PODCAST – Ah, les vacances : ces lectures paisibles, sans contrainte, pour simplement passer le temps. Car, enfin, on l'a, le temps : on le tient et entend bien en profiter pour se faire plaisir avec des ouvrages aussi léger que la brise...
Le 06/08/2023 à 15:54 par Nicolas Gary
1 Réactions | 614 Partages
Publié le :
06/08/2023 à 15:54
1
Commentaires
614
Partages
L'Humeur de Morris est une chronique satirique, proposée par ActuaLitté. Avec un convive qui nous régale d'opinions qui filent parfois des coups de soleil.
ActuaLitté : L’édition la redoute et quand nous, nous l’endurons : voici L’Humeur de Monsieur Morris. J’imagine que vous nous rendez visite, lassé de désensabler votre serviette de bain ?
Monsieur Morris : Dis, tu connais les livres de l’hiver ? Nan ? Pourtant, t’identifies bien ceux de l’été, non ? Les livres de plage. T’as déjà essayé de lire au soleil, allongé dans des positions acrobatiques, le bras ankylosé, la nuque fracassée, tenant à bout de bras les 1400 pages des Bienveillantes ? Que du plaisir !
Les livres de l’été sont promis à un destin de libellule, sans l’élégance : ils finiront leur courte vie échoués sur la plage (!) arrière d’une voiture, flingués par le soleil qui justifiait leur existence. Couverture racornie, pelliculage effrité, papier jauni, couleurs délavées, et la colle, sensée maintenir le tout en place, qui se débande allègrement. Le déshonneur pour la profession.
ActuaLitté : Voilà qui nous vaudra quelques cartes postales d’imprimeurs : nous vous les garderons au chaud…
Monsieur Morris : Au mieux, ils échoueront sur l’étagère d’un gîte, parcourue d’un regard dédaigneux qui s’étonne des goûts calamiteux du bailleur. Ou alors ils finiront dans une boîte à livres et l’emprunteur, qui ne sera pas parti se dorer la bedaine, s’émerveillera d’y trouver, entre les pages, du sable et, pour marque-page, le tarif d’un loueur de pédalos taché d’huile solaire.
ActuaLitté : Allons, Monsieur Morris, ce sont des secondes vies pour ces ouvrages. D’autant que tout le monde en parle, de ces livres : c’est positif cela !
Monsieur Morris : Du crime en bande organisée, oui !
Frappée d’une louable frénésie, la grande presse, alliée de l’édition, s’épaulant au gré des regroupements capitalistiques, y va de ses conseils : « Les livres de l’été », « Les livres que vous emporterez en vacances » voire même, faisant fi de la liberté individuelle, « Ce que vous lirez à la plage ». Le tout alternant avec les « Recettes fraîcheur », les « Dangers du soleil », et les « Quizz sur les amours de vacances ». Livre et tube de l’été, même combat !
Dans le sérail, il est de bon ton de critiquer les autrices et auteurs des livres de plage. Mais par jalousie ! Car elles et ils vendent plus que les autres... Dans les salons estivaux, elles et ils s’adonnent sans retenue à la dédicace. Mais limitée au prénom, c’est plus rapide : « – C’est pour vous ? - Non, c’est pour ma mère, mettez-le à Josyane, avec un igrec. ». Et elle ou il s’exécute.
ActuaLitté : Attendez ! Lire reste une noble activité ! Louable, même, qu’il faut encourager !
Monsieur Morris : Oui, enfin, si le livre est un marqueur social, l’été, le livre, il joue la trêve. Parce que celle ou celui qui en pince pour Milan Kundera ou Erri de Luca brandira sans trembler son Gavalda sur le sable ! Mais y’a pas faute ! Tout ça, c’est à cause du soleil. On ne lit pas Balzac, Kafka ou Tchékov à l’ombre des cocotiers. Ni au camping d’Oléron... De la même façon qu’en vacances, on boit du rosé ! Et pas du meursault (ni celui qui contre-enquête, hein) !
Ceci étant, la diversité ne manque pas pour autant, hein !L’amour, toujours, bien sûr ! L’histoire, la grande, s’entend ! Les enquêtes policières, façon thrillers. Les turpitudes familiales, avec spoliations et héritages détournés !.... Rien ne fait défaut ! Voilà le rêve éveillé de l’éditeur : une-littérature-populaire-de-qualité.
ActuaLitté : N’est-ce pas la recette magique que tout éditeur recherche ?
Monsieur Morris : Mais sans négliger le tragique, tendance gore, qui ne fait plus peur ! Ni le sang, ni l’inceste, ni la violence physique ou morale, ni la domination jusqu’aux dernières extrémités. Même un peu de séquestration ne nuira pas, cave humide comprise avec cordes et éventuelles mutilations...
Ce qui est sûr, c’est que le livre de l’été n’est plus synonyme de littérature heureuse. Le monsieur n’épouse plus la dame à la fin. Et ils n’auront pas d’enfants, parce que ça fait des saletés et que ça crie tout le temps. Voilà le diktat : à chaque étage : Double income, no kids ! Il faut sauver la planète à tout prix, au besoin par la grève du ventre.
ActuaLitté : Quel délicieux portrait de nos concitoyens… Le livre de l’été serait un produit commercial avant tout ?
Monsieur Morris : Mais enfin, qu’est-ce que tu crois ? Il faut que le client en ait pour son argent. Donc, un bon gros pavé. Accessoirement imprimé en gros caractères, avec une belle image en couverture qui se voit de loin. Pas du toutversé dans des préoccupations genre développement durable… Au passage... Il faut clamer à la face du monde qu’on fait partie de la race des seigneurs ! De ceux qui achètent des livres et qui n’abdiquent pas ! De ceux qui, pendant deux à quatre semaines par an montrent l’exemple de la lecture à leurs enfants…
Et son prix ? Tu vas rire ! Le livre de l’été se vend au même prix qu’un ouvrage de fond qui aura pris six ans de travail à l’auteur. La Twingo, au tarif de la Jaguar. Le libraire, qui est aussi un commerçant, y trouve son compte, bien sûr, même si, in petto, il ressent un profond dédain pour cette sous-littérature, dont les piles concurrencent les fraises Tagada et les bouteilles d’eau. Un métier ingrat et complexe, ch’te te dis.
ActuaLitté : Et je sens que le meilleur, vous l’avez gardé pour la fin…
Monsieur Morris : Oh que oui, mon lapin ! Allez, tu vas me servir d’exception confirmant la règle : combien, toi, un mâââle, t’en lis de bouquins, par an ? Allez, en comptant les aventures de Spider-man !
ActuaLitté : De livres ? Oh, je dirais une quarantaine, grosso modo… Attendez : avec Spider-Man ? Ah, une centaine plutôt !
Monsieur Morris : Ben voilà : t’es bien le contre-exemple parfait ! figure-toi que le lecteur de l’été reste... une lectrice ! C’est comme ça. Je ne le déplore pas, je ne le glorifie pas, je le constate. Tiens, la prochaine fois que tu prends le train, compte, dans une rame, au hasard sur Paris-Caen, le nombre d’individus les yeux rivés sur un smartphone et ceux sur un bouquin. Les premiers ? Des hommes. Les seconds ? Des femmes ! Que-des-fem-mes ! La victoire de Louise Michel et de Sandrine Rousseau ! Les plus fanatiques iront même jusqu’au protège-livres en crochet...
La voilà, la cible. Le livre de l’été est écrit, conçu, publié et en vente pour ces dames !
D’ailleurs, l’homo vacancis masculinus ne s’encombre jamais d’un panier ou d’un sac de plage où loger, entre le goûter des enfants, la crème solaire, le paréo et le doudou du petit, son gros roman de l’été. Au mieux arbore-t-il des lunettes de soleil, un peigne dans le slip de bain, et autour de la taille une vague banane pour ranger les clés de l’auto, ses papiers et de quoi payer l’apéro. Le mâle, dans toute sa splendeur.
ActuaLitté : Et c’est pour cela que vous êtes dans tous vos états ?
Monsieur Morris : Tu sais, des étagères de bibliothèque débordant de ces lectures estivales avec des infirmières éprises de chirurgiens, des enfants bêtement méchants et cruels, des haines familiales réchauffées, des avarices trop cuites… Cela finira par ressembler à un cauchemar !
Quand on aime la littérature vivante, le livre de l’été, je ne dirais pas que c’est un échec : ça n’a pas marché…
D’ailleurs, ma femme me dit toujours, en regardant « the voice », qu’elle pousserait bien la chansonnette elle aussi. Alors comme j’en ai écrit une petite pour illustrer tout cela, on va la chanter ensemble : ça te dérange pas, hein ?
Sur la plage abandonnée
Livr’ de poche et vieilles BD
ne seront pas le Goncourt de cette année Ça je l’aurais parié
Une fois l’été termine
on pourra recommencer
a abattre tout ce qui pousse en foret
Et faire de nouveaux pavés
Figure-toi : j’avais même l’option de “navets” a la place de “pavés”…. Tu préférerais ?
Actualité : Personnellement, j’ai une préférence pour les châteaux de sable, monsieur Morris. Et bonne fin de vacances…
Crédits photo : CC 0
DOSSIER - Vois Lis, Voix Là : le podcast de ActuaLitté
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
1 Commentaire
eMmA MessanA
07/08/2023 à 08:59
Eh bé, ça va en faire grincer des dents... de la mer !
J'ai donc réussi un tour de force au Salon du livre de l'Epine à Noirmoutier les 4 et 5 août, en signant (plus que juste un prénom, je vous rassure), mes recueils de poèmes !
Vous m'avez tout de même fait sourire, voire rire un peu jaune soleil...