EXCLUSIF – Depuis quarante-huit heures, le monde de la librairie ancienne est en ébullition : les membres de l’International League of Antiquarian Booksellers se dressent contre Abebooks – plateforme spécialisée dans les livres anciens et rares. Une mobilisation totalement inédite qui fait suite à la suppression de comptes totalement arbitraire décidée par cette filiale d’Amazon. Tiens, encore Amazon ?
Le 03/11/2018 à 11:22 par Nicolas Gary
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Publié le :
03/11/2018 à 11:22
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Mark Gunn, CC BY 2.0
Tout commence avec une annonce d’Abebooks datée du 18 octobre : à compter du 30 novembre, les comptes des libraires situés en République tchèque, Hongrie, Corée du Sud et Russie disparaîtront, sans autre forme de procès. Bien entendu, les vendeurs situés dans ce pays sont membres de l’ILAB, qu’Abebooks courtise avec ardeur depuis longtemps.
« Nous regrettons sincèrement d’avoir à prendre cette décision, mais il n’est plus viable pour nous de continuer à travailler avec ces territoires du fait d’une hausse des coûts et de leurs complexités », indique simplement Abebooks aux libraires des pays concernés.
C’est un libraire de Hongrie qui a partagé ce message auprès de l'ILAB, expliquant que son métier et son activité en seraient fortement impactés, attendu que l’essentiel de son activité s’opérait en ligne. « La décision de fermer notre compte dans un délai aussi court a été vécue comme un choc violent, en particulier parce qu’aucune explication n’a été fournie, bien que nous en ayons demandé », indiquait le libraire hongrois.
« Pour notre seule entreprise, il faudra presque certainement licencier cinq employés. Et dans le même temps, nous n’avons aucune idée pour vendre ailleurs nos quelque 20.000 titres étrangers », poursuivait-il.
L’ILAB a immédiatement alerté ses membres – elle en compte plus de 1000, dont 200 juste en France –, et pris attache avec Abebooks pour tenter d’obtenir des précisions. Au niveau international, l’ILAB réunit plusieurs syndicats de libraires de lires anciens et rares.
La première réaction fut de mettre un terme au partenariat qui liait l’Antiquarian Booksellers Association (ABA) à Abebooks, dans le cadre de la Foire du livre ancien de Londres. Un accord financier intéressant avait été trouvé autour de la manifestation, mais l’ABA, membre de l’ILAB, réagit par solidarité.
« Notre mission est de défendre une qualité élevée en matière de vente de livres rares dans le monde entier, où que se trouvent les vendeurs. Malheureusement, nous pensons qu’Abebooks n’est plus un partenaire fiable à cet instant. » Pour 2019, le partenariat ne sera pas renouvelé, et Sally Burdon, présidente de l’ILAB a immédiatement salué cette décision.
« Cette action douloureuse rendra évidemment plus difficile la mise en place de leur salon, mais envoie un message fort à Abebooks : les libraires autour du monde serrent les rangs et ne resteront pas insensibles aux conséquences sur l’activité économique de leurs confrères. »
Or depuis 48 heures, c’est une vague de colère et de protestation qui gronde – initiée par les libraires anciens eux-mêmes. Selon nos informations, c’est un libraire anglais qui a déclenché un mouvement, suivi à cette heure par plusieurs dizaines de membres, partout dans le monde.
La liste de diffusion interne, qui permet aux membres de l’ILAB d’être en relation les uns avec les autres, voit les mails se multiplier, avec un mot d’ordre, « en grève » ou « en vacances ». En quelques heures, le terme de boycott est même apparu.
De fait, les libraires retirent leurs catalogues du site Abebooks. « Ce n’est pas une organisation dont les membres ont l’habitude de manifester ou de prendre les armes. C’est d’autant plus important que cela nécessite un certain courage : on voit ici une armée de fourmis qui s’en prend à la mante religieuse », commente un observateur.
Courage, parce qu’Abebooks agit comme plateforme de vente, au niveau international, permettant aux libraires de proposer et vendre leurs catalogues d’ouvrages anciens. Le site peut donc représenter une part non négligeable des revenus des libraires d'ancien. Le tout avec une commission de 15 % ponctionnée au passage, évidemment.
Au moment de la rédaction de cet article, ils sont une centaine à avoir décidé de se mettre en grève d’Abebooks – près de 10 % des membres de l’ILAB. Et la crise n'est pas isolée ou conscrite : des libraires de Belgique, USA, Canada, Australie, Autriche, France, Espagne, Allemagne, Danemark, Italie, Irlande, ont rejoint cette colère largement nourrie.
jos, CC BY ND 2.0
« Le mouvement pourrait apparaître comme marginal, mais demeure significatif : les libraires qui se mettent “en grève” comptent souvent parmi les plus dynamiques et connus internationalement », poursuit-on. Plus encore, chacun prend cette décision en son âme et conscience, indépendamment de son appartenance à une organisation ou un syndicat.
Coup dur, pour la filiale d’Amazon, confrontée non à une simple révolte que l’on matte en distribuant de la brioche, mais bien à une révolution. D’anciens présidents du Syndicat national de la Librairie Ancienne et Moderne (fondée en 1914) ont rappelé, loin des micros, qu’ils avaient mis en garde depuis longtemps contre la menace hégémonique que représente cette société.
Henri Vignes, président du SLAM, l'expliquait à ActuaLitté en 2017 : « Nous n’avons pas de relations avec eux, même si certains libraires — j’en fais partie — vendent des livres sur cette plateforme. Abebooks a cherché à être reconnu officiellement par le SLAM, mais nous n’avons aucune envie de les soutenir. »
C’est qu’en tant que vendeurs qualifiés, apportant de véritables garanties sur les ouvrages commercialisés, les libraires anciens sont particulièrement chouchoutés par Abebooks. Et préserver de bonnes relations avec l’ILAB est fondamental pour l’entreprise...
Et l'observateur de conclure : « La réaction de solidarité qui se propage est incroyable : cette mobilisation globale reflète aussi la réalité du métier de chacun. Ce sont des gens qui subissent dans leur coin et se rendent compte qu’ils sont prisonniers de l’entreprise. Demain, Abebooks pourrait décider d’augmenter le pourcentage de sa commission, ou supprimer des comptes, sans contestation possible. »
Plus que jamais, la nécessité d’alternative s’impose. En France, Livre Rare Book, société basée à Lyon, offre des solutions commerciales intéressantes : un abonnement modique pour les libraires qui vendent, et pas de commission. Plus attractif, surtout que la filiale d’Amazon depuis quelques années, encaisse désormais les ventes, et reverse par la suite aux libraires – prenant commission et frais de change, commissions bancaires, etc.
Non sans subir, également, les attaques d'Abebooks-Amazon.
@Abebooks@amazon#abebooks#amazon#foundonabe#NOTfoundonabe#rarebooks#specialcollections#librariesofinstagram#booksellers#usedbooks#antiquarianbookspic.twitter.com/3LCDKfdT1H
— Ken Sanders Books (@KenSandersBooks) November 3, 2018
Mise à jour : 24 heures après la publication, ils sont près de 250 établissements “grévistes”, incluant désormais des libraires de Malaisie, de Nouvelle-Zélande, ou encore d’Espagne, des Pays-Bas, de Hong-kong ou du Royaume-Uni. Et dans le même temps, sur les réseaux sociaux, l'appel au boycott est lancé, largement diffusé, et appuyé par des bannières incitant à sortir du cadre de ce vendeur.
2e Mise à jour - 5 novembre 7 h : Le nombre de grévistes a désormais franchi la barre des 300 libraires, mobilisés et décidés à prendre part à ce qui est désormais présenté comme la Semaine des Librairies Censurées. La Banned Booksellers Week se tiendra du 5 au 11 novembre. Cumulés, ces libraires représentent un stock de 1,211 million de livres retirés des étals d’Abebooks.
Mise à jour 3 : Ils sont désormais plus de 400 à s'être engagés dans une campagne de boycott ouvertement nommée, avec le retrait de 1,91 million de livres résormais des étals d'Abebooks. La conséquence pour la plateforme pourrait être funeste, si le mouvement se prolonge.
« C’est une révolution qui a l’air assez populaire en plus. Dans le milieu il y a une certaine jubilation, on voit que sans le dire les gens se sentaient assez oppressés. C’est un métier de liberté, on n’y aime guère être soumis à des oukases... », commente un libraire qui a pris part à cette campagne, interrogé par ActuaLitté.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
13 Commentaires
Lutrand
04/11/2018 à 01:40
Merci pour l'info! Mais tout cela était prévisible depuis que Amazon a fait acquisition d'Abebooks en 2008 je crois bien. La culture pour tous c'est pas chez Amazon.
Anne
04/11/2018 à 10:20
:-) :-) :-) :-) :-) :-) :-) :-) :-)
bernard rolin
06/11/2018 à 13:26
Le mieux n'est il pas de partir d'abebook filiale d'amazone qui n'a que faire de la librairie ancienne et de promouvoir des sites sérieux comme livre rare book et quelques autres...
sur la commode
06/11/2018 à 15:54
!!!!!!!!!!!!!
Mittou jean louis
04/11/2018 à 11:43
Comme mentionné dans votre article il existe en France un site qui s'appelle Livre Rare Book. Depuis plusieurs années j'essaye de convaincre mes collègues d'y adhérer sans grand succès. Il préfère donner une commission de 25% à ce site de "proxénètes" que s'inscrire sur un site français qui prend de modiques sommes. Je pense que si Livre Rare Book avait 10 fois plus de libraires il pourrait s'afficher plus clairement sur la toile concurrencer ces sites qui vous prennent pour des employés et vous "vire" quand bon leur semble. Vouloir faire de l'argent rapidement c'est bien mais gare au retour de bâton
Daniel Blanchard
04/11/2018 à 16:31
Chers libraires du SLAM et de l'ILAB, n'hésitez pas à porter le problème sur la place publique et à demander à vos clients de vous soutenir en cessant d'acheter sur Abebooks. Je consens à le faire. Changer de site ne sera difficile pour personne si le choix et la sécurité de la transaction ne se dégradent pas. Nous sommes de votre côté!
Archibald
05/11/2018 à 09:24
Bravo à ce mouvement de révolte. Je suis libraire spécialisé en Bande-dessinée et je pense qu'un même mouvement devrait se faire par rapport à Amazon qui dirige et décide de tout dans son unique et propre intérêt sans tenir compte ni des vendeurs ni des clients finaux.
Annabelle, Comtesse de La Panouse
05/11/2018 à 13:25
Bravo ! C'en est trop ! Amazon pas content à tuer les petits libraires des oeuvres modernes s'attaquent maintenant aux libraires des oeuvres rares ! Resistez solidairemeent et courage, ne lachons rien !
sur la commode
05/11/2018 à 16:54
Depuis 2 mois j'ai supprimé mon catalogue que j'avais depuis près de 15 ans sur Abebooks. Le mépris manifesté à mon encontre lors de deux problèmes rencontrés avec des clients n'était pas acceptable. Lors de ma décision Abebooks m'a remboursé ma dernière cotisation. Je la leur devais. Je l'ai renvoyé. De leur part ce "geste commercial" est insultant quand il s'agit de compenser le manque de décision éthique.
Ces dernières années le nombre de vendeurs non professionnels était manifeste. Le descriptif pitoyable des ouvrages témoigne de cela et est préjudiciable à la réputation des libraires. Il me semble.
Je me porte très bien sur Livre-rare-book!
sur la commode
05/11/2018 à 17:29
ps:
même en mettant votre compte en vacance, Abebooks prélèvera une cotisation spécifique!
COLLECFOU
05/11/2018 à 20:51
Finalement, tant que Abebooks sera aux mains de Amazon, je pense maintenir mon compte en vacances.
emmanuel druon
27/12/2018 à 14:54
J'achetais mes livres sur abebooks sans rien savoir! aujourd'hui je me suis renseigné. Je viens de m'inscrire sur livre rare book et je ferme mon compte abebooks. Hauts les coeurs!
Emmanuel Druon
Max
12/02/2020 à 20:33
Je n'avais pas vu Amazon bien planqué derrière abe books. Merci du renseignement.