Édition et blockchain, NFT et intelligence artificielle, une partie du monde du livre s’y intéresse depuis plusieurs mois : NBE éditions saute le pas. La maison lancée en 2012 par David d’Equainville publie le premier « méta-livre », disponible en librairie depuis ce 18 novembre, enfin pas intégralement... En parallèle de la version papier, une collection de NFT a été créée par l’Intelligence artificielle (IA) de la startup Selas AI. Chacun révèle une bribe de l’œuvre, ou quand le monde de l’édition traditionnelle rencontre le Web 3.0.
Le 19/11/2022 à 09:21 par Hocine Bouhadjera
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19/11/2022 à 09:21
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En quelques mots ? Eh bien voici :
image si dégoûtante. javoss eldremswent wal sd je xe ccwprebkis dks cs qui wetawd arfsve rkns zk cobpusicx de va nist js me fkppezkis zk vowh de pranqy me nisabd toid va lien betoibne ryrmif alofc quwv me bemehdait ku lwd2.
Ce matin-là, nous sommes tous descendus à pied à la plage. Je marchais honteuse et maladroite, endolorie, gênée par le regard de ma mère qui ne me demandait rien…
Ce passage est tiré de Cellule 381. Archives d’une escort-girl internationale, de Maria Roma, disponible depuis ce 18 novembre. « Le projet est né de la rencontre avec l’auteure, escort, qui souhaitait raconter son histoire », raconte à ActuaLitté l’éditeur de l’ouvrage, David d’Equainville. Plusieurs éléments n’étaient pas publiables en l’état pour des questions de confidentialité ou de degré d’intimité. Une idée a alors fait son chemin : proposer un texte dont certaines parties sont cryptées.
On l’aura compris, la partie illisible nécessite d’être déverrouillée. Pour y accéder, il faut se rendre propriétaire d’un NFT Cellule 381. Pour un prix entre 0,06 ETH (72,74 $ au 18 novembre), et 0,3 ETH (363,69 $), en fonction des trois niveaux de secret des passages, le lecteur, qui se sera procuré l’un des 39 NFT, aura « l’exclusivité » du fragment chiffré dans le texte, qu’il sera le seul à découvrir. En outre, il détiendra une œuvre originale, créée par Selas AI, plateforme fournisseuse d’IAs dites génératives.
« Ce sont des images nées des mots de l’auteur », poursuit David d’Equainville qui a découvert, à l’occasion de ce projet, toutes les possibilités offertes par l’IA. Les acquéreurs de la version papier auront de leur côté les illustrations du texte crypté : « Ceux qui souhaiteront, après avoir vu l’image, avoir accès au paragraphe, pourront utiliser le QR code présent sur la page, et s’appuyer sur un tutoriel pour se rendre propriétaire du NFT en question », ajoute l’éditeur.
Rappelons qu’un NFT est un certificat de propriété digitale délivré lors de l’achat d’un objet numérique, comme une image, une vidéo ou le premier tweet du créateur de Twitter. Grâce à la blockchain, l’authenticité et la traçabilité de l’objet acheté sont garanties, ce qui en fait une pièce unique et potentiellement de valeur, comme une peinture signée par son créateur.
NBE éditions.
Pour réaliser ce projet, David d’Equainville a présenté les principes de ce « méta-livre » à la startup française, avec qui il a co-construit l’œuvre. Aujourd’hui, Selas AI se positionne en tant que fournisseur d’outils et des dernières technologies plug & play « pour des clients souhaitant créer ou améliorer un produit, boosté à l’intelligence artificielle ». Elle explique réunir les différentes fonctionnalités issues des articles de recherche les plus récents sur le sujet, certes souvent disponibles sous forme de services ou produits, mais de manière dispersée.
« Durant une ruée vers l’or, ceux qui s’en tirent le mieux vendent les pioches, les pelles et les cartes, et il est vite pénible de ne pas trouver l’ensemble de ces outils dans le même magasin, qui plus est à des prix rédhibitoires », avance Antoine Aparicio, directeur marketing de Selas AI, afin de rendre compte du type de service proposé.
Innovation dans le vieux monde du livre
Si NBE éditions n’abandonne pas le papier, l’ambition est grande : ouvrir le monde de l’édition aux nouvelles fonctionnalités numériques qui offrent un large champ d’innovation. « Comment questionner le modèle du livre et ses potentielles évolutions, sans perdre la valeur de son point de départ, l’imprimé », interroge David d’Equainville, certain d’une chose : « L’édition à tout à gagner à se pencher sur ces outils, dont l’IA générative. »
Ces algorithmes, dits « Modèles de diffusion latente », comme DALL-E, lancé en janvier 2021 par OpenAI, Imagen ou Stability, prennent « du bruit », d’abord aléatoire, qui peut être conditionné avec un texte ou une image. Et ce, avant d’ajouter plus de « bruit », de manière itérative et calculée, jusqu’à obtenir un résultat net et espéré. En 2015, une première avancée de l’intelligence artificielle avait abouti à la création d’une légende pour une image, soit une première traduction d’une image en mots.
Cet objet littéraire non identifié, NBE éditions lui a donné son nom : méta-livre : « Outre la dimension marketing, renvoyant à cette notion, finalement assez floue, de “métavers”, l’étymologie du préfixe meta, qui signifie “au milieu, avec, après”, est en revanche très claire. “Avec” les acteurs de la chaîne du livre, et “après” le développement de nouvelles approches en s’appuyant sur la technologie, comme le livre s’est appuyé sur l’imprimerie pour se démocratiser. »
En revanche, David d’Equainville en est bien conscient : il est encore très difficile pour beaucoup de se créer un portefeuille électronique et de naviguer dans cet univers décentralisé et complexe du web 3.0. C’est pourquoi, dans une idée « d’inclusion » de tous les publics, il est d’ores et déjà possible de s’inscrire sur le site, afin de participer aux futures rencontres avec l’auteure, non pas en virtuel, mais bien en librairie.
Autre problématique de toutes ces nouvelles formes hybrides, en pointe de l’innovation : le statut juridique de ces productions. Pour les NFT affiliés à la collection Cellule 381, l’auteure Maria Roma va toucher un pourcentage des ventes des œuvres numériques. L’autre question qui se pose est relative à l’utilisation des millions d’images qui ont permis la création de ces œuvres.
En France, un rapport de mission sur les enjeux juridiques et économiques de l’intelligence artificielle dans les secteurs culturels a été publié en 2020 par le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA). Le rapport avait considéré que le droit positif, dans une nouvelle lecture des critères, devait recevoir les réalisations culturelles de l’IA. Dans cette optique, un droit spécial doit permettre une protection ajustée.
L’article 4 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, a mis en place une exception « fouille de données », dédiée aux usages de l’IA. Néanmoins, la directive prévoit également l’exercice possible d’un opt-out par les titulaires de droit, qui accorde un retour à la réservation.
De ce fait, le rapport affirmait aussi la nécessité de trouver d’autres solutions d’accès à une utilisation facilitée des contenus protégés, tout en assurant la défense des ayants droit. Il proposait ainsi des « licences générales volontaires », qui pourraient favoriser chaque partie.
“La générative AI est en train d’exploser”
Qu’est-ce que ce mariage de web décentralisé et de pointe peut apporter concrètement au monde du livre traditionnel ? Pour Antoine Aparicio, d’abord une expérience communautaire : « David [d’Equainville] possède une identité de marque, connaît son audience. Il doit donc réfléchir à comment créer plus d’engagement autour d’un univers partagé, ou encore inconnu d’une partie de sa cible. C’est d’ailleurs une logique que l’on retrouve pour toutes les industries. » À quoi s’ajoute, toujours selon le directeur marketing, un enrichissement de l’« idéation créative ».
L’équipe de Selas AI se rencontre à l’école, le Wagon, l’été dernier seulement. Le CEO, Alexandre Lavallée, travaillait, pour son projet d’étude, sur le développement d’une IA qui serait capable de détecter sur une image, les mouvements artistiques (cubisme, pointillisme, impressionnisme...) qui ont inspiré cette œuvre, et ce, en pourcentage. « Au départ de la “hype” autour de la très récente générative AI se trouvent 5 acteurs, parmi lesquels des géants comme Google ou Microsoft, et nous », explique Antoine Aparicio.
Il continue : « La generative AI est en train d’exploser, chaque jour elle s’améliore à une vitesse folle. » Ce sont les communautés open source qui permettent cette progression rapide et constante, reprise par le secteur privé dont le développement futur passe nécessairement par l’incorporation de l’IA dans différentes industries pour des cas d’usages spécifiques.
Ces derniers se concentrent sur une accessibilité maximale de la technologie pour le plus grand public possible, afin d’en démocratiser l'usage, avec des enjeux de consommation cloud en arrière-fond. Ils s’appuient pour cela sur leurs très nombreuses machines de calcul.
Si les moyens divergent radicalement entre la petite entreprise et les géants du web et ses millions, voire milliards engagés, la start up affiche des performances élevées. Sa cible sont les entrepreneurs, PDG et chefs de produit avec un certain degré d’autonomie en développement web.
À LIRE: L'intelligence artificielle au service du livre et de la lecture
Pour sa part, NBE éditions se veut plus un outil d’accompagnement de projets éditoriaux qu’une maison classique, « qu’elle n’est pas ». En quête de sujets et d'approches originales, NBE sortira par exemple, le 28 novembre prochain le premier texte de François Schmit, Denthologie - Petite anthologie et autres maux sur les dents. Tout un programme - pas forcément informatique.
Crédits photo : Acapulco / NBE éditions
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 18/11/2022
256 pages
NBE Editions
18,00 €
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