Quand on pense à Sartre, on évoque d’abord « l’enfer, c’est les autres », formule que l’on retrouve dans la célèbre pièce Huis clos. Mais, il serait bien réducteur de ne retenir que cette phrase du philosophe de l’existentialisme toujours associé à Simone de Beauvoir, à moins que ce ne soit l’inverse.
Le 29/02/2024 à 11:01 par Victor De Sepausy
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29/02/2024 à 11:01
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Le philosophe Jean-Paul Sartre a bénéficié d’une reconnaissance très importante durant toute sa carrière. Aimant à mettre en scène ses combats, il s’affichait dans toutes les luttes de son temps. Jusqu’à sa disparition en 1980, on cherchait toujours à s’adjoindre l’appui de Sartre quand on voulait mettre en œuvre des actions de révolte et de remise en cause de l’ordre établi, que ce soit d’un point de vue social, artistique ou politique. On oublie parfois que ce philosophe exerçait ses talents aussi bien dans la sphère philosophique dans celle de la littérature.
Un écrivain jouant des ressources de tous les genres
Si l’on a bien à l’esprit certaines de ses pièces, comme Huis clos ou Les Mouches et Les Mains sales, on est rapidement un peu court en ce qui concerne ses romans. Après La Nausée, il ne nous vient plus rien. C’est sans compter sur Les jeux sont faits. Ce texte fut d’abord celui du scénario d’un film sorti en 1947, avec Jean Delannoy à la réalisation. Si le titre fait référence à l'univers des jeux, voire des paris, tels qu'on en trouve sur GemBet ou ailleurs, c'est à un enrichissement de la formule qu'appelle Sartre . Un peu oublié en France, ce roman bénéficie encore d’une certaine aura à l’étranger. Le film, édité en DVD par Gaumont, reste aussi facilement accessible.
C’est donc un roman que l’on peut déjà qualifier d’existentialiste. Ève et Pierre, deux individus malheureux trahis par le destin, se retrouvent dans un bureau de contrôle des morts. Après avoir été enregistrés dans le registre des défunts et avoir légalement certifié leur décès, ils découvrent qu'ils ont été tous deux assassinés. Bien qu'ils puissent se déplacer parmi les vivants et partager leur quotidien, ils sont désormais invisibles pour eux, sans reflet dans les miroirs et sans ombre. Malgré cela, ils observent la vie trépidante des vivants, témoignant de leurs amours, de leurs affaires quotidiennes, de leurs secrets et de leurs mensonges, impuissants à intervenir ou à révéler la véritable valeur de leurs choix.
Parcourant la ville et confrontés à toutes les trahisons de leur existence passée, Ève et Pierre, épris l'un de l'autre, découvrent qu'une erreur a entaché leur destin : ils auraient dû se marier. Bénéficiant de l'article 140, ils obtiennent le privilège de revenir à la vie, mais seulement pour une durée limitée de 24 heures. Pendant cette brève réapparition sur Terre, ils doivent s'éprendre l'un de l'autre de manière inconditionnelle ; sinon, la mort les saisira à nouveau, les privant à jamais du retour à la vie.
Sartre a toujours jeté sur le cinéma un regard particulièrement éclairé. On peut d'ailleurs s'interroger ce qui a pu limiter l'effervescence créatrice de Sartre dans l'univers cinématographique. Quand on lit Les mots, on voit déjà que le philosophe en devenir aimait à fréquenter les salles obscures. Pascale Fautrier a interrogé de façon assez approfondie les relations entre Satre et le cinéma.
Un questionnement sur la liberté
« Nous sommes condamnés à être libres », telle est la formule assez paradoxale que l’on retient souvent de la pensée de Sartre en matière de libre arbitre. Face à cette obligation d’être libre, on se réfugie souvent dans une forme de déresponsabilisation, en faisant preuve, pour Sartre, d’une certaine mauvaise foi. On se réfugie derrière une supposée essence de notre moi. Or, comme le dit aussi Sartre, « l’existence précède l’essence »…
L'une des principales thématiques du roman est celle de la liberté. Pierre et Eve se rendent compte qu'ils sont confrontés à des choix déterminants qui vont influencer leur destinée éternelle. Sartre met en lumière la responsabilité individuelle et la capacité de l'homme à prendre des décisions, même dans des circonstances apparemment absurdes.
Le roman aborde également la question de l'existence humaine dans un univers dénué de sens intrinsèque. Les protagonistes se trouvent dans un état d'incertitude et d'angoisse, confrontés à la possibilité de revivre des moments de leur passé marqués par la souffrance, la trahison et le regret. Ils doivent affronter les conséquences de leurs actions passées et faire face à la réalité de leur propre condition.
Le film réalisé par Jean Delannoy
Jean Delannoy a souvent croisé les univers du cinéma et de la littérature dans ses productions cinématographiques. On pense bien sûr à sa Symphonie pastorale, l’adaptation du roman éponyme de Gide et qui obtint la Palme d’or en 1946. Quant à L’Eternel retour, créé en collaboration avec Jean Cocteau, c’est une réécriture de la légende de Tristan et Iseult. N’oublions pas aussi son adaptation réussie de La Princesse de Clèves en 1961.
Le film Les jeux sont faits, sorti en 1947, explore les thèmes de la culpabilité, de la responsabilité et du destin. Les personnages sont confrontés à leurs propres choix et doivent faire face aux conséquences de leurs actes. La tension monte au fur et à mesure que les vérités sont révélées et que les liens entre les personnages se resserrent.
Dans Les jeux sont faits, Jean Delannoy utilise des techniques cinématographiques telles que l'éclairage, la musique et le jeu d'acteur pour créer une atmosphère de suspense et de mystère. Le film nous invite à réfléchir sur la nature humaine, la moralité et les décisions qui façonnent nos vies.
Apporter un regard original sur l'oeuvre de Sartre
Si aujourd’hui, on préfère faire découvrir Sartre aux jeunes lycées à travers La Nausée, ou bien par l’entremise de ses grandes pièces de théâtre, comme Huis clos, on peut donc aller faire un tour du côté de son roman Les jeux sont faits. Cela peut intervenir en prolongement d’un premier travail, afin de voir comment les grands thèmes de la philosophie de Sartre se retrouvent dans cet ouvrage. Si vous voulez faire encore plus original, il est possible d'aller découvrir la bande dessinée signée Karibou et Rcherand intitulée L'enfer c'est les hôtes (éditions Delcourt - Pataquès), une adaptation assez libre de la pensée sartrienne...
Mais en restant sur le roman Les jeux sont faits, l’entrée sera tout aussi originale, et les réflexions qui en surgiront seront d’autant plus personnelles. Un détour comparatif par le film de Jean Delannoy sera par ailleurs très instructif et ouvrira de multiples perspectives critiques. S'il est opportun de faire découvrir un auteur à travers une de ses oeuvres les plus incontournables, il est particulièrement bievenu par la suite de proposer un titre qui sorte un peu des sentiers battus, un titre parfois un peu trop vite oublié.
Crédits illustration Pexels CC 0
Par Victor De Sepausy
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