Dix années de procédure menée contre Google Books, qui avaient fini par donner raison à la société de numérisation contre les auteurs. Et désormais, l’affaire est totalement close : la Cour suprême des États-Unis (SCOTUS) a décidé de rejeter la demande d’examen que portait l’Authors Guild. La dernière chance disparaît, et le Fair Use est désormais reconnu comme une mesure à part entière.
Le 18/04/2016 à 17:30 par Nicolas Gary
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18/04/2016 à 17:30
Ce lundi matin, la SCOTUS a fait savoir qu’elle refusait de prendre la requête et donc de juger en troisième instance l’affaire. Pour l’AG, l’effet de numérisation de masse privait les auteurs de revenus, raison pour laquelle l’organisation, déboutée en appel, tentait le coup devant la suprême juridiction. Mais la SCOTUS n’accepte qu’une poignée de cas chaque année, et définitivement, 2016 ne sera pas celle du livre numérique. Précédemment, la Cour a en effet renvoyé Apple à ses amendes en refusant de rejuger sa culpabilité dans l’affaire du prix des livres numériques et de l’entente avec les éditeurs.
Dans le cas de Google Books, une coalition d’auteurs, éditeurs, organisations de défense du droit d’auteur et autres s’était présentée comme Amicus Curiae (conseillers de la cour) dans la procédure, pour tenter d’infléchir la justice. Mais le jugement d’octobre 2015 ne sera donc pas remis en cause, et les trois juges de la SCOTUS ont unanimement décidé que le cas ne méritait pas leur attention.
Selon les documents présentés par l’AG, la société Google Books, filiale de Alphabet Inc, a réalisé plus de 20 millions de copies de livres. Certains éditeurs ont accepté de permettre à Google de copier leurs œuvres, tandis que d’autres ont même choisi de s’emparer des outils pour sélectionner les livres à numériser.
Dans le cadre du Fair Use, ou Utilisation équitable, Google Books permet aux utilisateurs d’effectuer des recherches dans les livres, sur la totalité du contenu. Cependant, il n’est pas possible de consulter le livre intégralement en ligne, s’il ne relève pas du domaine public. On doit tout de même souffler fortement chez Google, parce qu’en cas de nouveau procès et de condamnation, la société risquait des milliards de dollars de dommages-intérêts.
On parlait en effet de 750 $ par ouvrage sous droit contenu dans la base.
En outre, nous avions déjà envisagé le fait que Google préférerait certainement couper définitivement l’accès et fermer son site, plutôt que de céder à la Justice. Or, personne ne gagnerait à ce que ce service disparaisse. Difficile donc de ne pas avoir, pour les auteurs qui se sentent trahis et usurpés dans leurs droits, un sentiment de dépossession total. En France, pour s’assurer que l’on pouvait voler légalement les auteurs, on a toutefois inventé une loi, et un processus : le registre ReLIRE.
Outre les auteurs, la décision ne fera certainement pas plaisir à Arnaud Nourry, PDG de Hachette Livre. Ce dernier avait fustigé Google et ses méthodes, lors d’une intervention publique que certains ont encore en travers de la gorge. Google y était présenté comme l’acteur « le plus susceptible de constituer un danger clair et immédiat pour notre industrie ».
Et ce, du fait de la campagne de numérisation massive entreprise par le moteur de recherche. Le problème vient de ce que les aspirations de Google pourraient être facilitées par les exceptions que prévoit la Commission européenne. « Qu’est-ce qui les empêchera de se définir comme une bibliothèque et de faire en sorte que tous ces livres soient disponibles gratuitement, sur une base non lucrative ? » s'inquiétait ainsi récemment le PDG de Hachette Livre.
La Cour avait estimé précédemment que la numérisation pratiquée relevait du Fair Use. « La création par Google d’une copie numérique pour assurer une fonction de recherche est un usage transformatif qui améliore les connaissances du public en rendant les informations sur les livres des plaignants disponibles au public », avait tranché Pierre Leval, au terme de l’audience. Autrement dit, rien d’illégal. La SCOTUS reste donc sur cette décision.
Mary Rasenberg, directrice de l’Authors Guild, est désemparée : « Aveuglée par des arguments d’utilité publique, la décision de la Cour d’appel nous a dit que Google, et non les auteurs, mérite de tirer profit de la numérisation des livres. Le Second circuit a mal mesuré l’importance des marchés émergents en ligne pour les livres et les extraits. Ils n’ont pas saisi le préjudice potentiel très réel pour les auteurs, résultant de sa décision. »
Roxana Robinson, la présidente de l’AG, ajoute : « Aujourd’hui, les auteurs ont subi une perte colossale. [...] Nous pensions alors, et le croyons encore, que les auteurs devaient être compensés lorsque leur travail est copié à des fins commerciales. » Pour l’AG, cette nouvelle doctrine jurisprudentielle va favoriser l’émergence de technologies s’appuyant sur les œuvres, au mépris du droit d’auteur.
« L’Authors Guild remercie tous ses nombreux, très nombreux partisans, qui au long de cette affaire nous ont soutenus. [...] Nous allons continuer de nous battre avec vous pour assurer la protection du droit d’auteur et des arts créatifs, en Amérique et dans le monde. »
En octobre dernier, la cour d’appel avait estimé que Google Books n’a pas non plus porté atteinte aux droits dérivés que protège le copyright, en proposant de nouveaux modes d’entrée vers les œuvres. Attendu que la numérisation apporte de nouvelles informations sur les livres, et ne se substitue pas à leur essence première, tout est sur les rails.
La contrefaçon aurait en effet pu être déclarée si l’on sortait de ce que l'on considère comme une transformation, en vertu de ce qu’autorise le Fair Use :
• en fonction de l’utilisation et du but recherché – allant de l’usage commercial à une finalité pédagogique sans but lucratif
• par rapport au contenu originel
• par rapport à la quantité et la qualité du contenu originel utilisé dans l’œuvre dérivée
• selon que l’utilisation illicite aura une incidence sur le marché pour le contenu originel
« Les auteurs ont en réalité appris à Google à lire. Nos ouvrages ont aidé le moteur à mieux reconnaître et répondre dans un langage naturel, ce qui est essentiel à la réussite de sa fonction de recherche. Google a sans doute bien profité de nos livres pour ses utilisations internes, mais il n’a pas eu la décence de reverser un centime aux auteurs, ni de leurs demander la permission », s’en étranglait Roxana Robinson, voilà quelques mois.
En France, la Société des Gens de Lettres avait dénoncé le jugement de seconde instance, évoquant un « jugement inquiétant de la Cour américaine en faveur de Google Books ». La SGDL souhaitait par-dessus tout que la législation américaine du Fair Use ne soit pas adaptée dans le droit français.
La France dispose déjà d’un régime juridique pour les œuvres dérivées ou composites ; il serait parfaitement déraisonnable de mettre en place une nouvelle exception fondée uniquement sur le seul critère de la « transformation » de l’œuvre quand le juge américain, lui-même, utilise quatre critères pour vérifier si l’usage qui lui est soumis satisfait ou non les conditions d’application du fair use, rappelait-on.
Le lancement de Google Print en mai 2005 est précédé de deux étapes. En octobre 2004, Google lance un partenariat avec les éditeurs pour pouvoir consulter à l’écran des extraits de livres puis commander ces livres auprès d’une librairie en ligne.
En décembre 2004, Google lance un partenariat avec les bibliothèques. Il s’agit de numériser les livres appartenant à plusieurs grandes bibliothèques partenaires, à commencer par la bibliothèque de l’Université du Michigan (dans sa totalité, à savoir 7 millions d’ouvrages), les bibliothèques des Universités de Harvard, de Stanford et d’Oxford, et la New York Public Library. Le coût estimé au départ se situe entre 150 et 200 millions de dollars US, avec la numérisation de 10 millions de livres sur six ans et un chantier d’une durée totale de dix ans.
En août 2005, soit trois mois après son lancement, Google Print est suspendu pour une durée indéterminée suite à un conflit grandissant avec l’Authors Guild (association américaine représentant les auteurs) et l’Association of American Publishers (AAP – Association des éditeurs américains), celles-ci reprochant à Google de numériser des livres sans l’accord préalable des ayants droit.
Le programme reprendra en août 2006, sous le nom de Google Books.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
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