Depuis novembre 2007, un changement a commencé : la présentation du premier modèle de Kindle, moche comme un pou, par un Amazon qui marquait définitivement son territoire, tout en établissant la carte. L'environnement Kindle naissait d'une évolution dans la vente de livres aux États-Unis : d'un côté, les librairies indépendantes fermaient à foison, de l'autre, le besoin des consommateurs, rodés depuis des années déjà à l'achat de livre en ligne, de se procurer de quoi lire.
Le 22/07/2013 à 09:55 par Clément Solym
Publié le :
22/07/2013 à 09:55
Comprenons-nous bien, le Kindle n'a pas tué la librairie : il a répondu à un besoin découlant de la diminution des points de vente. Mais la presse américaine n'était pas aveugle. Avec le Kindle, permettant l'achat en une soixantaine de secondes, d'un livre numérique, la technologie sans fil prenait une autre dimension.
Certes, le premier modèle, utilisant la technologie appelée « encre électronique », n'était pas très glamour, mais rapidement, Amazon s'est rattrapé, et la seconde génération rectifiait le tir du design, avant que la troisième version n'installe un style plus sobre et nettement plus attrayant.
Quelques points d'histoire et de technique
Amazon n'a pourtant pas été le précurseur dans ce domaine : en septembre 2006, Sony lançait son appareil, le PRS-500. Mais cet appareil avait un problème majeur : il ne disposait d'aucune connectique sans fil, et nécessitait d'être raccordé à un ordinateur pour ce qui est du transfert de fichier. Même constat chez Bookeen, le constructeur français, qui sortit son Cybook Gen3 fin octobre 2007. Par la suite, les acteurs se sont multipliés, et l'on a pu assister entre 2007 et aujourd'hui, à une véritable explosion du nombre d'appareils, parfois des créations originales, parfois des déclinaisons de marques blanches.
On pourrait d'ailleurs évoquer la société IRex qui s'était lancée également en juillet 2006 avec son Iliad, dont une nouvelle génération était apparue en septembre 2006. Mais en la matière, l'archéologie de ces machines nécessiterait un dossier pour chacun des fabricants. Pour faire simple, on pourrait dire que les premiers lecteurs ebook, Softbook et Rockeet eBook Reader, de Gemstar, ont creusé l'ornière, dès 1998. Ce n'est véritablement qu'avec le Libre de Sony, en 2004, que l'orientation technologique se porte vers l'encre électronique, définitivement.
Le point commun de tous les appareils, ce sera cette technologie : l'encre électronique. Avec un affichage qui rappelle immanquablement celui des ardoises magiques, l'encre électronique est une technologie complexe dans son fonctionnement, mais dont les qualités sont indéniables. Peu gourmand en énergie, disposant d'un écran sans reflet, qui permet de lire en plein soleil, les Readers ont basculé sur cette technologie, dont la société E-Ink Holding est aujourd'hui le premier fournisseur.
Voici quelques éléments permettant de comprendre la technologie elle-même.
Les plus littéraires se contenteront de savoir que des billes contiennent des particules noires ou blanches, et qu'en fonction d'une impulsion électrique va déplacer les unes et les autres, selon un ordre donné. Et donc, noircir ou blanchir une zone, de sorte que soient représentées des lettres, des formes, etc. Pour qui voudrait cependant approfondir, pour établir clairement les différences entre E-Inl, Sipix et Gyricon, on pourra se référer à cette page.
Une offre riche, des millions d'appareils vendus
En l'espace de six ans, si personne ne sait réellement combien de ces appareils se sont vendus à travers le monde, on peut de toute manière dénombrer plusieurs marques qui font régulièrement parler d'elles : Kobo, Kindle, Bookeen, PocketBook, et Barnes & Noble.Cela dit, en décembre 2011, Amazon avait fait la suprise d'annoncer que durant le mois de Noël, un million de Kindles avaient été vendus chaque semaine. Il faudrait cependant évoquer le coup manqué de Samsung, qui, décidé à investir le domaine des lecteurs ebook, s'est finalement retiré du marché. Ou encore celui du Story HD iRiver, qui connut son heure de gloire dans le cadre d'un partenariat signé avec la librairie de Google Books.
Par politesse, on passera sous silence l'existence du Fnacbook, une incursion largement manquée de la part de la chaîne française, qui a rapidement rattrapé son erreur en signant avec le Canadien Kobo. Il existe aussi la mode du Reader low-cost, notamment incarné par le Beagle de Txtr, qui fonctionne à piles, avec un système de transfert de fichiers particulièrement laborieux. Conçu pour être commercialisé à moins de 10 €, ce dernier a fait une apparition remarquée à... 59 €.
L'encre électronique qui sous-tend tous les modèles contemporains a cependant connu de multiples évolutions. Avant de les inventorier, elles ne sont après tout pas scandaleusement nombreuses, il faut comprendre le mode de fonctionnement qui a marqué l'ensemble des produits, et qui découle de la stratégie d'Amazon - sans aucun jugement de valeur, sinon peut-être à considérer que c'était la meilleure chose à mettre en place.
Le lecteur ebook, légendaire assassin de la librairie
Pour compenser la disparition des librairies indépendantes, le Kindle est devenu un appareil connecté : un accès WiFi, une connexion 3G, et voilà que le client accède à un magasin implémenté dans l'appareil, un ebookstore. L'achat s'est perfectionné avec le temps, pour raccourcir le nombre de clics à effectuer entre la présentation de l'ouvrage et la vente. Futé. Futé et redoutablement efficace. Pour être précis, c'est à partir de ce moment que la croissance des Readers a commencé : si un livre imprimé se balade partout avec soi, un Reader se devait d'offrir au moins les mêmes fonctionnalités que le papier. Mais pour percer, il avait besoin de cette valeur ajoutée : ce fut la possibilité de se procurer un livre, où que l'on soit, à tout moment du jour et de la nuit.
Bon, évidemment, la fringale de 4 h du matin se tourne plus souvent vers un grand plat de pâtes que vers la Critique de la raison pure. Mais offrir cette possibilité, c'était libérer le client de toute attache avec les magasins de briques et de mortier.
Ecran tacile, rétroéclairage, le norme contemporaine
La seconde étape consistait à travailler l'ergonomie des appareils. Dès ses premiers pas, le lecteur ebook avait opté, soit pour un clavier intégré, soit pour un système de navigation rudimentaire à partir d'un bouton central par lequel on parcourait les fonctions. Douloureux. Et pénibles, parce que la sélection d'un accès WiFi et la composition de la clef WPA2, à partir d'un bouton unique, voilà qui était plus que lourdingue. Il fallait donc que l'évolution passe par un contact direct avec l'écran.
C'est que, cette navigation avec un bouton central s'accompagnait évidemment de boutons secondaires, qui permettaient de tourner les pages. Sans parler même du Nook de première génération, qui avait opté pour un écran LCD combiné à un écran à encre électronique, et dont l'ergonomie était plus que douteuse. À ce titre, il faut se souvenir de la bataille juridique entre le libraire Barnes & Noble, qui lançait donc le Nook, et la société Spring Design, qui avait fourni les éléments pour créer cette double technologie. Encore une fois, la guerre des brevets a fait rage.
C'était donc vers des écrans tactiles que la solution passerait. Et très rapidement, la mode se propage : aujourd'hui, c'est d'ailleurs la norme, avec des interfaces revues et corrigées pour profiter au mieux de cette technologie. Les premiers modèles débarquent fin 2009, et rapidement la tendance gagne tout le marché. Cette ergonomie supplémentaire permet de profiter d'une « expérience utilisateur » plus confortable, et surtout, de se débarrasser des claviers. On diminue la taille de l'appareil. De ce point de vue, les nouvelles évolutions iront vers des perfectionnements de la réactivité, mais impossible de faire demi-tour. Notons à ce titre qu'Amazon ne fut pas leader sur le tactile, puisque le Kindle Touch ne fut lancé qu'en septembre 2011.
La grande innovation, particulièrement bien marketée par Bookeen, ce fut l'introduction d'une petite lampe interne, permettant d'éclairer l'écran. Idéal pour lire de nuit, à côté de son conjoint ou sa conjointe, sans avoir à allumer la lampe de chevet. Avec le sourire, Michaël Dahan avait d'ailleurs expliqué, durant le Salon du livre de Paris 2013, que cette technologie était « salvatrice pour les couples ». Si l'on peut en sourire, en effet, reste que l'outil est particulièrement appréciable - et se généralise sur la grande majorité des lecteurs ebook.
De Pearl à Triton, l'arrivée de la couleur
L'avenir de la technologie à encre électronique, c'est désormais du côté de E-Ink Holding qu'il faudra la chercher. À ce jour, les fabricants d'appareils sont tous pourvus de la technologie Pearl. Meilleur contraste, un blanc plus marqué, une meilleure définition des polices et plus de nuances de gris (Fifty Shades inside...), mais également un temps d'affichage réduit entre deux pages. Tout cela peut encore être largement peaufiné, mais c'est du côté de la couleur que lorgne désormais la société. Des écrans à encre électronique, avec un affichage de couleur, et la même consommation en énergie : le plaisir ne serait pas bien loin, mais depuis plus de trois ans, les appareils tardent à se présenter.
Hanvon et E-Ink avaient présenté en novembre 2010 un premier modèle, encore trop limité : faible résolution, 4096 couleurs maximum... pas vraiment d'arguments pour faire le point contre une tablette, même bas de gamme.
La technologie Triton 2, dévoilée en décembre 2012 devait pallier ces manques. Et le premier appareil, sorti en mai 2013, par PocketBook, était encore assez peu flatteur, toujours avec les mêmes critiques.
Je plie, mais ne romps pas, ou l'écran flexible
Patience et longueur de temps... D'autant qu'en parallèle de ces évolutions, sont toujours expérimentées des feuilles de papier électronique flexibles. Mobius, la technologie de E-Ink, les expérimentations d'autres constructeurs comme Intel, avec PaperTab, auront l'intérêt de proposer une alternative réelle à la presse, autant qu'un outil de lecture pour les livres.
Problème : les coûts de fabrication et de production à grande échelle sont encore loin de permettre une démocratisation, quoi que LG ait annoncé en juin dernier que des écrans OLED flexibles seraient lancés au 4e trimestre. Mais nous sortons ici de la question de l'encre électronique. Cela dit, la technologie Mobius est très prometteuse, et pourrait rapidement intéresser Amazon - si ce n'est déjà fait.
Concrètement, le marché français de lecteurs ebook est en progression, toutes les études présentées vont dans ce sens - et on les doit principalement à GfK. Des 5000 appareils vendus en 2008, puis 27.000 en 2010, et 145.000 en 2011, nous avons franchi les 300.000 en 2012. En outre, le baromètre de l'interprofession, présenté en mars 2013, indiquait que les Français préféraient dans tous les cas le lecteur ebook à la tablette. Le décollage est donc bien là, mais l'offre numérique française, plus de 100.000 livres homothétiques, ne facilite pas la croissance.
Sur le marché américain, on assiste à un tassement des ventes, mais en regard du taux d'équipement, cette nouvelle est tout de même à relativiser. En 2011, 15,5 millions d'appareils vendus, contre 9 millions en 2012 et une estimation à 7,5 millions en 2014, selon le cabinet Forrester Research. La France a encore de beaux jours devant elle sur ce point. Surtout que les prix des machines ont largement diminué !
L'évolution tarifaire, essentielle pour la démocratisation
Pour mémoire, en septembre 2008, le PRS-505 de Sony était proposé à 300 €, le tout premier Kindle fut vendu outre-Atlantique à 399 $. En cinq heures trente, le stock fut écoulé et l'appareil n'est revenu qu'en avril 2008 sur le marché. Belle opération... Aujourd'hui, un Kindle Paperwhite (écran tactile et rétroéclairage) est proposé à 129 €, le Cybook Odyssey HD frontlight (mêmes équipements) est à 149,99 €, le PocketBook Touch et le Kobo Glo sont à 129,99 €. Éviter simplement le Kindle premier prix, véritable scandale technologique.
Évidemment, on peut trouver bien moins cher, et s'il s'agit de découvrir ce que peut être un lecteur ebook, pour se faire la main, nous recommanderions de faire un tour sur les sites d'occasion, et de se procurer un Cybook Opus, écran de 5 pouces, parfait pour découvrir. Sans écran tactile, ni connectique WiFi, il sera un bon guide pour expérimenter la lecture sur écran encre électronique, et se faire la main.
Surtout que l'offre d'ouvrages libres de droits et gratuits est abondante, permettant de renouer avec des grands classiques sans frais. Mais nous y reviendrons dans un autre dossier.
Seth Godin, grand gourou du marketing outre-Atlantique, notait cependant, en juin 2010 : « La seule façon d'arriver à faire adopter cet appareil par les éditeurs et les auteurs, c'est d'en vendre 20 millions. Vous pouvez soit devenir la meilleure et unique plateforme sur laquelle il est intéressant d'acheter des livres, ou rater. Et la seule manière de botter les fesses d'un iPad, c'est de jouer sur le côté bon marché de votre appareil. »
Le lecteur ebook low-cost aurait aujourd'hui encore un avenir, mais le raisonnement reste simpliste, dans un monde qui se peuple de tablettes tactiles - et multitâches.
Nota bene : Liseuse ou lecteur ebook ?
C'est une question récurrente, qui a été tranchée en avril 2012. Au journal officiel était admis que le terme liseuse désignerait désormais en France les appareils à encre électronique, parallèlement à « livre électronique ». Nous ne reviendrons pas sur ce débat, il a été longuement discuté déjà. ActuaLitté opte pour le terme de Reader, ou eReader, et l'expression « lecteur ebook ». Pas la peine de réinventer la roue, ni de recycler à outrance les termes anciens, hein...
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