HIVER2024 - En cette année 1994, nombreux sont les étudiants à gravir les marches de l’école des Beaux-Arts pour venir écouter, dans son atelier niché sous les combles, le séminaire de Christian Boltanski. François Jonas, le narrateur, boit ses paroles.
BONNES FEUILLES - Sa première rencontre, fortuite, avec l’artiste date de 1986, alors que, tout jeune homme, il erre dans le dédale de la Pitié-Salpêtrière, où son père vient d’entrer aux urgences. Noué par le chagrin et par l’angoisse, il emboîte le pas décidé d’un homme en blouson de cuir se dirigeant vers la chapelle.
Fasciné par ce qu’il y distingue dans la pénombre – des photos en noir et blanc de filles et de garçons, des boîtes, des cierges, des ampoules –, il lui pose la première question lui venant à l’esprit : Vous êtes de la famille ? Ce dernier hommage à une classe d’adolescents fauchés par le destin (dans l’incendie du collège Pailleron, en 1973) se révèle une installation de l’inconnu qui lui répond, Boltanski lui-même.
Cette rencontre va déterminer son existence. Car, après avoir tenté, par fidélité à la mémoire de son père notaire, mort ce jour-là à l’hôpital, de se couler dans la tradition familiale en suivant des études de droit, le jeune homme décide de devenir artiste.
Pendant ses années de formation, ses relations avec Christian Boltanski deviennent quasi filiales, de même qu’il noue une tendre complicité avec Annette Messager. Le seul lien qu’il garde avec sa famille se résume désormais à sa fascinante tante Irène, vivant depuis toujours recluse dans son vaste appartement du boulevard Saint-Germain, où est venu s’installer l’étudiant.
Dès lors, François Jonquet, écrivain vibrant et critique d’art avisé, va dessiner, dans ce roman initiatique, le portrait du jeune homme en artiste, tout en nous entraînant dans une vertigineuse plongée dans le milieu de l’art contemporain, qu’il connaît parfaitement.
Si François, son protagoniste, est de pure fiction, les détails concernant le monde dans lequel il évoluera, ses études achevées, sont parfaitement documentés – de même que le sont ceux concernant le couple Boltanski-Messager.
C’est d’ailleurs l’une des originalités de ce livre : avec leur accord, l’auteur fait de Christian Boltanski et Annette Messager, artistes internationalement célébrés, des personnages de roman.
Même si le modèle de ses deux mentors reste très puissant, et peut-être pour s’en affranchir, l’artiste en devenir ne tarde pas à céder aux sirènes d’un milieu où l’argent et la spéculation sont rois. Un camarade de promotion, aussi talentueux que dénué de scrupules, lui ouvre la voie de la roublardise.
Sa rencontre amoureuse avec Aimée, une galeriste expérimentée, et la découverte qu’ils font ensemble, aux puces de Saint-Ouen, d’une tête de la Joconde en cire, font basculer sa carrière naissante.
Aimée, grâce à son carnet d’adresses, trouve un ciroplaste de talent pour fabriquer des mains à Mona Lisa, elle fait appel aux costumières du Français pour l’habiller. La «manière» de François Jonas est née et cette pièce, qu’il intitule «Sans légende», sera la première d’une longue série où il reconstituera en cire les chefs d’œuvre de l’histoire de la peinture.
Le désir des acheteurs habilement attisé par la galeriste, la cote de Jonas monte. En très peu de temps, le voilà propulsé dans le très étroit cercle des artistes stars. Les expositions s’enchaînent, ses «Sans légende» s’arrachent pour des sommes stratosphériques, lui-même vit dans un tourbillon de voyages, de vernissages, de soirées folles avec des collectionneurs, tout en dirigeant une entreprise de plus de cent personnes, au travail à produire pour lui ses nouveaux «Sans légende».
Sous la plume acérée de l’écrivain, la satire de ce monde est féroce et passionnante, sans que jamais pourtant le portrait qu’il brosse perde de son empathie pour l’orphelin qu’est resté son attachant personnage, émouvant même dans ses pires moments, et notamment dans la constance du lien qu’il garde avec ceux qui lui ont tout appris.
Les éditions Sabine Wespieser nous proposent le premier chapitre de l'ouvrage :
François Jonquet est né en 1961. Il débute en tant que critique d’art et de cinéma, notamment pour L’Événement du jeudi, Le Quotidien de Paris, Globe-Hebdo et Télérama. Responsable des pages « Arts plastiques » pour Nova, entre 1997 et 2004, il collabore aujourd’hui à Art Press et est membre de l’Association internationale des critiques d’art. Après avoir vécu de longues années à Berlin, il est désormais réinstallé à Paris. Il a écrit en 2001 une biographie de Jenny Bel’Air, figure mythique des nuits parisiennes (Jenny Bel’Air, une créature, Pauvert, 2001 ; Points 2021).
Son ouvrage consacré aux artistes contemporains britanniques Gilbert & George (coédition Phaidon- Denoël, 2004 ; Les cahiers rouges, Grasset, 2016) a connu un succès international. Il est également l’auteur des Années Palace, un documentaire diffusé sur France 5 en 2005. En 2018 a paru au Seuil le récit de son amitié avec Valérie Lang, Je veux brûler tout mon temps.
Chez Sabine Wespieser éditeur, il a publié un récit, Daniel (2008), hommage au comédien Daniel Emilfork, ainsi que deux romans : Et me voici vivant (2006) et Les Vrais Paradis (2014).
DOSSIER - Rentrée d'hiver 2024 : les sorties de livres à ne pas manquer
Paru le 04/01/2024
246 pages
Sabine Wespieser Editeur
22,00 €
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