sur le grand écran, les phrases défilent, un dialogue s’amorce entre Léo, une conscience omnisciente qui n’est sans doute que cette part latente de la psyché du personnage, et Théa, une jeune femme mystérieuse, poussant le quadragénaire à l’action, n’importe laquelle, pourvu que Léo agisse.
Le fond philosophique de cette histoire tient à ce triangle cérébral, variante symbolique de la trinité psychanalytique du Ca, du Moi et du Surmoi. Dans un monde privé de métaphysique, Léo tente de trouver le « secret » d’une vie qui ne fait plus sens dans cette situation absurde où la salle de cinéma tient le rôle du confessionnal, l’écran le rôle de la conscience, et la femme celui de la volonté. Paradoxe ultime, à une époque de globalisation, de mondialisation, de frontières abattues.
Rien de plus facile que de communiquer. Pourtant, nous rappelle Maurice Barthélémy, l’essence de la communication s’est perdue. Certes nous communiquons, nous chattons, nous tweetons, mais nous sommes toujours seuls, et lorsque nous le sommes, nous nous découvrons notre pire ennemi. C’est cela que le roman, comme genre-roi, exorcise de nos jours. Certes nous connaissions, depuis Pascal, ce vertige de la solitude, mais jamais le mal n’avait été aussi prégnant dans nos sociétés.
Tout cela, Maurice Barthélémy le dit en substance. On ne fait jamais qu’avec ses propres moyens. Maurice Barthélémy est avant tout un scénariste, et c’est en scénariste qu’il écrit. Et les qualités du scénariste sont les défauts du romancier.
L’impression d’ensemble est celle d’un décalage, identique à celui que l’on retrouve dans certaines comédies françaises, où l’ambition moraliste se perd au profit d’un burlesque mal placé, comme si le livre travaillait à sa propre perte, comme si la littérature refusait sa mission ontologique.
Sans cesse le lecteur est importuné par cet humour balourd, comme « ce micro-silence épais comme un micro-film » ! Ailleurs, ce sont des métaphores lancinantes, comme celle-ci, reprises à intervalles réguliers : l’expression « laisser passer un petit ange » est retravaillée ad nauseam, de « laisser passer une nuée d’anges » qui devient « un escadron angélique » !
Très vite, le sens profond, s’il en est, se perd ; le roman prend deux directions opposées ; pis encore, il devient sa propre parodie, en témoigne ce « défi » lancé à Léo de traverser la salle à cloche-pied. Même les tentatives d’analyses sont des plus maladroites. Ainsi, observant la mystérieuse femme assise non loin de lui dans ce cinéma, Léo se livre à une « analyse » aberrante. Lisons plutôt :
« Elle fait jeune, mais elle n’est pas jeune. Elle fait vieille, mais elle n’est pas vieille. […] Cette femme est l’opposé d’elle-même. »
Aucune émotion vive, aucune scène qui échauffe l’imagination : vient un moment où on ne sait plus si l’on doit sourire ou prendre au sérieux, tant le burlesque recouvre tout de son ombre.
Il y avait tant à écrire sur un sujet aussi universel et éternel que ce que Caillois nomme « l’intime de la conscience ». Ce premier roman porte en lui l’ombre du grand livre qu’il eût été.
En 1993, dans Ecrire, Marguerite Duras formulait une prophétie étrangement actuelle : « Il y aurait une écriture du non-écrit. Un jour, ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Egarés. Là, écrits. Et quittés aussitôt. »
Il n’y a qu’à lire la première page du livre de Maurice Barthélémy pour s’en convaincre.
« Ce n’est pas la première fois que Léo va au cinéma. Mais entrer dans une salle sans savoir ce qu’il va voir : c’est nouveau pour lui.
Souffler. Juste souffler. Mettre sur pause cette journée abrutissante.
Vas-y Léo, rentre dans ce cinéma. Paie ton billet et prends la première salle. Ne choisis pas ta place. Laisse-la te choisir. Pose ton cul et ta vie. Tu l’as bien mérité. »
Toute la littérature moderne est résumée dans ces quelques paragraphes : une écriture qui veut se faire oublier par un déballage de grumeaux textuels, de familiarité à la limite de la vulgarité. On comprend où mène l’effet : une tonitruance de la grossièreté, une captatiobenevolentiae par la violence verbale. Égaré, le texte l’est dans le champ littéraire, et le lecteur avec.
« Écriture minimaliste », « écriture blanche », les expressions ne manquent pas pour signifier une seule et même chose : une pauvreté de forme dont le tissu frelaté a partie liée avec un fond insipide. Mais le constat serait anodin s’il n’était accompagné de cette prétention folle qui voudrait que cette indigence soit le produit d’une exquisité moderne.
Ce roman questionne l’essence même de la littérature, fragile et délicate, et par là le rôle du critique en regard de la production foisonnante des livres. Sa raison d’être est incertaine, et demeure un mystère. Quelle est la raison d’être de ce premier roman ? Nous rappelle-t-il l’exigence de l’exercice romanesque ? Que la prétention au roman ne constitue pas un passe-droit ? Qu’en définitive, on ne naît pas romancier, on le devient ?
Par trop commune, cette première incursion dans le roman par un scénariste demeure un pur divertissement, une historiette sans fond réel ni forme travaillée, et qui se transforme, en bien des occasions, en une douloureuse expérience.
DOSSIER - Rentrée littéraire 2023 : découvertes et coups de cœurs
Paru le 24/08/2023
128 pages
Plon
16,90 €
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