Le Centre National du Livre accueillait hier une conférence professionnelle coorganisée avec la Sofia et le réseau social Babelio, ayant pour thématique Le bouche à oreille au service du livre. L'occasion d'évaluer, au travers d'une étude menée auprès des utilisateurs du réseau, comment s'opèrent la prescription et la recommandation, et quels outils fonctionnent le mieux.
Le 12/12/2012 à 11:12 par Clément Solym
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12/12/2012 à 11:12
Autour de la table étaient réunis Pierre Fremaux, cofondateur du réseau social du livre Babelio.com, Etienne Candel, maître de conférences au Celsa, et auteur d'une thèse de doctorat en sciences de l'information et de la communication sur le sujet des pratiques participatives de la critique littéraire, et Vincent Piccolo, responsable du développement numérique du groupe La Martinière, pour rendre compte de la manière dont le bouche à oreille est intégré dans la stratégie numérique des éditeurs.
L'étude, menée du 30 novembre au 6 décembre, avec 942 répondants, montre plusieurs choses : d'abord, le grand lecteur est majoritairement une grande lectrice (plus de 80 %) et chez Babelio, la tranche 25/34 ans est particulièrement importante, avec 34 % des répondants - contre 19 % à 18/24 ans et 24 % à 35/44 ans.
L'autre point est que les lecteurs dépassent largement la définition du grand lecteur avec 26,5 % lisant un livre par semaine, et 18,5 % à 2 livres. 14,8 % en lisent plus de deux... Une tranche globale qui représente 96 % des lecteurs de Babelio, mais 16 % de la population française.
Pour ces lecteurs l'importance du bouche à oreille est grande, voire très grande, ou totale, pour 79 % des répondants, et ce bouche à oreille s'opère désormais sur des sites de lecteurs, en écoutant l'avis d'un proche, ou sur des blogs littéraires, principalement. La librairie reste le troisième lieu de prescription, et de découverte des livres - alors que Facebook ou Twitter, réseaux sociaux par essence, ne sont que loin derrière pour ce qui est du net. Les médias traditionnels, presse, radio et télévision, quant à eux, n'ont aucune incidence, ou presque pour ces grands lecteurs. Le classement est le suivant :
Les clubs de lecture en ligne et hors ligne se répandent
Le livre en lui-même est un outil de découverte : couverture, 4e de couverture, nom de l'auteur, bibliographie sont des marqueurs suivis
Les sites de librairies « pure players » offrent des recommandations jugées intéressantes par les internautes
Les magazines spécialisés sont davantage suivis que la presse généraliste pour la découverte de livres
Évidemment, le bouche a oreille est important, pour ce qu'il apporte de diversité, de par la confiance que l'on porte au prescripteur, ou en ce que les conseils sont plus personnalisés. Indépendance et neutralité sont également des éléments essentiels dans l'esprit des lecteurs.
La méfiance à l'égard des grands prix littéraires, est à souligner, autant que l'intérêt que les lecteurs peuvent porter aux recommandations des sites comme Amazon ou Chapitre, sur le modèle « vous avez regardé, ils ont acheté, etc. » Mais Etienne Candel note immédiatement que ce modèle repose surtout sur une perspective mercantile : « ‘Les lecteurs qui ont aimé', ou le fait que les commentaires soient jugés utiles, sont avant tout des outils de recommandation avec une visée marchande : l'objectif est de faire vendre. »
Enfin, puisque l'on parle de découverte, la question est de savoir quels sont les auteurs qui ont été découverts. Et en première place du top 30 établi, c'est Haruki Murakami qui a le plus profité de cette propagation de l'information. Si avec lui d'autres auteurs grand public sont évidemment présents, il est assez logique que l'on retrouve des best-sellers. Avec une nuance de taille : ce sont 1157 auteurs que les lecteurs évoquent quand on leur demande quels écrivains leur a fait découvrir le bouche à oreille.
Du reste, la prescription s'opère principalement au travers de critiques positives plutôt que négatives, plus propices à connaître une certaine viralité, jugées plus utiles dans la découverte - puisque justement, il s'agit de trouver à lire, et non de trouver à ne pas lire. Ainsi, les critiques positives sont considérées comme plus utiles - et plus recherchées.
Le BO est le premier prescripteur des grands lecteurs
Les vecteurs principaux de BO sont les réseaux de lecteurs et l'entourage…mais très peu Facebook ou Twitter
Les lecteurs valorisent la neutralité, la diversité et la personnalisation des recommandations par BO
Le BO joue un rôle sur des genres variés, d'autant plus marqué que le genre est mal couvert par les autres formes de prescription
Le BO permet davantage de qualifier que de disqualifier un livre
Étienne Candel s'intéressera principalement à la question de la mise en commun des informations et à ce qu'il nomme « la mythologie du pair », ou comment se constitue une communauté virtuelle en ligne. Babelio, à ce titre, reproduit bien un espace, « un dispositif socio-technique », où peuvent être recréées les conditions d'échanges entre personnes qui souhaitent parler des livres. « Il n'existe pas de discussions occasionnelles sur internet. L'immédiateté et la spontanéité n'existent pas. »
Pour les réseaux, l'important est de parvenir à trouver une similarité à cet échange spontané - avec en toile de fond, la crainte que la machine finisse par en savoir plus que nous. « Pour une machine, assurer que si l'on aime les yaourts aux pêches, on aimera ceux au citron, cela ne pose aucun souci. La machine est bête, mais ce n'est pas sa faute », assure-t-il.
C'est que le traitement automatisé des goûts et des livres partagés n'est finalement qu'une stupidification de l'information « le premier principe de l'informatique ». « L'important est de mettre en place un salon, un espace précis, parce que cela va déterminer la position du lecteur et de son pair, dans le cadre de la recommandation. »
Vincent Piccolo s'étonne tout de même que la chronique positive ait si bonne presse, en somme, alors qu'internet est toujours plus prompt à diffuser des informations négatives et à buzzer sur ce qui dérange. Reste que la question de l'économie du livre, et de son marketing, est un enjeu véritable. « Le livre repose sur une économie du prototype. C'est un ensemble de niches protéiformes. »
Et pour l'éditeur, les enjeux passés, qui étaient de faire connaître au public, en passant par le biais de médias professionnels, se ramifient : désormais, à la relation entre professionnels (du livre face à la presse) s'ajoute celle du professionnel vers le grand public. « Le producteur de contenus, l'éditeur, s'adresse toujours à des médias, et des prescripteurs, comme les blogueurs. »
À ce titre, le mythe du blogueur complètement désintéressé s'effrite, et ces derniers n'hésitent plus à demander des rémunérations. Mais parmi les prescripteurs avec lesquels l'éditeur est en contact, ou plus précisément, l'attachée de presse, se trouvent aujourd'hui des acteurs non professionnels, un véritablement changement dans l'industrie. En outre, il faut également faire avec « une prescription passive », celles des commentateurs qui se contentent de mettre une étoile pour juger une critique de livre.
« Le livre est un objet complexe à marketer, et l'édition ne sait pas faire du marketing », ajoute-t-il. « La textualité et la vie des idées ne reposent pas sur un message publicitaire simple. Pour exemple, dire qu'un million d'exemplaires a été vendus n'est pas une information qui suscite l'intérêt, ni les ventes. » D'autres outils peuvent toujours être mis en place : si les médias traditionnels manquent d'espace pour parler des livres, l'idée de partager des extraits, sous la forme de feuilleteuses, peut également servir l'intérêt et la découverte.
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Parler des livres que l'on aime, ou le bouche à oreilles (en live tweet)
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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