Depuis 1984, où Pac-Man est passé de la borne d’arcade à la bande dessinée, le paysage des adaptions jeu vidéo-livre n’a fait que grandir. Certaines entreprises s’affranchissent même des grandes maisons pour publier leurs ouvrages. La frontière entre développeurs et éditeurs n’a jamais été aussi poreuse qu’aujourd’hui. Pourquoi, comment et pour qui adapter ces univers ? En voici les principaux acteurs.
Le livre et le jeu vidéo ne semblent pas faits pour se rencontrer. Histoire, formats, publics, tout les sépare. Or, plus le jeu vidéo est reconnu comme une industrie culturelle à part entière, plus l’intérêt pour le domaine s’éveille. D’abord un divertissement populaire, il est désormais étudié à l’université et touche plus de trente-sept millions de Français selon Médiamétrie.
Un développeur a donc plusieurs raisons d’adapter son produit en livre. Une adaptation permet de récompenser le joueur fidèle d’une licence en lui offrant un nouveau moyen d’explorer ce qu’il aime tant (tout en payant à nouveau bien sûr). Ensuite, elle peut toucher un public joueur et lecteur qui n’a pas encore essayé la licence en question et lui donner envie. Enfin, elle permet d’atteindre un public lecteur, mais non-joueur jusque-là inconnu en lui offrant un format plus adapté à ses goûts pour découvrir un nouvel univers.
Le public type du jeu vidéo est masculin et âgé de 15 à 39 ans, d’après le ministère de la Culture. Si on parle d’adaptation, il devient alors le public cible. Pour la lecture, ce même groupe est consommateur de littératures de l’imaginaire et de bandes dessinées. On constate sans surprise que la plupart des adaptations de jeu en livre rentrent au moins dans un de ces deux genres, comme celles produites par les sociétés ci-dessous. Ces adaptations reprennent les mêmes histoires que celles exploitées dans les jeux ou bien en proposent des inédites se déroulant dans le même univers.
L’entreprise de renommée mondiale a bâti son succès sur des jeux comme Ray-Man, Assassin’s Creed ou encore les différentes séries inspirées de l’œuvre de l’Américain Tom Clancy (Rainbow Six, Splinter Cell). Ces nombreuses licences possèdent des héros charismatiques, des mondes uniques et des esthétiques particulières, ce qui en fait des œuvres idéales pour une adaptation. Le géant breton a alors fait adapter ses plus grandes sagas sur bien des supports.Par exemple, la série Assassin’s Creed compte, en plus de ses vingt-six jeux, dix romans, quatorze bandes dessinées et cinq mangas.
La particularité des adaptations d’Ubisoft réside dans le grand nombre de maisons d’édition impliquées dans les différents projets. Pour le public anglophone, les romans sont édités par Penguin Books, les bandes dessinées par Titan Comics et les compilations d’ébauches par Dark Horse Comics. En France, les mangas sont publiés par Mana Books, les romans jeunesse par la Bibliothèque verte, les autres par Bragelonne, les Beaux livres par Hachette Pratique…
Et dès que l’on change de pays, la liste s’allonge. Seule une société avec des fonds importants peut se permettre une telle stratégie. Mais le fait est que le marché du livre est aujourd’hui inondé par les adaptations Ubisoft, en France comme à l’international.
Enfin, en 2009, Ubisoft a même créé sa propre maison d’édition française, Les Deux Royaumes. Elle est spécialisée dans la bande dessinée, a publié la série Assassin’s Creed et s’occupe d’autres grandes sagas comme Watch Dogs ou Les Lapins crétins. C’est une partie du marché qui a complètement échappé aux maisons traditionnelles, ou du moins qui a su créer son espace d’expression.
D’autres développeurs de jeux ont adopté la même solution.
Le studio roubaisien a initialement connu le succès grâce au jeu Dofus sorti en 2004 et toujours actif. Ce jeu marque lui-même la naissance du « Monde des Douzes », univers que la société s’applique encore à développer au fil des jeux, des animations, mais aussi des livres.
En effet, après le succès de son premier jeu, Ankama a profité de ses fonds et donc de sa nouvelle marge de manœuvre pour étendre sa production plutôt que de la spécialiser. À partir de 2006, Ankama devient un groupe abritant Ankama Games et Ankama Éditions. Cette dernière filiale a pour mission d’enrichir le « Monde des Douzes », mais aussi de proposer des créations originales indépendantes des jeux, différence importante avec une maison comme les Deux Royaumes.
Ainsi, on peut scinder sa production en deux grandes parties : une partie adaptation et une partie création. La première est connue pour les deux séries de mantras (bande dessinée française de style manga) Dofus et Wakfu, véritables succès de la maison, ainsi que plusieurs périodiques autour du jeu vidéo. La deuxième rassemble des collections comme Kraken (aventure), Araignée (fantastique) ou encore Maliki (dédiée à l’auteur Souillon). Un dernier exemple très particulier est celui du Label 619. Il s’agissait d’une collection mature accueillant de jeunes auteurs avant de devenir une maison indépendante en 2019, même si les coopérations avec Ankama continuent.
En résumé, la société de développement se scinde pour créer une maison d’édition dépendante. Elle donne elle-même naissance à une entreprise qui rejoint le circuit des maisons plus traditionnelles, une première dans le domaine. Cependant, il est aussi possible pour un développeur de ne pas créer une nouvelle société et malgré tout d’avoir une production éditoriale.
Le studio du jeu vidéo League of Legend n’a pas créé de maison d’édition ni de filiale ayant ce but. Il a simplement ajouté cette fonction à celles qu’il possédait déjà. Mais cela s’est fait à l’issue d’un long processus.
Le jeu existe depuis 2009 et est encore actif. À ses débuts, le studio n’était composé que d’une dizaine de personnes et la priorité était le gameplay et non pas l’histoire. En gagnant en popularité, le jeu s’est enrichi en personnages plus variés. De plus, les joueurs attachés aux anciens ont demandé de meilleures histoires. Riot Games a alors décidé d’opérer un « RetCon » (retroactive continuity) en gardant les personnages, mais en mettant à jour toutes les histoires grâce à des scénaristes. League of Legend dispose depuis d’un monde travaillé et soigné.
Or, il a fallu consigner et rendre accessibles ces mises à jour tout en alimentant le jeu de nouveaux contenus. Le site LoL Universe qui regroupe tous les récits du jeu est né dans cette optique. L’opération a été saluée par tous les joueurs et a donné un second souffle au jeu. Face à ce succès, les développeurs ont ensuite fait écrire des histoires secondaires pour pousser leur monde encore plus loin, ainsi que des bandes dessinées et des webtoons. Toutes les œuvres sont accessibles gratuitement sur le site, disponibles sur ordinateur comme sur mobile et disposent même d’une « barre de lecture » pour se repérer.
Ces différents emprunts à l’édition numérique ont irrémédiablement mené à un besoin de contenu physique pour les lecteurs. Riot Games a alors collaboré avec Marvel pour créer trois comics dans l’univers de la League. Enfin, pour la première fois, les développeurs ont édité un roman numérique payant, Garen : Premier bouclier, disponible sur Kindle et Google Books.
Des développeurs intègrent donc une par une les fonctions d’un éditeur à mesure que leur société grandit, ce qui résulte en une entreprise de grande envergure difficilement définissable.
L’adaptation n’est pas une simple retranscription. Ces trois exemples montrent qu’elle est la conclusion d’un long développement créatif et commercial et que ses origines varient. Dans tous les cas, les développeurs préfèrent être maîtres de leur production éditoriale. La place que ces maisons d’édition d’un nouveau genre prendront reste alors à déterminer.
Par Mathis Besa
Article publié dans le cadre des travaux du master de Villetaneuse, Métiers du livre
crédit illustration : Olichel CC 0 ; AbsolutVision CC 0 ; prettysleepy1 CC 0
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