Comment vivait-on il y a quatre millénaires en Mésopotamie ? Une série de tablettes d'argile retrouvée dans l'Est de la Syrie révèle une part des pratiques et coutumes d'une cité. On en connaît plus sur ses habitants que sur le roi de la région, grâce à ses documents arrivés jusqu'à nous. Tout part d'un érudit français, en 1923, François Thureau-Dangin...
Le 13/03/2023 à 10:10 par Hocine Bouhadjera
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13/03/2023 à 10:10
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Ce dernier s'est rendu dans l'actuelle Syrie, à la recherche du site d'une importante cité mésopotamienne appelée Terqa, aujourd'hui un village sur l'Euphrate dénommé Tell Ashara. Elle abritait le grand dieu de la région, une divinité du grain, Dagan, dont les archéologues n'ont pas encore trouvé les vestiges du temple.
Il en est revenu en France avec plusieurs tablettes d'argile écrites en cunéiforme, qu'il a étudiées avant de rendre ses conclusions dans un article.
La professeure d'Histoire à la California State Polytechnic University, de Pomona, Amanda H. Podany, a repris les travaux de François Thureau-Dangin. Elle s'est aussi appuyée sur les découvertes qui ont suivi, afin de réaliser une véritable description de la vie des habitants de Terqa, 18 siècles avant notre ère.
Après la mort de Thureau-Dangin en 1944, d'autres fouilles ont été menées à Terga, apportant de nouvelles tablettes, dont une à la fin des années 1970, menée par une équipe internationale dirigée par l'archéologue et historien à l'Université de Californie, Giorgio Buccellati.
Un nom a particulièrement attiré l'attention d'Amanda H. Podany dans ses pièces : Gimil-Ninkarrak. 14 tablettes de cet inconnu, datées d'environ 3700, ont été trouvées, dont beaucoup dans ce qui était apparemment sa maison. Ces découvertes ont été publiées en 1984 et 2011 par l'épigraphe des fouilles, Olivier Rouault, aujourd'hui co-directeur de la mission archéologique syro-française à Ashara-Terqa.
En tout, plus de 100 tablettes de Terqa, rédigées par des scribes, ont été publiées. On retrouve des lettres personnelles, des contrats, des exercices scolaires, ou encore des listes de noms de personnes qui travaillaient ensemble. Des registres familiaux et documents personnels sont souvent retrouvés dans des habitations.
Par l'histoire reconstituée de Gimil-Ninkarrak et de la communauté qui l'entoure, Amanda H. Podany a dégagé certaines réalités de la cité de Terqa. Ces tablettes nous donnent des noms, ainsi que de nombreux détails sur les relations entre les personnes et les familles, les professions et les noms d'institutions.
Gimil-Ninkarrak, personnage éminent de sa communauté, révèle des archives de roche liées au roi local, Kashtiliashu, dont on ne sait quasiment rien. Gimil-Ninkarrak semble avoir été étroitement impliqué dans le sanctuaire de Ninkarrak, dédié à une déesse de la guérison.
Il vivait vraisemblablement dans une habitation à côté de l'édifice cultuel : une liste de noms qui enregistre probablement des offrandes faites à la déesse a été trouvée et présente Gimil-Ninkarrak à la quatrième place, après la déesse elle-même, le roi, et une autre personne.
À son époque, le royaume de Babylone était la principale puissance en Mésopotamie, mais depuis peu seulement. Terqa semble avoir été sous l'influence directe de celui-ci. La Babylone biblique de Nabuchodonosor ne viendra que près de 1100 ans après. L'ancien empire babylonien avait été forgé par le roi Hammurabi. Gimil-Ninkarrak pourrait être né vers la fin du règne du Babylonien.
Code de Hammurabi, roi de Babylone, face avant, partie supérieure. Mbzt (CC BY-SA 3.0)
Gimil-Ninkarrak avait un fils et vraisemblablement une femme, non mentionnée, mais aussi une fille,
Guatum, vendue, semble-t-il, comme esclave, par ses parents. Sur une tablette, il est décrit : « Gimil-Ninkarrak, fils d'Arshi-ahum, l'acheta à plein prix à Shamhu et Beltani, son père et sa mère. Il a payé 5/6 de mana d'argent. »
Cette tablette est inhabituelle pour son époque certifie Amanda H. Podany. Certains contrats mentionnent en revanche l'achat de jeunes femmes à ses parents par un couple, afin qu'elle devienne la seconde épouse du mari, et l'esclave de la femme.
La vente de cette Guatum pourrait avoir été motivée par la grande misère. Au XIIIe siècle avant notre ère cette fois, à Emar, une tablette décrit les raisons d'une telle vente : « Mon mari est parti; [nos enfants] (étaient tous) des bébés [et je n'avais personne] qui pouvait (les nourrir). Par conséquent, j'ai vendu ma fille Ba'la-bia pour être une fille d'Anat-ummi… et (ainsi) je pourrais nourrir les (autres) petits enfants (les miens) pendant l'année de la famine. » La cité d'Emar souffrait en effet de famine et d'attaques de l'extérieur à cette période.
La culture mésopotamienne offrait à un individu ou à une famille de sortir de la crise financière par la demande d'un prêt d'argent ou d'orge à une personne riche ou à un temple. Les taux d'intérêt étaient en revanche souvent prohibitifs. Dans ses lois, le roi Hammurabi de Babylone avait tenté de réglementer cette pratique en prescrivant un taux d'intérêt de 33 % sur l'orge et de 20 % sur l'argent...
Si le débiteur n'avait pas de famille élargie assez riche pour l'aider à effectuer les paiements, ce dernier ou un membre de sa famille pouvaient être asservis au créancier pendant une durée déterminée. Il devait effectuer un travail pour régler la dette. Les rois de cette époque ont souvent publié des décrets au début de leur règne, dans lequel ils imposaient l'annulation des dettes pour toute la population, entraînant une libération massive des esclaves pour dettes.
À en juger par le sceau-cylindre de Gimil-Ninkarrak, qui faisait office de signature, ce dernier servait le roi en tant que l'un de ses barbiers personnels, et de ce fait, portait le titre de "chef barbier". En parallèle à ce métier, il était propriétaire d'un champ, car en Mésopotamie il y a 3700 ans, presque tout le monde possédait un lien avec l'agriculture.
Un sceau-cylindre de Terqa. Musée du Louvre.
Les fonctionnaires pouvaient utiliser la terre du roi comme une forme de salaire, mais ne la travaillaient pas eux-mêmes. Des métayers, des ouvriers salariés ou des entrepreneurs s'acquittaient de cette tâche. Les soldats se voyaient attribuer de plus petites parcelles de terre qu'ils cultivaient lorsqu'ils n'étaient pas en campagne.
De nombreuses professions à cette époque étaient organisées en guildes, chacune avec un administrateur pour superviser ses membres. Une guilde de barbiers est mentionnée sur une tablette d'argile de la ville voisine de Mari où « les membres de la guilde des barbiers prennent place à côté des (autres) artisans et déposent leurs rasoirs devant (la déesse) Ishtar ». Gimil-Ninkarrak semble avoir dirigé la guilde des barbiers de Terqa.
En outre, le titre du barbier en chef pourrait, en vérité, s'avérer trompeur : à la même époque, un autre barbier en chef avait la responsabilité de superviser les troupes dans un fort militaire. Il est donc possible que Gimil-Ninkarrak ait passé plus de temps dans l'administration du royaume local qu'à discuter avec des clients tout en leur taillant la barbe.
Outre, Gimil-Ninkarrak, les documents regorgent d'autres noms, soit des centaines d'hommes et quelques femmes, généralement identifiés par leur profession ou par le nom du père. D'ailleurs, rien n'indique dans ses tablettes que les femmes aient été empêchées de participer aux événements de la ville et à la société. Amanda H. Podany a mis en évidence que cinq familles dominaient Terqa. Elle a aussi reconstitué des arbres généalogiques partiels.
Les noms reviennent dans plusieurs tablettes en tant que témoins aux contrats. Les registres des transactions foncières et immobilières étaient souvent conservés pendant longtemps, des siècles parfois, afin de prouver la propriété, au cas où quelqu'un la contesterait.
Deux pots de contrats fonciers ont été trouvés à Terqa. Si une personne contestait une vente, les justiciables devaient trouver le contrat pertinent, rassembler certains des témoins originaux qui avaient été nommés sur la tablette, et se rendre au tribunal.
S'il s'avérait que quelqu'un avait renié les termes du contrat, la punition était très sévère : dans la plupart des cas, le coupable devait payer 10 livres d'argent comme amende au palais, soit bien plus que ce que quelqu'un gagnait dans toute une vie, dans presque toutes les professions, et avoir de l'asphalte chaud enduit sur sa tête... Les affaires judiciaires d'autres régions suggèrent que des sanctions aussi sévères ont rarement été imposées, mais existaient plus comme un moyen de dissuasion.
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En tant qu'habitants de Mésopotamie, soit l'Irak et la Syrie modernes, la population de Terqa vivait dans ce qui était alors l'une des zones les plus urbaines et les plus densément peuplées du monde. Les cités et les royaumes se situaient sur le bord du Tigre et de l'Euphrate.
Les plus grandes atteignaient des dizaines de milliers d'habitants, avec de somptueux palais, des murs d'enceinte imposants et d'importants temples.
Crédits photo : Gauche : Tablette des archives de Gimil-Ninkarrak pour l'achat de Guatum à ses parents. Musée du Louvre. / Droite : Ancienne plaque babylonienne représentant un couple enlacé. 2000-1700 avant notre ère, peu avant l'ère de Gimil-Ninkarrak. Met Museum.
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 23/10/1992
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