BONNES FEUILLES – Attaquer la terre et le soleil narre le destin d’une poignée de colons et de soldats pris dans l’enfer oublié de la colonisation algérienne, au dix-neuvième siècle. Et en un bref roman, c’est toute l’expérience d’un écrivain qui subitement se cristallise et bouleverse, une voix hantée par Faulkner qui se donne.
Le 13/05/2022 à 14:57 par Victor De Sepausy
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13/05/2022 à 14:57
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#RentreeLitteraire22 - Depuis plus de vingt ans, Mathieu Belezi construit une œuvre romanesque d’une puissante cohérence, à la phrase ciselée. La musicalité qui frappe dès les premières lignes d’Attaquer la terre et le soleil fait écho à la langue si particulière de Le Petit Roi, son premier roman publié en 1998 aux éditions Phébus. Quant à son thème, il renvoie à sa grande trilogie algérienne publiée successivement aux éditions Albin Michel (C’était notre terre, 2008) et Flammarion (Les Vieux Fous, 2011 ; Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, 2015).
Est-ce la constance de ce parcours qui explique la fulgurance de ce nouveau roman ? Écrit en quelques mois à l’automne dernier, Attaquer la terre et le soleil est d’une beauté tragique. Il dit, à travers les voix d’une femme et d’un soldat, la folie, l’enfer, que fut cette colonisation.
Mathieu Belezi le raconte :
Si un jour j’ai décidé d’écrire, c’est inexplicablement parce que j’ai de tout temps été hanté par des personnages. Enfant déjà je ne pouvais pas m’empêcher d’inventer des vies aux personnes que je rencontrais, d’en faire des personnages que je manipulais à ma guise, que je lançais dans des aventures abracadabrantesques.
Et aujourd’hui j’en suis toujours là. À me débattre en permanence avec une foule de personnages qui circulent avec la liberté grande de celle ou de celui qui se sait habilité à raconter tout et n’importe quoi. Mais cette agitation en moi a quand même fini par se structurer un peu. Et deux solides troncs, à partir desquels se développent mes romans, sont apparus : l’époque de l’Algérie coloniale (de la conquête à la guerre d’indépendance) d’une part, et de l’autre notre furieux et mortifère XXIe siècle. C’est dans ces deux champs littéraires qu’à présent mes personnages prennent forme, vivent et meurent.
Et de cette manière, sans doute parce que l’actualité ne cesse de revenir sur les drames de la guerre de décolonisation (mémoire française bien étrangement sélective), deux voix très impérieuses se sont imposées à moi pour que j’écrive un quatrième roman algérien. Elles arrivaient de très loin ces voix, des fins fonds d’une mémoire occultée, et elles avaient un besoin irrépressible de parler, de dire l’avouable et l’inavouable des tout premiers débuts d’une conquête dramatique.
Coincé, dans l’impossibilité de me dérober, alors que je croyais en avoir fini avec l’Algérie coloniale, j’ai laissé parler Séraphine, femme colon qui arrive dans les années 1840 en Algérie avec son mari, ses enfants, sa sœur et son beau-frère, et en parallèle j’ai donné la parole à un soldat occupé à la « pacification » du pays. L’un et l’autre devaient-ils entrer en contact ? Je ne me suis jamais posé la question.
Le roman avançait, les deux personnages n’éprouvaient pas le besoin d’une quelconque rencontre, alors ils ne se sont pas rencontrés. Moi, l’écrivain, éprouvais-je des remords ? pensais-je avoir été trahi par ces deux personnages ? Pas du tout. J’étais même plutôt ravi par la tournure qu’avait prise ce roman.
Mais il me restait à trouver un titre. J’ai longtemps tourné en rond dans ma chambre. Et puis je suis allé marcher le long des quais du Tibre. Le soleil brillait sur le fleuve comme au ciel. Au-dessus des toits la lumière avait des langueurs africaines, et les gens que je croisais cherchaient un prétexte pour ne pas rentrer chez eux. Je me suis assis à la terrasse d’un café, j’ai fermé les yeux, et le titre m’est venu d’un coup : attaquer la terre et le soleil.
Oui, ce serait ce titre et pas un autre : Attaquer la terre et le soleil.
Dans le cadre d'une tournée inédite de présentation de leur rentrée littéraire, quatre éditeurs – Philippe Rey, Le Tripode, Le Passage et Bruit du Monde – vont à la rencontre de 250 libraires à travers la France. En avant première, ils nous proposent de découvrir les extraits des différents romans qui seront alors dévoilés.
Dossier - Romans de la rentrée littéraire 2022 : découvrez les bonnes feuilles
Paru le 01/09/2022
152 pages
Le Tripode Editions
17,00 €
Paru le 03/03/2010
507 pages
LGF/Le Livre de Poche
8,70 €
Paru le 24/08/2011
124 pages
LGF/Le Livre de Poche
5,60 €
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David Daco
21/08/2022 à 09:52
J’ai découvert « c’était notre terre » presque par hasard. Un ami m’a prêté le livre car il savait que je m’intéressait à l’histoire de l’Algérie depuis quelques temps. Au fil des pages j’ai découvert un grand écrivain, avec un lyrisme et un souffle, une écriture précise, élégante et puissante. Le style du livre est tout juste extraordinaire et surprenant. J’ai adoré. C’est à classe dans la catégorie des chefs d’œuvre. D’ailleurs le Goncourt des Lycéens est généralement un très bon choix. Vive les lycées.