Depuis des années maintenant, le Labo des histoires s’efforce de partager avec de jeunes publics le goût de l’écriture. Animés par des auteurs, des ateliers de découverte sont proposés à travers la France. Récemment, une convention tripartite avec les ministères de l’Éducation et de la Culture est venue consolider cet effort. Mais les auteurs s’inquiètent.
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Comme cela arrivera désormais, tout est parti des réseaux, et du message contrarié de Camille Brissot. Elle déplore la rémunération proposée par l’association qui représente la moitié de la somme logiquement due. Depuis trois ans maintenant, les organisations qui bénéficient du soutien du CNL sont tenues de respecter une grille tarifaire de rémunération.
Cette dernière, devenue référente au même titre que les tarifs de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse dont elle s’inspire, propose plusieurs modèles.
Alain Absire, président de la Sofia, autre organisme financeur du Labo, rappelle la règle : « Concernant la rémunération des auteurs participant activement à la manifestation ou l’action concernée, la grille unique de la Sofia est, pour la demi-journée : 253 euros brut, soit 229 euros net, et pour la journée complète : 419 euros brut soit 380 euros net. Cela signifie que nous ne fonctionnons pas en tarif horaire, mais en matinée ou après-midi d’une part (même si la participation de l’auteur n’est que de 90’) et en journée complète d’autre part si la mobilisation s’étale sur la journée. »
Et à chaque cas de figure est associé un montant, en droits d’auteur ou en salaire. Or, le montant proposé par le Labo, que dénonce Camille Brissot, est de 114 €, ce qui ne correspond à proprement parler à aucune des sommes avancées par le CNL. « Le tarif : 114 € la demi-journée, soit la moitié du tarif Charte… On a donc une association qui se pose en intermédiaire entre les auteurs et les médiathèques/bibliothèques, en nous imposant au passage une baisse de tarifs. »
Charles Autheman, délégué général du Labo des histoires, nuance : « Nos ateliers durent 1 h 30, ce qui représente bien deux interventions maximum pour une demi-journée. Les auteurs sont libres d’accepter ou de refuser, nous ne contraignons personne. »
Et dans le cas des interventions proposées à Camille Brissot, il ajoute : « Nous lui avions proposé six heures d’ateliers, soit quatre interventions. À notre tarif, elle percevait 456 €. Les auteurs n’ont pas la même interprétation que nous sur les tarifs du CNL, mais ils oublient plusieurs choses. »
La première, indique-t-il, c’est que le public du Labo, de jeunes enfants, ne peut pas être tenu attentif au-delà de 90 minutes. « À ce titre, nous rémunérons donc pour la moitié d’une demi-journée, puisque l’auteur n’intervient pas durant la totalité de cette demi-journée. Et nous prenons en charge les frais de déplacement. »
Il ajoute : « Payer une demi-journée est une approche en désaccord avec les pratiques. C’est une question de bon sens. »
Du côté de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, la présidente Samantha Bailly voit rouge. « Voilà trois ans, alors que l’association percevait des subventions, elle demandait aux auteurs d’intervenir bénévolement. Le tarif de demi-journée est un montant forfaitaire, et le Labo n’a pas à s’accommoder de ce que le CNL a établi, pour inventer des tarifs horaires. »
D’autant plus, et le projet À l’école des arts et de la culture, porté par Françoise Nyssen et Jean-Michel Blanquer, l’a rappelé, que le Labo est devenu un interlocuteur privilégié pour les ministères de l’Education nationale et de la Culture. « Auréolés des différents logos institutionnels de leurs partenaires, ils vont finir par imposer un montant de rémunération qui terminera de desservir les auteurs. »
Si l’on accepte cela, c’est à terme la mort des tarifs que @CharteAuteurs a réussi à imposer après des années de bataille. Pourquoi une médiathèque nous inviterait-elle directement si le Labo des histoires peut leur proposer la même intervention moins cher ?
— Camille Brissot (@CamilleBrissot) September 7, 2018
Côté Labo, on apprécie mal : « Que personne ne veuille entendre qu’une demi-journée puisse être sécable est incroyable. On entre dans une logique absurde, où un auteur qui ferait 3 heures d’intervention percevrait autant qu’un autre qui ne ferait que 90 minutes. » Et de rappeler qu’un tiers du budget de l’association est dévolu à la rémunération des auteurs...
« Si notre modèle économique ne fonctionne plus, alors on s’arrêtera. Et il faut rappeler que nous travaillons avec d’autres prestataires, qui coûtent moins cher. Si je cherchais à faire des économies, je ne solliciterais plus les auteurs. »
Il arrive que nous soyons dans l’incapacité de proposer deux ateliers dans une même demi-journée et dans ce cas nous proposons aux intervenants qui animent les ateliers de faire ces ateliers sur deux demi-journées différentes
— Labo des histoires (@labdeshistoires) September 7, 2018
Le problème, pointe Marie Sellier, présidente de la Société des gens de Lettres, est que la décision du Labo a été prise de façon unilatérale. « Il n’y a eu aucun accord avec la Charte et la SGDL concernant un fractionnement de la demi-journée d’intervention. »
Samantha Bailly abonde : « Le cas de Camille Brissot n’est pas isolé. Que des auteurs acceptent, eux, des aménagements, ça les concerne. Mais que le Labo ne respecte pas les tarifs en inventant sa propre règle en “heure”, c’est inadmissible. C’est tout de même un comble que de demander aux plus démunis du secteur de l’édition de travailler en deçà des tarifs. Cette histoire aurait dû être réglée depuis bien longtemps. »
Le labo s’estime pourtant compréhensif à l’égard des auteurs. En effet, en vertu de la circulaire de février 2011 sur la rémunération en droit d’auteur, un cadre est imposé. « Le texte limite le nombre d’ateliers pour lesquels un auteur peut être rémunéré justement en droit d’auteur entre 3 à 5 par an. » Or, l’association ne serait pas trop regardante sur la question, justement pour ne pas limiter les auteurs.
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« Mais c’est n’importe quoi », fulmine Samantha Bailly : « Dans ce cas, que le Labo paye les auteurs en salaires, avec les charges que cela implique. Le tableau du CNL est très clair à ce sujet. »
Les tarifs de la Charte existent depuis 1975. Ce sont des tarifs à la demi-journée pour une raison précise : on ne peut pas compter seulement le temps d’intervention sur place d’un auteur. Une rencontre, c’est une préparation, des échanges en amont, une construction avec les enseignants ou les bibliothécaires.
Ce principe du forfait englobe plus que le temps passé à animer une rencontre. Ces recommandations ont été établies après étude et analyse du marché et tiennent compte de l’augmentation annuelle du coût de la vie, protégeant le pouvoir d’achat des auteurs. Depuis 1975, les bibliothèques, médiathèques, établissements scolaires, font intervenir les auteurs en s’appuyant sur ces tarifs, qui ont permis à chacun de fixer ses droits et ses devoirs.
« À aucun moment nos partenaires n’ont essayé de diviser en heures, comprenant très bien ce que recoupe la demi-journée dans sa philosophie : un forfait pour tout le temps passé, amont, présence et aval. Le CNL et la SOFIA en ont fait une condition d’obtention de subvention », relève Samantha Bailly.
« C’est devenu un acquis social pour les auteurs jeunesse, acquis social qui, on l’a vu au moment de #Payetonauteur et Livre Paris, commence à irriguer les autres secteurs. Remettre en cause cela, au moment où l’éducation artistique et culturelle est une priorité politique, où l’on exprime la nécessité de faire intervenir des auteurs et des artistes, c’est une attaque directe au peu d’acquis sociaux qu’ont les auteurs. »
Pour la présidente de la Charte, ce cas de figure, comme d’autres, montre l’urgence à réviser la circulaire de 2011, pour clarifier plus encore la situation. « Exploiter le flou qui règne atteste de ce qu’il faut des directives plus nettes. Si les auteurs sont un sujet prioritaire pour Françoise Nyssen, alors la mise en conformité du Labo est également prioritaire. »
Prendre des mesures, et pourquoi pas en passant par la loi elle-même, pour encadrer la question de la rémunération, s’imposera peut-être. « Cette base n’est pas suffisante, nous le constatons trop régulièrement. Rémunérer les auteurs est obligatoire pour percevoir une subvention, mais trop d’organismes agissent comme s’il s’agissait de préconisations tarifaires aménageables. »
Dessin de Anouk Ricard - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
La Sofia a accordé deux aides au Labo, la première en 2013, et la seconde cette année 2018 pour l’ensemble des activités concernées. En revanche, le président est ferme : « Sur la rémunération effective pratiquée par le Labo cette année, nous n’avons pas encore reçu le rapport moral et financier de l’association. Comme toujours nous y porterons la plus grande attention, sachant qu’un auteur ne peut, selon nos propres règles, être rémunéré à l’heure, ce qui reviendrait à lui imposer un manque à gagner inacceptable pour la Sofia. »
Charles Autheman insiste cependant : « Nous sommes au centre des attentions, parce que les auteurs – à raison – font valoir des revendications propres. Mais nous ne pourrons pas remplacer les ventes de livres ni n’en avons la vocation. La Charte estime que les conditions d’aide pour les événements s’appliquent également aux associations et nous nous y conformons. »
Avec cette nuance que le Labo plaide pour l’instauration d’un modèle adapté en fonction de leurs actions. « La difficulté aujourd’hui réside dans l’application de cette grille et le maintien d’un équilibre dans nos actions et activités. Nous demandons la possibilité de fractionner les demi-journées pour garder une cohérence avec la réalité. »
Les tarifs de la Charte manqueraient-ils de souplesse ? « C’est un peu cela, et, surtout, on ne peut pas attendre de nous que l’on résolve tous les problèmes de précarité des auteurs. » Considérant que le Labo « cherche pour chaque atelier, la personne la plus compétente et ce sont bien souvent des auteurs. Notre référentiel reste le tarif Charte, mais on a besoin d’être entendus ».
Le tout en lorgnant du côté du ministère de la Culture, « et son absence de position sur la directive 2011 concernant les revenus annexes ».
Il reviendra au CNL de pouvoir donner des consignes, sinon des recommandations, bien que l’établissement n’ait pas de pouvoir de contrainte. Sollicité, le président de l'établissement – qui a octroyé 170.000 € au Labo en 2017 et 100.000 € en 2018 – est catégorique.
L’aménagement des tarifs de rémunération des auteurs que l’établissement recommande, pour bénéficier des aides, « n’est pas à l’ordre du jour. Le CNL réunira prochainement les représentants des auteurs et du Labo des histoires », nous indique Vincent Monadé.
Et de rappeler : « Le CNL demande à toutes les structures qui font intervenir les auteurs et bénéficient de ses subventions de suivre les règles de rémunération édictées par son conseil d’administration. » À ce titre, rien ne pourrait exempter le Labo de mettre en œuvre les tarifs recommandés en vertu des principes de demi-journée.
Sauf qu’à cette heure, le Centre ne dispose d’aucun « pouvoir réglementaire. Si la grille tarifaire n’est pas respectée, la structure en cause risque de ne plus être subventionnée à l’avenir. » Il faudra se tourner vers les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture, qui ont apporté un soutien fort au Labo, pour son engagement dans l’Éducation Artistique et Culturel – à une hauteur de près de 150.000 €.
mise à jour 3 octobre - 18 h
Un courriel envoyé par le délégué général du Labo des histoires aux différentes parties impliquées – SGDL, Sofia, Charte et CNL – fait état d'un recadrage dans les politiques : le voici reproduit dans son intégralité.
Je tiens à préciser que le Labo des histoires applique la rémunération forfaitaire recommandée par le CNL, la Sofia et la Charte depuis novembre 2017 pour les auteurs qui animent des ateliers d’écriture. Il nous est arrivé, lorsque nous étions dans l’incapacité de proposer deux interventions sur une même demi-journée, de proposer aux auteurs qui l’acceptent de fractionner ces interventions sur deux journées différentes.
Nous comprenons que cette pratique suscite des débats. Nous avons donc décidé de re-préciser à nos antennes sur le terrain qu’en ce qui concerne les auteurs la demi-journée ou la journée d’intervention n’est pas fractionnable.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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