Poursuivant l’exploration des sociétés matriarcales, Heide Göttner-Abendrot s’est penchée sur les différents cultes matriarcaux dans la région du Népal, et plus spécifiquement sur les Newar. Grâce aux éditions des femmes - Antoinette Fouque, ActuaLitté vous propose une cure d’anthropologie méthodique, avec la diffusion de bonnes feuilles extraites de l’ouvrage.
Le 27/09/2019 à 10:28 par Auteur invité
Publié le :
27/09/2019 à 10:28
Femmes newar - Krish Dulal, CC BY SA 4.0
Le Tibet, le Népal, le Bhoutan et les montagnes occidentales de la Chine entourent l’Assam. Le paysage est traversé par les cours supérieurs des grandes voies fluviales de l’Asie méridionale et orientale qui offrent un mode de transport idéal à travers un terrain montagneux qu’il serait autrement difficile de franchir. Ainsi le Tsangpo, nom donné au cours supérieur du Brahmapoutre, constitue la grande voie navigable du Tibet.
Près de la source du Brahmapoutre, les eaux d’amont du Gange commencent à parcourir le Népal, tout comme l’Indus, le grand fleuve du nord-ouest de l’Inde porteur de la culture matriarcale préhistorique de l’Indus. La région occidentale montagneuse de la Chine est sillonnée par le cours supérieur du Mékong, du Salouen et de l’Irrawaddy, fleuves de l’Indochine, ainsi que par le Yangzi (Yang-Tsé-Kiang) et le Huanghe (fleuve Jaune), fleuves de la Chine proprement dite.
Il n’est pas difficile de comprendre pour quelles raisons les anciens peuples matriarcaux ont privilégié les tronçons supérieurs de ces fleuves, en dépit des vallées encaissées qu’ils traversaient. À cette époque, les plaines de l’Inde, de l’Indochine et du sud de la Chine étaient d’infranchissables marais, infestés de moustiques, où la puissance des courants modifiait le tracé du fleuve chaque année, emportant tout sur son passage. En matière d’habitation, la région était tout aussi inhospitalière pour les humains que les plus hautes montagnes couvertes de glaciers.
Mais les vallées étroites et profondes entre les chaînes montagneuses offraient un havre protecteur et doux contre les vents glacés des sommets et dispensaient un climat agréable et frais, bien différent de celui des basses terres humides des marais. Ainsi, grâce aux inépuisables ressources en eau venant des glaciers himalayens, ces vallées pouvaient s’enorgueillir d’une somptueuse variété d’espèces végétales. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que se trouvent précisément ici les plus anciens indices archéologiques attestant des premières cultures de plantes en Asie.
Dans ces tout premiers temps, les peuples matriarcaux agricoles sont arrivés au Népal par bateau, en empruntant des affluents du Gange, et ils ont atteint le centre du Tibet par le réseau des voies navigables du Tsangpo (Brahmapoutre). Ils n’auraient certainement pas pu voyager à travers les marais et les forêts primaires couvrant les montagnes ni franchir des sommets couverts de glace ; le moyen le plus facile pour se déplacer était d’emprunter les voies navigables. Le bateau est sans doute le plus ancien, et l’un des plus plaisants, mode de transport jamais conçu par les humains.
Mon propre moyen de transport pour gagner la vallée de Katmandou, le centre culturel du Népal, fut cependant un avion tout ce qu’il y a de moderne. Nous avons tourné au-dessus de la profonde vallée circulaire en contrebas, puis nous sommes progressivement descendus en spirale dans l’espace situé entre les chaînes de montagnes et le sol. Durant ces manœuvres délicates, la vallée, autrefois un vaste fond lacustre, est longtemps restée visible.
Nous avons survolé les montagnes escarpées qui bordent la vallée, effleurant presque la cime des arbres et un sanctuaire posé sur un sommet, et contemplé depuis le ciel les formes infiniment variées d’une mosaïque de cultures en terrasses et des canaux des rizières ; vus sous cet angle, les villages dispersés et les petites villes de la vallée ressemblaient à des constructions érigées par un peuple de fourmis. Pas un seul pouce de terre qui n’ait été cultivé ou pourvu de bâtiments : il s’agissait visiblement d’une vallée au peuplement ancien et intensif.
Les habitants de la vallée de Katmandou appartiennent au grand peuple des Newar. Ils font partie, comme les Khasi des montagnes de l’Assam, du groupe des peuples tibéto-birmans1 et sont considérés comme la plus ancienne population des montagnes du Népal. Ils sont en réalité le peuple autochtone du Népal, qui a donné son nom au pays, qui a perpétué la culture millénaire de la vallée de Katmandou, cœur de cette région himalayenne. Avant 1956, aucun voyageur étranger ne pouvait pénétrer au Népal, si bien que le pays a pu conserver sa culture mi-archaïque, mi-médiévale jusqu’à aujourd’hui.
À la différence de ceux de l’Inde septentrionale, plus mélancoliques, souvent plus austères et plus minces d’aspect, les Newar, j’ai pu le constater, sont des gens joyeux, de petite taille, bien bâtis, au visage rond, brun foncé, qui ne semblent jamais, malgré la lourde tâche des travaux agricoles, avoir connu un mauvais jour. Ils n’ont pas été entièrement exploités comme l’ont été les habitants de l’Inde ; ils ont, en majeure partie, conservé les fruits de leur labeur au sein du clan. Les femmes que j’ai vues sarcler les champs en groupe avaient de beaux visages, des cheveux longs et brillants, et leurs yeux en amande pétillaient tandis qu’elles discutaient et riaient.
Elles ne se montraient ni timides ni craintives, même pas avec les étrangères que nous sommes. Les hommes, en revanche, ne levaient pas les yeux, mais continuaient simplement à travailler, seuls ou par deux, maniant leurs lourdes pioches avec autant d’aisance que s’il s’agissait de courtes houes. C’est ainsi qu’ils cultivaient la terre, sans l’aide de charrues, car les bœufs sont des animaux sacrés pour Shiva. Son temple hindou se trouve dans la vallée de Katmandou, aussi dans cette région aucun bœuf ne peut-il accomplir le dur travail de labourage.
L’hindouisme est venu se greffer sur la culture newar par le long processus historique de la brahmanisation. Les premiers Newar à s’être établis là sont probablement arrivés dans la vallée de Katmandou il y a 3000 ans. Mais au l du temps, l’ingérence culturelle de l’immense pays voisin du leur, l’Inde, a fondamentalement modifié l’organisation sociale des Newar, et sans nul doute au détriment des femmes ; parmi ces facteurs d’influence figurent les nombreux brahmanes qui ont immigré pour fuir l’islam en Inde et la pression exercée par les rois newar, gagnés par l’hindouisme.
Même si nous ne pouvons pas dire que les Newar représentent un cas de matriarcat contemporain, nombre d’éléments dans leur culture médiévale indiquent néanmoins qu’ils ont bien eu autrefois une société matriarcale.
Heide Goettner-Abendroth ; Saskia Walentowitz ; trad. Camille Chapla – Les sociétés matriarcales ; recherches sur les cultures autochtones à travers le monde – Des Femmes Antoinette Fouque – 9782721007018 – 25 €
Dossier - Les sociétés matriarcales : les cultures autochtones dans le monde
Paru le 19/09/2019
574 pages
Editions des Femmes
25,00 €
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