Nous vivons dans un temps où tout s’accélère, comme on a l’habitude de dire. Nos vies, les transports, les obligations professionnelles, tout semble observé au regard de la vitesse. Il s’agit toujours d’en faire le plus possible en un minimum de temps, d’être toujours plus productif, comme si ce mantra du capitalisme devait s’appliquer à chaque portion de notre quotidien.
Le 04/03/2023 à 11:32 par Victor De Sepausy
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04/03/2023 à 11:32
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Dans le célèbre incipit de Voyage au bout de la nuit, Céline se moquait quelque peu des Parisiens, et de la supposée accélération du rythme de nos vies. Le narrateur Ferdinand Bardamu, discutant avec son camarade Arthur, faisait le constat que si les Parisiens sont présentés souvent comme sans cesse affairés, ils ne font en réalité que se promener, et quand la météo n’est pas clémente, ils se réfugient dans les cafés. Il s’exclame alors ironiquement : « Siècle de vitesse ! qu’ils disent. Où ça ? Grands changements ! qu’ils racontent. Comment ça ? Rien n’est changé en vérité. »
Pourtant, nous avons bien l’impression que tout va toujours plus vite, que l’on manque sans cesse de temps. Dans les entreprises, il s’agit toujours de compresser les tâches à effectuer sur des plages horaires toujours plus restreintes. Mais ne sommes-nous pas aussi semblables aux Parisiens décrits par Céline ? Car s’il s’agit bien de toujours chercher à aller plus vite d’un point A à un point B, c’est bien souvent pour pouvoir se reposer et prendre du bon temps une fois arrivé au point B. La société du loisir peut donc être paradoxalement aussi celle qui plébiscite la vitesse. Et si l’on a horreur d’attendre à la caisse, c’est parce qu’on estime pouvoir faire mieux de notre temps.
Faire un détour sur le décompte hebdomadaire que notre téléphone nous propose du temps passé en sa compagnie peut cependant nous amener à relativiser notre constante envie d’aller plus vite pour pouvoir profiter de davantage de temps libre…Car il reste alors une tâche immense : que faire de tout ce temps gagné ? Comment le rentabiliser au mieux, en extraire tout son potentiel ? C’est tout le problème dans une société où tout est observé sous un prisme économique et capitaliste, avec du capital temps disponible.
Repensons à Baudelaire, et à son poème « L’Horloge ». Le poète des Fleurs du mal s’inscrivait aussi dans un désir marqué par la philosophie du « carpe diem », avec cette horloge qui nous enjoignait à tirer le meilleur profit du temps qui passe. Elle nous rappelait que « Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues / Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or ! » Le temps devient cet antre dans lequel se cachent des instants précieux.
Cependant, aujourd’hui, l’argument de la vitesse est partout, précisément pour nous faire économiser du temps. On nous vante les bienfaits d’un fournisseur internet offrant un débit très rapide. Mais, dans la téléphonie mobile, l’argument est le même. Il s’agit d’accéder au plus vite aux éléments recherchés, à la connexion si nécessaire à nos vies. En termes d’internet rapide, tous les opérateurs nous jurent qu’ils ont les moyens de nous ouvrir l’accès à des routes toujours plus fluides. C’est la promesse de la fibre, qui a remplacé les premiers réseaux existants. Et l’abonnement internet doit nous permettre, grâce à des offres étudiées, d’aller toujours plus vite pour moins cher.
Mais quand on est en présence des plus grands sportifs, il s’agit bien souvent de dépasser des records de vitesse. On admire toujours les moyens de locomotion qui sont présentés comme étant de plus en plus rapides. La France est fière de son TGV, qui permet de rapprocher des villes et de limiter le temps perdu dans les déplacements. Car on parle bien de temps perdu quand il s’agit de le passer dans les transports. Moins on en passe, plus on en économise !
Alain, dans ses Propos sur le bonheur, se moquait déjà, dans un article paru en juillet 1908 de la mise en œuvre d’une débauche d’efforts techniques pour économiser un quart d’heure sur une ligne de train entre Paris et Le Havre. Et de s’interroger sur l’usage du quart d’heure ainsi gagné : « Beaucoup l’useront sur le quai à attendre l’heure ; d’autres resteront un quart d’heure de plus au café […]. Où est le profit ? Pour qui est le profit ? » La question mérite d’être posée à une époque où chaque gain se fait au détriment de la nature, très souvent, des écosystèmes. Construire un nouvel aéroport, une nouvelle ligne de chemin de fer, c’est toujours accroître l’artificialisation des sols, alors même qu’il faudrait aussi réfléchir au sens et à la nécessité de la multiplication des déplacements.
Pour reprendre une formule célèbre, il ne faudrait pas confondre vitesse et précipitation. C’est peut-être aussi là le défaut de notre époque. On veut toujours aller vite, réagir immédiatement, alors même que le temps a ses vertus. On sait bien que pour certains mots de l’âme humaine, le temps reste le meilleur remède. Il ne faudrait donc pas avoir toujours une vision négative du temps qui passe, toujours trop vite bien sûr. Alors, si bien sûr, on ne peut pas arrêter le temps, comme le rêvait Lamartine dans « Le Lac », une pause dans la course est toujours nécessaire. Au moins pour reprendre son souffle !
Crédits illustration Pexels CC 0
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