ENTRETIEN - Il y a de ça un mois, Shades of Shadow, le deuxième tome de la trilogie Shades of Magic de V.E. Schwab sortait en librairie (traduction par Sarah Dali). À cette occasion et pour sa première venue sur une manifestation littéraire en France, les éditions Lumen invitaient les lecteurs francophones à rencontrer Victoria Schwab lors du salon Livre Paris. L’occasion pour nous de questionner l’auteure sur son genre de prédilection, le Young Adult (YA).
Le 22/03/2018 à 17:10 par Fasseur Barbara
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22/03/2018 à 17:10
Je m’explique, dans les ouvrages jeunesse, le danger et les épreuves viennent plutôt de la confrontation avec l’extérieur. En revanche, avec la littérature Young Adult, la plupart des changements et des obstacles sont intériorisés. Prenez par exemple la perte de l’innocence physique comme émotionnelle qui a souvent lieu à l’adolescence. Mais c’est aussi à cette époque que l’on se rend compte que le monde est immense, que nous ne sommes pas immortels, que les gens autour de nous peuvent mourir et être blessés. Enfin, je pense que c’est aussi la toute première fois que l’on réalise que l’on n’est peut-être pas assez forts. Ce sont toutes ces épreuves que le YA essaie de retranscrire.
Bien entendu, chacun traverse des expériences différentes à cette époque, mais je reste persuadée que certaines étapes sont universelles. Il arrive toujours un moment où l’on ne trouve plus sa place, où l’on cherche qui l’on est, quelle est notre identité et en quoi l’on croit. C’est pour ça qu’au lieu de l’âge des personnages, c’est ce qu’ils traversent, les épreuves qu’ils surmontent qui définissent un roman comme YA. Il partage une certaine immédiateté avec le lecteur qu’il touche. Car quand on est un jeune adulte, tout prend vite des proportions incroyables et on a parfois l’impression qu’on ne va jamais s’en sortir. Et j’ai l’impression que c’est justement là la force du YA, il traite du présent, de ce que le lecteur est en train de vivre.
V.E. Schwab : Pour être honnête, le nom sur la couverture dépend aussi de quel éditeur publie le livre aux États-Unis. Par exemple, tous les ouvrages qui sortent chez Tor, mon principal éditeur de littérature adulte, sont sous le nom V.E. Schwab. Mais dans chaque pays, le seuil pour la littérature Young Adult (qui fait une sorte de jonction) est différent.
D’ailleurs, quand on regarde la catégorisation pour Our Dark Duet et Savage Song (Victoria Schwab) qui sont en YA aux États-Unis, on les retrouve en adulte en Angleterre. Par contre, Shades of Magic (V.E. Schwab) qui est classé chez les adultes aux États-Unis et en Angleterre se retrouve en YA au Brésil et en France. Vraiment, c’est très changeant.
C’est pour ça que je n’accorde pas vraiment d’importance à la classification de mes bouquins. Après tout, je pense qu’il y a un âge minimal pour appréhender un livre, mais qu’il ne devrait jamais y avoir d’âge maximal. Je me fiche un peu de l’appellation tant que les lecteurs à qui est destiné le livre y ont accès.
L’autre raison est bien plus désolante. Dans le milieu de la fantasy aux USA, il y a un très gros problème de sexisme. C’est un peu moins problématique avec la littérature jeunesse et le YA, mais c’est vraiment pesant dans la littérature adulte. Il est fréquent que les femmes ne soient pas considérées comme légitimes à l’écriture de fantasy, mais je ne vous apprends rien. J.K. Rowling a écrit sous ce nom-là, car son prénom est Joanne et elle a craint que cela influe le choix des lecteurs, qu’ils ne choisissent pas son livre à cause de ce prénom féminin.
De la même manière, j’ai écrit comme V.E. de peur qu’en écrivant Victoria Elizabeth sur la couverture d’un roman de fantasy, les gens ne choisissent pas ce livre. C’est vraiment très triste, c’est un gros obstacle que nous devons absolument surmonter, un vrai choix à prendre en compte lors de l’écriture.
Au final, j’ai préféré faire en sorte que les personnes lisent mes livres avant de connaître mon identité. Comme ça, s’ils les ont aimés et qu’ils ont un problème avec le fait qu’une femme les ait écrits, ils font face à leurs préjugés. Je ne voudrais pas que mes livres soient victimes de leurs couvertures, de mon nom.
Après, j’ai bien conscience que l’édition est un business, il faut toujours avoir un moyen d’anticiper quelle sera l’audience, c’est vraiment compliqué. Du point de vue marketing, le choix de la couverture est un vrai casse-tête. Il faut bien finir par avoir une audience précise en tête lors de la composition de la couverture sans pour autant tromper le lecteur… Je suis très fière du choix qui a été fait pour les couvertures françaises.
Et puis, ça rend les choses bien plus réelles de voir mes livres sortir dans un pays où je me sens comme chez moi. Après tout, la France est comme une deuxième maison pour moi. Alors, quand j’ai découvert des lecteurs aussi réceptifs, ça a été un soulagement incroyable. C’est mon premier voyage d’affaires, et c’est aussi la première fois que je participe à une manifestation littéraire alors je me disais « et si je n’ai pas assez de lecteurs, qu’est-ce qui va se passer… »
Parce que je sais que mon travail est un peu en marge, et que c’est différent ici et surtout que la langue française est très importante. Ça représente énormément pour moi de recevoir un tel accueil en France. D’ailleurs, j’ai adoré la version française, le travail de traduction est fabuleux. C’est incroyablement authentique et beaucoup de lecteurs qui avaient déjà lu la version en anglais sont venus me dire combien la traduction était réussie. Je ne pourrais pas être plus heureuse !
Être publiée… ça vous isole, vous êtes comme sur une île déserte. Vous vous sentez très seule dans tout ce que vous ressentez, et déjà que l’écriture est un processus très solitaire, je ne voulais pas ressentir une pareille solitude. Alors j’ai commencé à parler de mes bons comme de mes mauvais jours, des épreuves, mais aussi des réussites. Et les lecteurs étaient là à chaque étape. On a partagé chaque victoire et ça, c’est magique.
Ça fait 9 ans que je suis sur la plateforme, 9 ans qu’on partage ça, et je vais continuer parce que mes lecteurs et moi, on forme une vraie communauté, et je tiens à ça, à eux. Il y a aussi tellement d’auteurs en devenir qui viennent sur mon fil me remercier de mon honnêteté ! Après tout, ce qui les différencie de moi c’est un peu de temps et un contrat de publication. Quand on écrit, on traverse exactement les mêmes épreuves au quotidien. Ce n’est pas une question de carrière, quand on se retrouve assis à écrire, on fait tous face aux mêmes démons.
Pour ce qui est de la légitimité, c’est un peu la même chose aux USA : on a un système de notation avec des étoiles, mais les personnes qui donnent ce genre d’avis sont souvent des professionnels d’un certain âge. Autant dire, pas tout à fait l’âge du lectorat… Je veux dire, si un homme de 35 ans encense mon livre dans sa critique c’est génial. Par contre, je ne veux pas le voir dénigrer ce que j’ai écrit. Que les aventures de jeunes adultes en devenir ne soient pas sa came, c’est bien normal. Ce n’est pas pour lui que je les ai écrites à la base. J’aimerais vraiment voir plus de retour de la part des lecteurs que je vise vraiment avec ce que j’écris, pas de la part de professionnels avec une certaine position de force, de pouvoir.
Les critiques sont encore perçues comme une voix officielle, mais ils ne délivrent pas une vérité générale. Nos livres sont pour ceux qu’ils touchent. On me demande souvent comment je me sens vis-à-vis des mauvaises critiques, mais… je m’en fiche. Si mes livres ne résonnent pas avec un lecteur, très bien, ce n’est pas grave, ils toucheront quelqu’un d’autre. Nous devrions bien plus nous concentrer sur les gens qui aiment ce que nous produisons et sur l’audience que nous visons, plutôt que de cultiver une espèce d’autorité critique comme force supérieure.
C’est immensément libérateur de faire ce choix, ça m’a permis de me concentrer sur des personnages queer. Et en tant qu’auteure gay, c’était vraiment important pour moi de pouvoir le faire. Alors ça a été incroyablement frustrant d’apprendre que l’édition russe censurait un passage aussi important. Et pourtant, techniquement, ça représente à peine deux pages. Mais ce sont deux pages qui expliquaient le passé et la relation entre Rhy et Alucard, deux pages à propos de leurs identités, de l’identité tout court.
Bon alors bien sur, il m’arrive encore de recevoir des tweets de lecteurs qui découvrent la série et qui me demandent « Mais pourquoi faut-il toujours rendre les choses aussi gay… » ou encore avant même de s’en rendre compte, ils postent des messages du style « J’adore vraiment cette lecture, dites-moi que ça ne va pas devenir super gay… ». Alors je réponds « Désolé de casser l’ambiance, mais tu devrais probablement t’arrêter dès maintenant ». Après tout, je n’ai pas le temps pour ça.
On en a parlé plus tôt, peu m’importe, si certains n’aiment pas mes histoires ou le fait que mes personnages soient queer, parce que pour d’autre, c’est vital. Il y en a pour qui un personnage comme Rhy est essentiel. Et je ne parle pas seulement de sa sexualité, je ne cantonne pas mes personnages à une seule caractéristique de toutes façons. En tant qu’auteur, on a le choix de faire apparaître (ou non) des personnages queer dans nos livres, mais beaucoup pensent qu’ils doivent être parfaits, sur un véritable piédestal, parfois même au point d’en perdent leur humanité. Eh bien, je ne suis pas capable d’écrire ce genre de personnages.
Je trouve ça bien plus intéressant d’explorer les tares et les défauts de l’âme humaine. C’est pour ça que je suis si heureuse de donner vie à des personnages queer, bisexuels ou même ouvertement gay. Je suis prête à prendre ce risque et à faire face aux critiques si ça me permet de créer des personnages certes imparfaits, mais authentiques et qui paraissent réels dans un monde où leur genre, leur sexualité ou encore leur race ne les définissent pas.
Ce ne sont pas les traits les plus importants de leur personnalité et ils ne sont certainement pas décisifs pour la vie qu’ils mènent et partagent.
Schwab, V.E., trad. Sarah Dali – Shades of magic T.1 – Editions Lumen – T.1 9782371021167 – 15 € | T.2 9782371021518 – 16 €
Par Fasseur Barbara
Contact : bf@actualitte.com
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