Alors que le film de Matt Reeves, The Batman, termine tranquillement sa course folle en tête du box-office mondial, Urban comics avait eu la bonne idée de proposer à sa sortie quelques runs et récits complets parmi les plus célèbres du fameux justicier qui auraient inspiré le réalisateur pour son film.
Le 23/05/2022 à 12:12 par Jean-Charles Andrieu de Levis
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23/05/2022 à 12:12
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La liste des anthologies remises en lumière par Urban Comics est grande, et leurs différences nombreuses, si bien qu’il est difficile de les associer et d’en parler autrement qu’en les regroupant par auteurs ou duos d’auteurs.
Commençons alors sans plus tarder par le tandem le plus marquant de l’univers du chevalier noir, Jeph Loeb et Tim Sale (le premier au scénario et le second au dessin) qui ont, à partir du milieu des années 90 avec Un long Halloween, Amère victoire ou encore Catwoman à Rome, replacé la mythologie de Batman dans une réalité fantasmée, nourrie en grande partie par les polars hollywoodiens des années 30.
Ces auteurs ont su véritablement donner une âme aux récits de Batman, une densité nouvelle aux ramifications nombreuses qui inspirèrent de très nombreux artistes. Les scénarios de Loeb sont à la fois touffus et aérés, magistralement construits, aménageant un suspense rare dans les comics de superhéros qui permet une transition du comics grandiloquent vers le polar ténébreux. L’écrivain, qui a travaillé aussi bien dans les comics que pour le cinéma ou le petit écran (on lui doit par exemple la série Heroes), a su mettre en valeur les personnages secondaires autrefois négligés afin de dissoudre la dichotomie traditionnelle dans les comics américains : ses « méchants » se révèlent ainsi profondément humains et presque touchants.
Chacun traîne son histoire et les pulsions de violence ou de mort, si elles ne sont pas légitimées, trouvent au moins une origine moins caricaturale que l’essentialisme qui a longtemps présidé dans cet univers quelque peu manichéen. Les dessins élancés de Tim Sale, ses visages anguleux et ses espaces aussi majestueux que biscornus donnent immédiatement une tonalité unique et baroque aux scénarios de Loeb.
Les séquences sont particulièrement bien rythmées, intelligemment agencées et décomposées et tandis que certains strips s’ancrent dans l’intimité des personnages d’autres pages s’ouvrent au spectaculaire : ce faisant, l’auteur ne rompt pas véritablement avec le passé du personnage mais, en y apportant sa touche, en y intégrant plus de subtilité et d’élégance graphique (plus de personnalité aussi), s’accorde parfaitement à la portée mythique de l’univers super-héroïque de Batman.
De toutes les œuvres dont le réalisateur confie s’être inspirées, celles réalisées par Loeb et Sale sont de loin les plus proches du film, jusqu’à devenir encombrante tant, du scénario jusqu’au casting, le long-métrage colle à leur univers et leurs récits, jusqu’à parfois donner la désagréable impression de ne pouvoir véritablement s’en échapper.
Si Loeb et Sale ont exploré l’humain à travers les antagonistes de Batman, Darwyn Cooke va au contraire explorer la psyché des personnages principaux, à savoir le protagoniste lui-même et la fameuse Catwoman avec Batman Ego et Catwoman, le dernier braquage. L’auteur, extrêmement talentueux, est un artiste phare de sa génération tant il a su, en quelques années à peine, marquer les lecteurs avec des œuvres essentielles de cette mythologie. Mais parti tragiquement trop tôt, il n’a malheureusement pas encore en France la popularité qu’il mérite (à l’instar d’Yves Chaland par exemple).
Dès ses premières planches, Cooke impose un style original inspiré de l’animation, profession qu’il a exercée notamment aux côtés de Bruce Tim à qui l’on doit la mythique série Batman animated. Avec Batman Ego, il donne une profondeur psychologique originale au personnage, loin de l’aspect sombre et dépressif de Miller pour aborder une trajectoire plus réflexive et modérée. En mettant en scène un Batman en prise avec ses démons intérieurs, il pose un regard étonnant sur la mythologie du héros qui remet en perspective le fardeau psychologique que peuvent revêtir les histoires qui nous passionnent.
Ce récit court et introspectif se révèle d’autant plus fascinant à lire si, en plus, le lecteur dévore en parallèle la série télévisée En thérapie : en effet, cet essai concluant de Cooke donne l’impression d’un Batman en auto-analyse. Bien différent de cette lecture cérébrale et inattendue du chevalier noir, mais tout aussi réussi et réjouissant, Catwoman, le dernier braquage assume pleinement son côté popcorn. Comme son nom l’indique, l’auteur met en scène un braquage de haut vol orchestré par Catwoman, de la découverte de l’information du transfert d’argent à la constitution de la fine équipe jusqu’à la préparation minutieuse du plan qui, évidemment, ne se déroulera pas exactement comme prévu. Certes moins intellectuel qu’Ego, ce récit n’en demeure pas moins particulièrement efficace et terriblement plaisant à lire : du pur divertissement !
Parmi ces rééditions successives se glisse une création originale, Batman Imposter, écrite par le coscénariste du film de Matt Reeves, Mattson Tomlin, qui livre ici un récit magistral et réaliste superbement dessiné par Andrea Sorrentino. Tomlin nous plonge dans les premières années du justicier qui se trouve alors en prise avec la mafia de Gotham. Le scénariste troque les multiples gadgets invraisemblables à la James Bond ou les engins militaires à la Nolan pour des astuces pragmatiques qui permettent au chevalier noir d’officier dans la ville : multiples motos cachées dans les rues de Gotham, tyroliennes qui relient les toits, etc. Au-delà de ces détails qui font la sève de ce récit, le scénariste construit un thriller prenant de bout en bout, faisant intervenir un large panel de personnages et envisageant non pas un « super-méchant » mais une astuce de communication de la part de la mafia mettant en scène un copycat qui salit la réputation de l’homme masqué.
À l’instar des précédents auteurs, Tomlin poursuit cette entreprise de déconstruction de la figure divine du super-héros pour le rendre profondément humain et imparfait. On ressort de cette lecture avec l’envie d’y replonger, d’en lire d’autres encore tant l’on assiste à l’émergence d’un auteur qui ne se complaît pas dans la noirceur de son personnage mais s’appuie sur l’âpreté du monde réel afin de donner un potentiel palpable à son histoire.
Andrea Sorrentino illustre à merveille cette atmosphère naturaliste. Le dessin est lui aussi réaliste mais la mise en scène brille d’ingéniosité, notamment dans cette manière qu’a le dessinateur de dessiner des cases dans les cases pour fragmenter une action, introduisant ainsi divers modes narratifs qui dynamisent singulièrement la lecture tout en utilisant un vocabulaire propre à la bande dessinée. Ce Batman Imposter saura ravir les amateurs de comics et les néophytes curieux de découvrir un récit original servi par des images intelligentes.
Si la dimension promotionnelle de cette mise en avant est évidente, on ne peut la déplorer tant les récits que l’éditeur choisit de valoriser constituent des sommets de bande dessinée, et tant il semble absolument nécessaire de faire vivre des œuvres qui constituent un socle de la mythologie DC. Ce faisant, Urban Comics participe à construire en France une archéologie artistique du chevalier noir.
1 Commentaire
Rieg Davan
26/05/2022 à 06:42
Je suis très très en retard sur mon Batman, je suis plus Cassandra Cain (à jour pour Batgirls) et Nightwing (j'attends le 2eme TPB en Juin en numérique / le prix des livres numériques chez DC est un poil abusif du coup je limite ; mon retard chez DC est du coup énorme). J'aime bien le run actuel de Robin (Shadow War à l'air très bien mais Novembre pour le TPB).