#CollectionsAristophil - Dans le cadre de la nouvelle session de ventes des collections Aristophil, ce ne sont pas moins de quarante-cinq chartes, chefs-d’œuvre de manuscrits enluminés, incunables et imprimés, couvrant la période du Moyen-Âge aux grandes découvertes de la Renaissance, qui seront regroupés au sein de la première de ces ventes.
Le 13/06/2018 à 09:30 par Christine Barros
Publié le :
13/06/2018 à 09:30
Et c’est non sans fascination que nous plongeons dans ce catalogue, véritable vitrine d’une bibliothèque idéale pour bibliophile.
Les ventes de ce samedi débuteront par des chartes et documents, témoignages historiques et politiques de la vie de ce Moyen-Âge dont nous ne gardons souvent qu’une vision obscure, voire obscurantiste.
Ainsi la Charte de Corbie, datant d'août 825, témoigne des privilèges impériaux accordés à l’Eglise toute puissante, alors que les lettres de Marie de Médicis, Louis XII, François 1er, Marguerite d’Angoulême, Henri IV pour ne citer qu’eux nous permettent de nous immiscer dans les affaires du royaume de France.
L’Europe médiévale voit l’apogée du travail des copistes et enlumineurs, déployant particulièrement leur art dans les Livres d’Heures qui accompagnent les laïcs dans leur pratique religieuse (leur permettant en passant de développer une pratique de la foi plus personnelle et détachée de l’Eglise).
C’est ainsi que cette vacation propose les extraordinaires Heures Pétau dont l’ingéniosité de la mise en page et la beauté des enluminures et médaillons font de cette œuvre le « top lot » de cette vente, estimées entre 700 00 et 900 000 €.
Il est des œuvres dont la postérité s’assurent qu’elles soient plus re-connues que leur illustrissime propriétaire. En 1466, Galeazzo Maria Sforza prend la succession de son père décédé, et devient Duc de Milan. Il ne brillera pas au delà de ses propres heures : son autorité aura amené un gouvernement en demi-teinte, marqué par ses goûts artistiques et son caractère cruel, tyrannique et lubrique. Il fut cependant un très généreux mécène et un bibliophile de haut vol, possédant l'une des plus prestigieuses bibliothèques de l'époque.
Grandes Heures Galeazzo Maria Sforza - Vers 1471 - Est. 600 000/ 800 000 €
Ce livre d’Heures réalisé entre 1471 et 1476 est un monument à la gloire du duc de Milan. Il est d'une taille exceptionnelle, presque aussi grand que les Grandes Heures du Duc de Berry (chaque bi-folio réclama une peau de chèvre entière). Ce très grand format, très inhabituel (rappelons que pour votre sanctification personnelle, le livre d’heures vous accompagne tout le long de la journée…) laisse penser qu'il pouvait s'agir d'un manuscrit utilisé sur un lutrin dans l’une des chapelles privées princières.
Les emblèmes du prince ont dans ce manuscrit une place presque égale à celle des sujets religieux dans les lettrines. Dieu, ses saints, ses laquais, pourquoi y en aurait-il certains plus haut placé que d’autres, grands dieux?! Six initiales « historiées » d’une beauté assez stupéfiante, prennent place au sein d’un texte rédigé en écriture humanistique (par opposition à l’écriture gothique), chaque « tête de chapitre » bénéficiant d’une double page à l’encadrement enluminé avec armoiries, emblèmes, et grands décors. Un exemplaire exceptionnel.
Lorsque vous désiriez offrir un présent à un prince à la cour de Bourgogne, il était fort délicat de faire réaliser un manuscrit de luxe enluminé sur papier, prouvant la haute estime en laquelle vous teniez le dit prince.
Tristan et Iseult - Vers 1470-1475 - Estimation 250 000 / 350 000 €
Alors que cinq versions en vers du roman de Tristan et Iseult, texte mythique du patrimoine littéraire mondial, sont connues, c’est au XIIIe siècle que se fixe une version en prose. Ce Tristan est une longue relation en prose française de l'histoire de Tristan et Iseult, et le premier roman de Tristan qui le relie au cycle arthurien. Selon le prologue de cet exemplaire, la première partie (avant la quête du Graal), dont la date de rédaction est estimée entre 1230 et 1235, est attribuée à Luce de Gat. Un second auteur se présente dans l'épilogue comme Hélie de Boron, qui déclare avoir pris la suite de Luce de Gat, et avoir travaillé comme lui d'après un original en latin.
Ce manuscrit contient le premier volume de la version en prose du Roman de Tristan et Iseult. On peut supposer que le second volume a existé mais celui-ci n'est toujours pas localisé ; dès le XVIe siècle un seul volume était répertorié. Ce volume est embelli par un splendide feuillet frontispice enluminé qui dans un seul tableau rassemble plusieurs scènes : on reconnait Tristan s’apprêtant à monter en selle, Tristan accueillant Iseult qui arrive en bateau chargé d'hommes en armes. Enfin dans une forêt lointaine, Iseult, assise au sol, assiste au combat de Tristan contre un sanglier sauvage.
Exemplaire d’une extrême rareté, nous avons sous nos yeux le premier dictionnaire de l’histoire : la Summa grammaticalis quae vocatur catholicon, dit le Catholicon, est le premier dictionnaire de vocabulaire latin rédigé dans un ordre strictement alphabétique, et, en cela, il peut être considéré comme le tout premier dictionnaire de l'Occident. Composé vers 1286 par le dominicain Balbus ( en français Jean de Gênes), souvent remanié et développé par des humanistes aux XVe et XVIe siècles, Il devint un modèle pour tous les dictionnaires universels [«catholicon» signifiant en grec: «universel»], et fut longtemps un terme générique pour tous les dictionnaires. Si Gutenberg éprouva le besoin de l'imprimer peu de temps après la Bible, c'est qu'il s'agissait à l'évidence pour lui et ses contemporains d'un des ouvrages indispensables aux hommes instruits.
Catholicon de Mayence, composé par Gutenberg - 1460 - Estimation 150 000 / 200 000 €
Les spécialistes, après moultes querelles, s’accordent à penser qu’il y eut trois tirages de cette première édition, en 1460, 1469 et 1472-3, réalisés sur des presses et des papiers différents. Si Gutenberg réalisa lui-même, semble-t-il, le tout premier tirage de 1460, ce second tirage fut réalisé par Peter Schoeffer, en 1469, sur papier filigrané.
Ces différentes impressions, en caractères gothiques, d’une même édition furent réalisées à l'aide de blocs de deux lignes fondues ensemble, les «slugs» [«lingots»] et qui pouvaient ainsi être conservées et réutilisées ultérieurement. Ainsi, le Catholicon, bien qu'imprimé par Gutenberg lui-même en 1460, ne fut pas imprimé avec des caractères mobiles, mais d'une façon complètement différente qui préfigure la composition par des procédés beaucoup plus récents, tels que la stéréotypie ou linotypie.
Après l'invention des caractères mobiles, Gutenberg aura donc aussi tenté, avec cette édition du Catholicon, de trouver une solution au «défi de la fixation permanente des compositions typographiques».
A partir du XVIe siècle, les livres et l’imprimerie devinrent les vecteurs d’une véritable révolution culturelle en Europe, permettant le développement et la diffusion de la pensée humaniste,
L’une des figures emblématique de cet esprit est sans conteste Montaigne. Les Essais du seigneur de Labrède furent publiés en 1580 pour moitié à compte d'auteur, Montaigne ayant pris en charge la fourniture du papier. Le tirage fut de ce fait partagé entre l'éditeur et l’auteur ; ceux de l'éditeur furent mis en vente, tandis que ceux réservés à l'auteur furent distribués à des familiers.
Essais de Montaigne - 1ère édition - 1580 - Est. 100 000 / 150 000 €
Un privilège royal permettait à Simon Millanges «d'imprimer tous livres nouveaux: pourveu qu'ils soient approuvez par Monseigneur l'Archevesque de Bourdeaux, ou son Vicaire, & un ou deux Docteurs en theologie», et faisant défense expresse à tout autre d'imprimer ces ouvrages durant huit ans à partir de leur première impression.
Imprimé à Bordeaux en 1582, reliure en vélin originale, la seconde édition originale, revue, augmentée et corrigée par Montaigne, présentée dans cette vente regroupe les deux premiers livres. La rareté de cet exemplaire est aussi marquée par la reliure, restée intacte depuis l’origine.
Essais de Montaigne - 2ème édition - 1582 - Est. 20 000 / 25 000 €
De retour d’Italie, Montaigne fit publier cette seconde édition, prenant soin d’y ajouter des corrections et développements issus de sa récente expérience, comme sa rencontre avec le poète Le Tasse qu’il trouvait décidément bien prétentieux. Il tint aussi compte de la censure romaine et cette édition comportait au début du chapitre Des prières une mise au point acceptant par avance la condamnation par l'Eglise.
Il est notable que cette édition fut bien plus soignée par son éditeur. Faut-il y voir une obséquiosité coquette, une opportune déférence envers celui qui entretemps était devenu maire et gouverneur de Bourdeaus? (regardez bien la page de titre il est devenu premier magistrat de la ville entre temps…)
Enfin, nous ne pouvions ne pas parler, en clôture de vente, des six volumes du Nouvel Atlas ou Théâtre du Monde comprenant les tables et descriptions de toutes les régions du monde universel, conçu par Johannes Janssonius. Il permet de voyager à travers des cartes datées de 1652, 1656 et 1657. Il s’agit d’un des fleurons du siècle d’or de la cartographie des Pays-Bas, complet, le premier " Atlas Major " de l’histoire, dans sa reliure en vélin doré de l’éditeur, ayant possiblement appartenu à Montesquieu : celui-ci avait la curieuse manie, en guise d’ex libris de dessiner à la plume le contour de ses lunettes rondes dans les marges, ce que l’on retrouve dans cet exemplaire.
Nouvel Atlas de Johannes Janssonius - 1652-1657 - Est. 100 000/ 150 000 €
Claude Aguttes, marteau de cette vente, dit lui même que c’est « le plus beau catalogue de [sa] carrière », pour un montant global d’estimations de 4,5 millions d’euros.
Les pièces seront exposées ddu 12 au 15 juin de 11h à 18h, nocturne jusqu'à 21h jeudi 14 juin.
Ainsi que le jour de la vente, de 11h à midi.
Ecrits du Moyen Age et de la Renaissance - Samedi 16 juin 2018, 14h30 - Drouot - Salle 9
Experts : Ariane Adeline, Thierry Bodin, Jacques Benelli
Maison de vente Aguttes. Catalogue en ligne disponible ici.
DOSSIER - Bibliophilie : les Collections Aristophil
Par Christine Barros
Contact : cb@actualitte.com
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