Dimanche 11 juin, la maison Osenat vendra aux enchères un manuscrit autographe rare, rédigé par Charlotte Corday. Ce document historique intitulé Adresse aux Français amis des loix et de la paix, lui avait été retiré lors de la fouille qu'elle a subit à son arrivée à la prison de l'Abbaye après avoir assassiné Marat. Il est estimé entre 80.000 et 100.000 €.
Charlotte Corday désirait que ses motivations bénéficient de la plus grande publicité - elle avait d'abord pensé perpétrer son attentat en pleine Convention. Elle porta donc sur elle son Adresse aux Français (épinglée dans son corsage avec un extrait de baptême, car elle pensait qu'elle serait tuée). Elle écrivit ensuite plusieurs lettres en prison et donna une forme claire et précise à ses idées, dédouanant ses proches en assumant tout personnellement.
Alphonse de Lamartine avait accédé à cette lettre pour rédiger son Histoire des Girondins. Il y affirmait : « Elle est écrite de la main de Charlotte Corday, d'une écriture à grands traits, mâle, ferme, fortement tracée, et comme destinée à frapper de loin les regards. La feuille de papier est pliée en huit pour occuper moins de place sous le vêtement ; elle est percée de huit piqûres encore visibles par l'épingle qui l'attachait sur le sein de Charlotte ».
La présente Adresse est essentielle pour la compréhension des vrais mobiles politiques de cet acte criminel. Dans un style relevant de l'esthétique du sublime - propre à cette époque - elle explique paradoxalement l'avoir perpétré au nom du respect des lois et de la paix civile.
Charlotte Corday recours à différentes rhétoriques : celle - antique - du tyrannicide, justifiée quand il frappe un pouvoir illégitime. Elle invoque celle - moderne - de l'honneur et donc du duel propre à l'éthique aristocratique. Ou encore, celle du pragmatisme (la violence contre un seul permettrait de mettre fin à la violence contre tous) et du sacrifice qui s'offre pour le salut d'autrui.
Les conventionnels montagnards Nicolas-Sylvestre Maure et François Chabot, membres du Comité de Sûreté générale, étaient décidés à utiliser le procès de Charlotte Corday pour porter un coup fatal aux Girondins. Ils n'hésitèrent pas, pour en faire ses complices, à falsifier les faits et à susciter de faux témoins.
Avant d'être transmise au Tribunal révolutionnaire, une partie des pièces de procédure passa entre les mains de François Chabot qui en avait besoin pour son rapport à la Convention. Il en retira la présente Adresse aux Français, car son contenu ne cadrait pas suffisamment avec sa thèse du complot girondin. Elle ne fut pas remise à Antoine-Quentin Fouquier-Tinville et disparut pendant près de quarante ans.
« Jusqu'à quand, ô malheureux Français, vous plairés-vous dans le trouble et les divisions [?] Assés et trop longtems des factieux, des scélérats ont mis l'intérest de leur ambition à la place de l'intérest général..., pourquoi, ô infortuné[e]s victimes de leur fureur, pourquoi vous égorger, vous anéantir vous-même[s] pour établir l'édifice de leur tyranie sur les ruines de la France désolée.
Les factions éclatent de toutes parts, la m[on]tagne triomphe par le crime et par l'oppression, quelques monstres, abreuvés de notre sang conduisent
conduisent [c]es détestables complots, et nous mènent au précipice par mille chemins divers, aveuglés par leurs assignats et plus encore par leurs insinuations perfides.
Nous travaillons à notre perte avec plus de zèle et d'énergie que l'on ne nous en vit jamais pour conquérir la liberté ; ô Français, encore un peu de tems, et il ne restera de vous que le souvenir de votre existance passée.
Déja les départements indignés marchent sur Paris [plusieurs insurrections girondines avaient éclaté en province, notamment à Caen où Charlotte Corday avait vécu], déjà le feu de la discorde et de la guerre civile embrase la moitié de ce vaste empire ; il est encore un moyen de l'éteindre, mais ce moyen, pour être efficace, doit être prompt ;
déjà le plus vil des scélérats, Marat, dont le nom seul présente l'image de tous les crimes, en tombant sous le fer vangeur, ébranle la Montagne et fait pâlir Danton, Robespierre et autres brigands assis sur ce thrône sanglant, environné de la foudre que les dieux vangeurs de l'humanité ne suspendent sans doute que pour rendre leur chute plus éclatante, et pour effrayer à jamais tous ceux qui tenteraient d'établir leur fortune sur
les ruines des peuples abusés.
Français, vous connaissés vos ennemis, levés-vous, marchés, que la montagne anéantie ne laisse plus que des frères, des amis ; j'ignore si le ciel vous réserve un Gouvernement républicain, mais il ne peut nous donner un Montagnard pour
maître que dans l'excès de ses vangeances.
Ô France, ton repos dépend de l'éxécution de la loin, je n'y porte point atteinte en tuant Marat, condamné par l'univers, il est hors la loi ; quel tribunal me jugera ? Si je suis
coupable, Alcide [autre nom d'Héraclès] l'était donc lorsqu'il détruisait les monstres, mais en rencontra-t-il de si odieux [?]
Ô amis de l'humanité, vous ne regretterés point une bête féroce enfraissé[e] de votre sang, et vous tristes aristocrates que la Révolution n'a pas assés ménagés, vous ne le regretterés pas non plus, vous n'avez rien de commun avec lui. Ô ma Patrie, tes infortunes déchirent mon cœur, je ne puis t'offrir que ma vie, et je rends grâce au Ciel de la liberté que j'ai d'en disposer.
Personne ne perdra par ma mort, je n'imiterai point Pâris en me tuant [Philippe-Nicolas-Marie de Pâris qui, pour venger l'exécution de Louis XVI, avait assassiné le conventionnel régicide Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, et s'était suicidé peu de jours après pour échapper à une arrestation certaine], je veux que mon dernier soupir soit utile à mes concitoyens – que ma tête, portée dans Paris, soit un signe de ralliement pour tous les amis des loix, que la Montagne chancelante voye sa perte écrite avec mon sang, que je sois leur dernière victime et que l'univers vangé déclare que j'ai bien mérité de l'humanité ; au reste, si l'on voyait ma conduite d'un autre œil, je m'en inquiette peu.
"Qu'à l'univers surpris, cette grande action
Soit un objet d'horreur ou d'admiration,
Mon esprit peu jaloux de vivre en la mémoire,
Ne considère point le reproche ou la gloire,
Toujours indépendant et toujours citoyen,
Mon devoir me suffit, tout le reste n'est rien.
Allés, ne songés plus qu'à sortir d'esclavage."
[citation de la tirade de Brutus dans la scène 2 de l'acte III de la tragédie de Voltaire, La Mort de César]
Mes parents et amis ne doivent point être inquiettés, personne ne savait mes projets. Je joins mon extrait de baptême à cette adresse pour montrer ce que peut la plus faible main conduite par un entier dévouement. Si je ne réussis point dans mon entreprise, Français, je vous ai montré le chemin, vous connaissés vos ennemis, levés vous, marchés et frappés. »
- Manuscrit autographe de Charlotte Corday, intitulé Adresse aux Français amis des loix et de la paix
Charlotte de Corday d'Armont était issue d'une famille aristocratique normande peu fortunée descendant de Pierre Corneille. Elle vécut dans le grand Ouest français contre révolutionnaire. Sensible aux idées nouvelles, mais horrifiée par les massacres sous la Terreur, elle conçut le projet d'assassiner le médecin, publiciste et conventionnel Jean-Paul Marat, qu'elle considérait comme l'un des principaux responsables de ces excès.
Elle parvint à se faire admettre au domicile de sa victime le 13 juillet 1793, et l'assassina d'un coup de couteau porté au cœur. Les personnes présentes l'ont empêché de s'enfuir mais l'ont épargné. La police l'appréhenda rapidement. Elle fut rejointe par des membres du Comité de Sûreté générale dont François Chabot et par le substitut du procureur de la Commune de Paris Jacques-René Hébert qui conduisirent un premier interrogatoire.
Jean-Paul Marat était une figure très aimée du peuple. À la nouvelle de son assassinat, plusieurs milliers de personnes se rassemblèrent devant chez lui et représentaient une menace réelle de lynchage. Cependant, les autorités sur place tenaient au maintien de l'ordre pour éviter une émeute comme celle de septembre 1792.
Le Gouvernement voulait affirmer son autorité face aux sans-culottes et donc organiser un procès en bonne et due forme. Et surtout, elles désiraient tirer de la meurtrière toutes les informations possibles sur son acte. En cette période où la Révolution était menacée par la guerre extérieure et par des conflits intérieurs, François Chabot et les autres étaient persuadés que leur prisonnière faisait partie d'un complot girondin.
Les fédéralistes (ou Girondins) réunissaient des troupes, notamment à Caen, patrie de Charlotte Corday, pour marcher sur Paris. Ils protégèrent donc leur prisonnière et réussirent à la faire transférer de nuit à la prison de l'Abbaye. Elle y subit un nouvel interrogatoire et une fouille par les mêmes membres du Comité de Sûreté générale.
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C'est François Chabot qui trouva sur elle la présente Adresse aux Français, dont lecture fut faite sur le champ. Le procès se tint le 17 juillet. Charlotte Corday qu'Alphonse de Lamartine surnommait « l'ange de l'assassinat » fut condamnée et exécutée le même jour.
Crédits photo : Maison Osenat / Domaine public
Par Dépêche
Contact : depeche@actualitte.com
Paru le 23/01/2014
961 pages
Robert Laffont
30,00 €
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