Si l’on s’inquiète beaucoup du temps que passent enfants et adolescents devant leur petit écran de téléphone, on oublie parfois de réfléchir à ce que font les parents en la matière... Et ce n’est guère mieux, voire pire. Il est peut-être temps de s’interroger sur notre rapport au portable.
Le 02/01/2024 à 09:13 par Victor De Sepausy
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Publié le :
02/01/2024 à 09:13
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Aux yeux de certains penseurs optimistes, le taux de pénétration ultra rapide à l’échelle de la planète des smartphones est une bonne nouvelle pour les progrès de l’humanité. A la fin de l’année 2022, 54 % des personnes étaient équipées, avec 4,3 milliards de personnes ayant en main la géniale invention qui s’est démocratisée à partir du lancement en janvier 2007 du premier iPhone.
Une invention dotée d'un taux de pénétration historique
Cinquante ans après l’invention du téléphone portable, le succès est sidérant. Il y a aujourd’hui plus de plus de 8 milliards de smartphones en circulation, soit davantage que le nombre d’habitants sur notre planète. Si vous profitez des soldes sur les smartphones pour en acheter encore, on pourra bientôt en offrir aussi aux extraterrestres lorsqu'ils viendront nous voir... Quand on ne regarde que la France, 95 % de la population est équipée d’un mobile, et plus particulièrement 77 % possèdent un smartphone. Ce taux monte à 95 % chez les jeunes.
Résultat, il n’est pas étonnant que l’on passe en moyenne 32 heures par semaine devant un écran, qu’il soit petit ou grand, pour de la communication, du divertissement, ou dans un cadre professionnel, selon les chiffres de l’Arcep. C’est presque un tiers de notre temps de veille. Voilà une révolution considérable qui s’est établie en à peine deux ou trois décennies.
Plus de temps devant les écrans, c'est plus d'intelligence ?
Si Michel Serres, lorsqu’il a publié notamment Petite poucette (en référence au maniement si particulier du pouce sur l’écran du téléphone portable) en 2012 s’émerveillait devant les nouvelles possibilités ainsi offertes aux nouvelles générations, d’autres penseurs sont beaucoup moins optimistes. Aux yeux du philosophe auteur des Cinq sens (réédité en 2014), le gain était pourtant considérable.
Avoir un tel outil en main libère de l’espace dans notre tête, ce qui nous condamne à être plus intelligent. Plus besoin en effet d’apprendre des pages par coeur, comme par le passé. Plus besoin non plus de savoir où sont rangés les livres. Il suffit de demander à un moteur de recherche, et l’information tombe. C’est une révolution comparable à celle de l’imprimerie, et qui laisse à l’humain le champ libre pour explorer les possibles de sa créativité et son ingéniosité.
Mais avec le développement extrêmement rapide de l’intelligence artificielle, de nouvelles craintes sont en train d’émerger, et celles-ci touchent tout particulièrement au pré carré de l’humain jusque-là, à savoir la création, l’originalité, l’inventivité. Il est en effet possible de demander à une IA de générer du texte, de la fiction, mais aussi des images. Certes, l’IA ne crée rien à partir de rien...mais l’humain non plus...Toute démarche créative s’inscrit dans une forme de filiation, de dette.
La fabrique du crétin digital : Les dangers des écrans pour nos enfants (Seuil, 432 pages, 2019, 10,40 €)
L’ouvrage au titre inquiétant de Michel Desmurget est un beau succès de librairie, depuis sa sortie en 2019. Couronné du Fémina Essai, ce livre est éclairant. A commencer par le raisonnement mathématique que l’auteur met en œuvre : les jeunes passent aujourd’hui plus de temps devant un écran que devant leurs enseignants, que ce soit au primaire, au collège ou au lycée.
Les chiffres donnés sont des moyennes, bien sûr. Et certains parents cherchent à préserver au maximum leur progéniture des écrans. Mais la lutte est quotidienne, car la pression est sociale. Le problème du smartphone, c’est que vous avez beau chercher à donner à vos enfants tous les atouts que vous pouvez, c’est comme si l’extérieur s’invitait constamment chez vous, et pendant de longues heures...Comment lutter, si ce n’est en interdisant, ou en limitant drastiquement le temps d’usage ?
Docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, Michel Desmurget est un habitué des discours d’alerte et des titres fracassants (TV Lobotomie en 2011, et Antirégime en 2015). Cependant, il n’en est pas moins vrai que le constat fait peur. Surtout, l’auteur de cet essai polémique s’attaque à un mythe qui perdure, celui de l’apport considérable des nouvelles technologies au développement de l’enfant.
Si, dans quelques cas, il y a une appropriation bénéfique, au niveau de la population en général, les effets sont catastrophiques : hausse de l’obésité, comportements déviants, capacités intellectuelles attaquées (que ce soit au niveau de la concentration, de la mémorisation ou du développement du langage). C’est tout simplement que de très nombreux enfants aujourd’hui sont plus souvent face à un écran qu’en lien direct avec un autre enfant ou avec un adulte. Les conséquences sont forcément très importantes.
Ne manquez pas aussi le plaidoyer en faveur de la lecture lancé toujours par Michel Desmurget, avec son titre Faites-les lire !, publié au Seuil en septembre 2023. Sur ce dernier point, certains acteurs cherchent à réconcilier lecture et écran, et font le choix du tout numérique en matière de lecture, en proposant d'instaurer le modèle du streaming, qui est devenu presque la règle pour d'autres supports culturels.
La civilisation du poisson rouge : Petit traité sur le marché de l'attention (2019, Grasset, 167 pages, 7,70 €)
Signé par Bruno Patino, actuel président d’Arte, cet essai est lui aussi revigorant, même s’il est également alarmiste. Le titre s’explique par une comparaison sans appel : si les poissons rouges ont une durée maximal d’attention de huit secondes, celle des membres de la génération des millénials, ne vaut guère plus, avec simplement neuf secondes…
On plonge progressivement dans cette économie de l’attention si singulière où des dizaines de milliers d’entreprises se battent depuis le fond de votre poche pour vous prendre votre temps. Car, comme l’adage le dit depuis déjà quelques siècles, le temps, c’est de l’argent. Souvenons-nous au passage de ce qu’avait dit un peu trop ouvertement Patrick Le Lay (alors président de TF1) en 2004 dans une interview consignée dans l’ouvrage Les Dirigeants face au changement. Les risques sont démultipliés aujourd’hui, avec des algorithmes de plus en plus puissamment aiguisés pour nous pousser à regarder toujours et encore de nouvelles images.
Homo numericus : La « civilisation » qui vient (232 pages, Albin Michel, 2022, 20,90 €)
Si l’on se tourne un peu l’avenir, il faut regarder du côté de l’essai de Daniel Cohen, qui s’interroge sur les conséquences à plus ou moins long terme des usages actuels en termes de nouvelles technologies. L’économiste met sa plume au service des interrogations de notre temps. Et il s’amuse au passage d’une société qui s’en remet à Tinder pour l’amour, aux réseaux sociaux pour l’information et la politique, tout en misant sur le télétravail et les algorithmes pour assurer les choix cruciaux à prendre tout autant quand il est question de recruter un nouveau collaborateur ou bien de réaliser un important investissement.
Marchons-nous sur la tête ? Peut-être...et peut-être pas. L’être humain a toujours été pétri de contradictions, pour le meilleur comme pour le pire. Si nous sommes de géniaux inventeurs d’outils toujours plus perfectionnés pour nous faciliter le quotidien, nous sommes aussi prêts à nous en rendre esclaves alors même qu’ils étaient pensés pour nous libérer...
Crédits illustration Pexels CC 0
2 Commentaires
JV
29/05/2024 à 17:13
"Algorithmes" et non "algorythmes" 😬
Team ActuaLitté
30/05/2024 à 08:03
Bonjour
écrit deux fois avec une orthographe fautive, c'est une preuve de bonne volonté, non ? :-)
Merci de votre coup d'oeil