Comme le relève Simon Liberati dans son prochain roman, La Hyène du Capitole, les Britanniques sont les maîtres de la ritualisation, qui devient avec le temps tradition. Une institution qui les maintient depuis des siècles est la prestigieuse Université d'Oxford. Certaines y sont si anciennes que leur origine est à présent nimbée de mystère... L'une d'elles se rapporte à un certain Henry Symeonis...
Le 28/12/2023 à 16:10 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
28/12/2023 à 16:10
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En 1827, l’Université d'Oxford a procédé à une refonte complète de ses statuts, des documents régissant les règles et les procédures de l'institution. Accumulés sur plusieurs siècles, ils incluaient des sections très anciennes, certaines datant de plus de 500 ans. Lors de cette révision, un élément particulièrement intrigant a été découvert dans la section dédiée aux étudiants en art, concernant les serments requis pour l'obtention du titre de Maître en Arts.
Outre de s'engager à respecter les statuts, les privilèges, les libertés et les coutumes de l'Université, de ne pas enseigner ailleurs ou de reprendre leurs études de bachelier une fois leur maîtrise obtenue, il y avait également la nécessité de jurer de ne jamais consentir à la réconciliation avec Henry Symeonis (quod numquam consenties in reconciliationem Henrici Simeonis, Statuts VII, section 1.5.).
Nulle part ailleurs il n'était expliqué qui était Henry Symeonis, ni la raison pour laquelle il était impératif que les futurs Maîtres en Arts s'opposent à toute réconciliation avec lui. Qui et comment un individu a-t-il pu mériter cette condamnation pour les siècles ?
Brian Twyne, qui fut le premier archiviste de l’Université d’Oxford et éminent antiquaire au XVIIe siècle, a avancé dans son Antiquitatis Academiae Oxon Apologia, daté de 1608, que Symeonis était un Régent en Arts à Oxford qui aurait faussement prétendu posséder un diplôme de Bachelor of Arts, dans le but d'obtenir une place dans un monastère à l'étranger. Pour justifier ses affirmations, Brian Twyne ne fournit en revanche aucune source...
Plus tard, Anthony Wood, un historien, dans son Life and Times, relate un épisode survenu en janvier 1651 ou 1652, lors d'une révision antérieure des statuts de l'Université. À cette occasion, la suppression du statut relatif à Henry Symeonis avait été proposée. Il note que cette proposition est rejetée, sans indiquer les motifs de ce refus là encore. Il suggère, déjà à cette époque, que le serment en question était tellement ancien et son origine tellement oubliée, qu'on préférait ne pas y toucher, faute de mieux comprendre son contexte et sa signification.
Ce n'est qu'en 1912 que l'énigme entourant Henry Symeonis a été, pour une partie, résolue, et ce grâce aux recherches de Reginald Lane Poole, alors Gardien des Archives de l'Université. Dans un article publié dans l'English Historical Review, ce dernier a retrouvé Henry, fils d'un autre Henry Symeonis.
Le père était lui-même fils d'un homme nommé Simeon, ce qui explique le patronyme Simeonis (ou Symeonis) qui fut transmis de génération en génération. Le père de notre Henry était un citoyen particulièrement aisé d'Oxford au début du XIIIe siècle, figurant parmi les plus riches de la ville. Son fils était tout aussi fortuné, possédant plusieurs biens immobiliers à Oxford. Son nom apparaît fréquemment dans les actes de propriété de l'époque, comme un de 1243 concernant la cession d'un mur de délimitation. Il y est désigné comme « Henry fils d'Henry, fils de Simeon ».
Mais pourquoi cette disgrâce ? En 1242, Henry, ainsi que plusieurs autres habitants d'Oxford, ont été reconnus coupables du meurtre d'un étudiant de l'Université. Le roi Henri III leur a alors infligé une amende de 80 livres en mai de la même année, et leur a interdit de résider dans la ville au moins jusqu'au retour du roi de ses voyages à l'étranger. Problème : avant le retour du roi à l'automne, les registres immobiliers révèlent que Henry Symeonis était déjà de retour à Oxford...
La suite ? La documentation de l'Université de cette époque étant rare, on reste dans le flou. Les comptes rendus des chroniqueurs de l'époque sont de leur côté contradictoires. Une chose est certaine : le 25 mars 1264, le roi a publié des lettres patentes annonçant qu'il pardonnait à Henry Symeonis pour le meurtre commis 22 ans auparavant. Il a par ailleurs ordonné à l'Université d'autoriser Henry à revenir vivre paisiblement à Oxford, à condition qu'il soit « de bonne conduite ».
Que le chancelier et l'université consentiraient à ce qu'Henry fils d'Henry Simeonis, qui s'était retiré pour la mort d'un homme, puisse retourner à Oxford et y rester, de sorte que l'université ne se retire pas de ladite ville à cause de son séjour là-bas ; alors ils devraient lui permettre de revenir sans entrave et avoir la paix du roi ; le roi, à la demande de Nicholas de Yatingden, de sa grâce supplémentaire, a pardonné à Henry la mort susmentionnée, à condition qu'il se présente à son procès si quelqu'un veut agir contre lui, et a accordé qu'il puisse retourner et y habiter tant qu'il sera de bonne conduite et que l'université ne se retire pas de ladite ville à cause de son retour et de la mort dudit Henry.
- Lettres patentes signées de Henri III
Il semblerait que Henry Symeonis ait obtenu le pardon du roi et la permission de revenir à Oxford moyennant finance. L'Université aurait refusé de se conformer à cette directive royale du 25 mars 1264, persistant dans son animosité envers son ancien élève. Une opposition si forte qu'elle a inscrit le nom d'Henry Symeonis dans ses statuts, marquant ainsi officiellement, et de manière durable, son hostilité à son égard.
Au XIIIe siècle, les relations entre l'Université d'Oxford, fondée au XIIe siècle, et la ville étaient tendues, menant fréquemment à des confrontations entre les deux institutions rivales. La situation s'est intensifiée en février 1264. En 1261, la création d'une université rivale à Northampton, autorisée par Henri III, a accentué la rivalité, poussant le roi à fermer cette nouvelle université en 1265 suite à la pression d'Oxford.
Des événements qui se sont déroulés sur fond de guerre civile et de troubles politiques, impliquant Oxford et Northampton dans le conflit entre Henri III et Simon de Montfort.
L'opposition entre le roi d'Angleterre et le comte de Leicester est un chapitre marquant de l'histoire anglaise du XIIIe siècle, connu sous le nom de Seconde Guerre des Barons. Henri III, monté sur le trône en 1216, était critiqué pour sa gestion du royaume, son échec à faire respecter la Magna Carta et sa dépendance envers un cercle restreint de favoris étrangers.
Simon de Montfort, quant à lui, était un noble français devenu influent en Angleterre par mariage. Initialement allié à Henri III, Montfort devint progressivement l'un des leaders de la faction baronniale mécontente, s'opposant aux politiques du roi et appelant à des réformes politiques significatives pour limiter le pouvoir royal et accroître le contrôle parlementaire.
La tension entre Henri III et Simon de Montfort culmina en 1258 lorsque Montfort devint le principal architecte des Provisions d'Oxford, un ensemble de réformes visant à restreindre le pouvoir du roi et à établir un gouvernement plus représentatif. La bataille décisive eut lieu à Lewes en 1264, où les forces de Montfort remportèrent une victoire significative, capturant Henri III et son fils, le futur Édouard Ier. Cette victoire permit à Montfort d'instaurer un gouvernement de facto, menant à la première forme du Parlement tel que nous le connaissons aujourd'hui. Simon de Montfort est finalement vaincu et tué à la bataille d'Evesham en 1265 par les forces loyales au prince Édouard.
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En tout cas, l'histoire d'Henry Symeonis illustre la persistance étonnante de certaines traditions universitaires, bien au-delà de leur pertinence ou de leur signification originelle. En inscrivant son nom dans les statuts, l'université a ironiquement contribué à prolonger sa notoriété, immortalisant un homme qu'elle considérait comme un paria.
Crédits photo : DWR (CC BY-SA 2.5)
2 Commentaires
maloin lahorce
31/12/2023 à 13:25
commence à nous courrir le Liberati z'avez pas aut'es chose en rayon ?
FredEx
08/01/2024 à 20:26
Liberati, ça va avec tout.