Dans cette grande saga qui nous a emportés aux origines du Registre ReLIRE, mettant en application la loi relative à l'exploitation numérique des oeuvres indisponibles, nous avons remarqué combien le chemin a été long, mais finalement assez paisible. Partant de la numérisation et de la commercialisation d'oeuvres sous droit au travers de la BnF, en passant par la volonté de contrer Google Books, le SNE a su mettre en place les outils nécessaires pour que se dessine une véritable usine à gaz. Ou un projet fumeux, c'est selon...
Le 23/05/2013 à 17:20 par Nicolas Gary
Publié le :
23/05/2013 à 17:20
Un lecteur ebook, modèle Sony Reader
Brett Jordan (CC BY 2.0)
Notre dernier coup d'oeil à la situation remontait à septembre 2009, et un nouveau compte-rendu de réunion de la Commission numérique, faisant état des difficultés à conserver les subventions accordées pour la numérisation des oeuvres, mais également au projet ARROW. Dans l'intervalle, nous avions pu découvrir que l'IABD était intervenu, pour prendre position contre le règlement Google Books, tout en défendant la « numérisation du patrimoine via le grand emprunt ». La messe était dite, et dans un rendez-vous de novembre 2009, le SNE revient sur cette idée.
Faisant tout d'abord un premier saut dans le temps, fin septembre 2009. À cette époque, le groupe universitaire du SNE se réunit. François Gèze, que l'on a déjà entendu sur la question du registre ReLIRE, en est alors le président. Or, le groupe universitaire fait déjà écho à la position de l'IABD, « forte et intéressante », note-t-on. Pour mémoire, l' Interassociation archives-bibliothèques-documentation (IABD) regroupe toutes les associations de bibliothèques françaises (ABF, ADBU, ADBS... mais pas la BNF).
Non à Google, oui à autre chose
Dans un premier temps, c'est une critique formelle d'une possible transposition de l'accord Google en Europe, que dénonçait l'IABD,
au motif de risques d'atteinte à la protection de la vie privée et de censure, de limites de l'accès au savoir (un seul terminal d'accès gratuit par bibliothèque publique étant vu comme insuffisant, exclusivité de l'indexation des contenus par Google), de la situation de monopole de Google sur cette offre numérique et des abus possibles (en partant du constat que c'est déjà le cas avec le système d'abonnement pour les revues scientifiques dont le coût a été multiplié par 4 en 15 ans) et le droit exclusif de Google d'utiliser les oeuvres orphelines.
L'autre point, c'est une proposition, dont nous avons touché un mot précédemment, reposant tout d'abord sur une solution réglant la question des oeuvres orphelines et épuisées.
la gestion collective obligatoire, voire une exception pour les oeuvres orphelines (voire épuisées)... ce qui va assez loin et rappelle le rapport Stasse sur la « zone grise » ;
[ce dernier a été amplement critiqué sur Blogo numericus, les critiques ayant aujourd'hui toujours autant de valeur, face à ce rapport remis en avril 2005. Rappelons-en toutefois ce point :
Ainsi, il ne paraît pas acceptable au regard de l'économie des deniers publics, que des oeuvres numérisées, achetées par des bibliothèques, ne puissent plus être lues et deviennent donc indisponibles du seul fait de l'abandon par les industriels d'un format de lecture au profit d'un nouveau.
Pour faire face à ce risque de perte prématurée d'œuvres numérisées, l'autorisation donnée par le projet de loi de transposition de la directive européenne aux du 22 mai 2001 aux institutions titulaires du dépôt légal de pratiquer une copie de sauvegarde, devrait, dans des limites techniques et temporelles qui demandent à être précisées, bénéficier également aux bibliothèques publiques qui ont acquis à titre onéreux de telles œuvres.
La question de la zone grise est de tout manière à relire pour se rafraîchir la mémoire :
Rémunération, numérisation et base de données
Les autres suggestions de l'IABD, notées par le groupe universitaire sont les suivantes :
la rémunération des ayants droit des œuvres orphelines et épuisées via un système de paiement forfaitaire (apparemment une fois pour toutes) basé sur l'emprunt national.
À titre de comparaison, le SNE promeut le projet de gestion collective obligatoire des œuvres orphelines du secteur de l'écrit et des arts visuels qui propose une rémunération venant seulement en contrepartie d'une autorisation temporaire de numérisation et de mise à disposition des oeuvres orphelines.L'opposition des bibliothèques au modèle économique proposé par le Règlement se fonde également sur leur rejet de la formule d'abonnement qui revient selon elles à « instaurer les conditions d'un nouveau marché inélastique, comme celui qui existe actuellement pour les revues » dont le public captif est contraint d'accepter les conditions d'accès.
la constitution de bases de données de type ARROW, projet européen regroupant les représentants des éditeurs et des bibliothèques et visant à faciliter les recherches d'ayants droit et l'identification du statut d'une œuvre (domaine public ? épuisée ? orpheline ?)
Pour le financement et la numérisation, c'est immédiatement l'emprunt national qui est envisagé, mais dans le cas d'oeuvres orphelines uniquement. Pour l'occasion, François Gèze, intervenant, soulignait l'intérêt de ces propositions « visant à trouver des solutions pratiques face à la méthode du fait accompli de Google et indique qu'une réunion va être organisée entre le SNE et l'IABD ». Ce qui est à noter, c'est que les oeuvres épuisées ne sont jamais bien loin des indisponibles. Le groupe évoque ainsi la nécessité d'un débat « sur la gestion des œuvres épuisées ainsi qu'un dispositif de soutien accru du CNL à leur numérisation ». Car n'oublions jamais : c'est bien pour sauvegarder des subventions qui n'étaient que peu ou pas exploitées que le SNE s'est mobilisé autour de la question des oeuvres épuisées.
Et le groupe de conclure sa réunion :
En Allemagne par exemple, la société de gestion collective VG Wort pourra accorder des licences pour les œuvres orphelines aux utilisateurs qui prouveront qu'ils ont accompli une recherche diligente, et pour les œuvres épuisées dont les éditeurs auront apporté un mandat sur une base volontaire.
Enfin, Jean-Frank Cavanagh rappelle que dans le cadre de la mission Zelnick/ Toubon/ Cerrutti sur Création et Internet, il conviendra de rester vigilants afin d'éviter le retour de la « licence globale ».
700.000 ouvrages, pour 160 millions €
Ladite réunion entre les éditeurs universitaires et l'IABD aura lieu le 27 octobre 2009, soit un mois plus tard. Une fois encore, François Gèze va saluer « la position d'opposition de l'IABD vis-à-vis de Google ». La suite vaut son pesant de cacahuètes, enrobées de caramel :
Il l'informe des propositions formulées par le SNE pour le financement de la numérisation de 700.000 livres sous droit (disponibles, épuisés ou orphelins) correspondant au « patrimoine culturel » français dans le cadre du grand emprunt national et ce, pour un coût total de 160 millions € (100 millions € pour la numérisation de qualité « supérieure » - XML - de 100 000 ouvrages récents et 60 millions € pour la numérisation de qualité usuelle – PDF + OCR - pour les 600 000 autres livres).
Ce projet serait entrepris en partenariat avec la BNF et sur la base d'une politique documentaire et se placerait dans le cadre de la relance de l'économie via le numérique.
Nous y sommes. La loi du 1er mars 2012 vient de prendre forme, et les acteurs participants sont d'ores et déjà informés de sa création. Pourtant, Albert Poirot, président de l'ADBU, voit l'écueil poindre : la numérisation de masse met en exergue « l'exhaustivité des collections, certaines bibliothèques procédant par section de leur bâtiment et non par discipline. Ainsi, l'ADBU compte effectuer un tri de masse ».
To be, or not to be identified
Or, le projet ne s'arrête pas en si bon chemin, et l'on comprend que la fabrication de ce projet n'était pas mal intentionnée. En effet, en s'appuyant sur l'exemple d'ARROW, qui permet d'entreprendre des recherches au travers de différentes bases de données « et ainsi d'identifier plus facilement les ayants droit auxquels demander la permission d'utiliser l'œuvre ou le statut d'une œuvre (du domaine public, sous droit, épuisée, orpheline) ».
Il faut alors croire que le système de l'opt-out aujourd'hui instauré n'a pas toujours été la solution première, mais bien celle de facilitée, choisie par la suite.
Pour les œuvres épuisées, François Gèze ajoute qu'il pourrait être utile de s'interroger sur l'intérêt d'un éventuel système de gestion collective, le mode volontaire ayant l'avantage de ne pas nécessiter de modifier la loi et pouvant par exemple permettre la conclusion d'accords sur une période précise pour la numérisation et la mise en ligne sous des conditions à étudier de certaines collections ; le mode obligatoire ayant pour effet de couvrir toutes les œuvres. Il rappelle combien le dialogue avec le CFC a jusqu'à présent permis de résoudre de nombreux problèmes.
Le reste de la discussion fait valoir que le SNE et la BnF vont se concerter sur « les corpus concernés, la définition des formules juridiques appropriées et leur mise en place ». En outre, le groupe de travail de l'écrit, mené par le CFC, allait être discuté le cadre juridique nécessaire, lequel travaillerait également avec le ministère de la Culture « en vue de l'établissement par la loi de la gestion collective obligatoire des œuvres orphelines début 2010 ». Dans le cas où des solutions différentes apparaîtraient pour les oeuvres orphelines et épuisées, Philippe Masseron, assure que le CFC pourrait toujours servir d'intermédiaire, pour assurer la conclusion d'accords.
Si le SNE et l'IABD se quittent en s'assurant qu'ils continueront de s'opposer à l'accord Google, ils prévoient une rencontre à date ultérieure, avant la fin de l'année 2009. Le germe est planté, les racines vont doucement prendre... et au 30 novembre, le groupe universitaire remettra le couvert, entérinant définitivement le projet. Le 18 décembre, devait être émis le jugement attendu dans le procès opposant les éditions La Martinière, le SNE et la SGDL à Google. Et l'histoire vient de faire un bond supplémentaire...
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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