C'est un article de Slate.fr qui avait mis le feu aux commentaires. Dans cet article, nos confrères faisaient état d'une violation de la propriété intellectuelle des utilisateurs de Twitter. Dans un ouvrage, Les perles des Tweets et du net, relatant des messages 100 % véridiques, l'éditeur aurait manifestement oublié de solliciter les auteurs des messages.
Le 22/01/2014 à 16:50 par Nicolas Gary
Publié le :
22/01/2014 à 16:50
Un tweet serait donc une oeuvre à part entière, comme en atteste la rétractation des éditions Larousse, qui a décidé de retirer son ouvrage de la vente. Les différents auteurs de tweets, repris dans le fameux ouvrage, n'auraient pas été consultés, ni même sollicités, assure Slate.
Or, c'est quelque chose d'assez commun que de solliciter un auteur, avant de faire usage de son oeuvre. Mais il est aussi dans l'air du temps de n'en avoir cure, comme en atteste l'existence du registre ReLIRE, destiné aux oeuvres indisponibles du XXe siècle.
Après une forte et vive mobilisation des internautes, découvrant le pot aux roses, la maison Larousse a préféré ne pas risquer de plus grandes atteintes à son image. Et c'est depuis Twitter, justement, que l'éditeur diffuse l'information :
Face aux réactions liées à la parution de l'ouvrage « Les perles des tweets et du Net », Larousse a décidé d'en arrêter la commercialisation
— LAROUSSE (@LAROUSSE_FR) 22 Janvier 2014
Le problème était double : d'un côté, il y avait bien un exercice de contrefaçon, de par la reproduction non autorisée des oeuvres des internautes, et utilisateurs de Twitter. De l'autre, le droit moral des auteurs était bafoué, puisque ces derniers étaient présentés en grande majorité comme anonymes. « L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre », peut-on lire dans le Code de la propriété intellectuelle (L121-1).
Le livre est présenté de la sorte :
Depuis deux ans, tout, ou presque, se dit et se passe sur Twitter ! Plus qu'une mode, c'est une nouvelle façon de communiquer, de « faire l'actualité » et de « créer le buzz » ! Dans ce petit ouvrage original et séduisant, retrouvez les 400 Tweets les plus drôles, les plus surprenants et les plus impertinents publiés sur la Toile ces deux dernières années. La politique, le cinéma, les people, la TV, le sport… tout y est commenté et décrypté avec humour et dérision par des hommes et femmes célèbres ou anonymes.
Des jeux de mots caustiques de Bernard Pivot jusqu'aux calembours de « twittos » inventifs, vous découvrirez ce que le Net fait de mieux ! Par exemple : @bernard pivot Qatarir : acheter la France. @anonyme Bonne nouvelle, la SNCF va embaucher 4500 nouveaux grévistes @anonyme Certains ont peur du vide. Vu le prix de l'essence, moi j'ai peur du plein. @Gérard Longuet Hollande est pour le mariage pour tous… sauf pour lui @anonyme Harry Potter est le seul film où on voit des mecs se servir d'un balai @anonyme Il y a 80 ans, Frank Ribéry aurait pu être mannequin. Pour Picasso. @anonyme Je n'aime pas les Karaokés ! Si je veux entendre un type bourré chanter du Johnny Hallyday, je vais à un concert de Johnny Hallyday.
Nous avons sollicité la direction de Larousse, pour un commentaire de leur part.
Violation de la propriété intellectuelle : faut le dire vite
Il aurait encore fallu démontrer que les tweets étaient bien, pour qu'ils soient considérés comme des oeuvres de l'esprit, des créations originales - l'originalité étant le critère essentiel. Et au préalable, s'assurer que, dans le cas du réseau social, ce dernier ne faisait pas comme Facebook, en s'appropriant les données diffusées par les utilisateurs du service.
Calimaq avait, à ce titre, publié un billet en juin 2009, pour expliquer les conditions de diffusion des messages ainsi postés. Et pour le coup, la politique est claire : what's yours is yours.
Twitter ne revendique aucun droit de propriété intellectuelle sur les contenus produits par les utilisateurs du service. On sait que ce n'est pas forcément le cas de tous les services 2.0, qui peuvent se comporter comme de véritables prédateurs de ce point de vue. La récente polémique à propos des modifications des conditions d'utilisation de Facebook est là pour en attester. Mieux encore, Twitter encourage ses utilisateurs à verser les contenus par anticipation dans le domaine public ou à les placer sous licences libres pour en favoriser la réutilisation.
Par voie de déduction, on peut donc en conclure que Twitter reconnaît que les contenus qu'il contient peuvent faire l'objet d'un droit d'auteur, ce qui tendrait à apporter une réponse à notre question initiale. Mais ce n'est pas aussi simple. En effet, Twitter n'est ni un législateur, ni un juge. Il n'a pas le pouvoir à lui seul de déterminer le statut juridique d'un objet et on ne peut faire l'économie d'un retour aux textes pour trancher le cas.
Or le Code de la Propriété Intellectuelle fixe un certain nombre de critères pour qu'une création puisse bénéficier de la protection du droit d'auteur, et il est loin d'être certain que les contenus produits dans le cadre de Twitter satisfassent à ces conditions.
L'article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle ne revendique pas de quantité minimale pour qu'une oeuvre de l'esprit soit considérée comme telle. Il serait navrant de croire qu'un haïku pourrait échapper à ce critère d'oeuvre, sous prétexte de sa brièveté.
Or, tout n'est pas si facile. Pour définir l'oeuvre, deux critères sont à retenir :
Dans le cas de Larousse, on peut estimer que le terme Perles, désigne des messages originaux, qui reflètent la personnalité du Twittos dont elles sont issues. Mais pour ce qui est de la mise en forme, c'est assez problématique. « On arrive peut-être avec le micro-blogging à une limite, à partir de laquelle la propriété intellectuelle n'arrivera plus à trouver de prise, sauf à tomber dans l'absurde », concluait Calimaq.
Or, une seconde version des conditions générales d'utilisation avait été proposée :
L'utilisateur conserve ses droits sur tout Contenu qu'il soumet, publie ou affiche sur ou par l'intermédiaire des Services. En soumettant, publiant ou affichant un Contenu sur ou par le biais des Services, l'utilisateur accorde à Twitter une licence mondiale non exclusive, libre de redevance avec le droit de sous-licencier, utiliser, copier, reproduire, traiter, adapter, modifier, publier, transmettre, afficher et distribuer le Contenu à tous les médias ou à toutes les méthodes de distribution (connues à présent ou développées ultérieurement).
Cette licence nous autorise à rendre vos tweets publics pour tous et autorise les autres utilisateurs à faire de même. Mais, ce qui est à vous est à vous - le contenu des tweets est le vôtre.
L'utilisateur convient que cette licence accorde le droit à Twitter de mettre le Contenu à la disposition d'autres sociétés, organisations ou individus qui travaillent en partenariat avec Twitter pour la syndication, la diffusion, la distribution ou la publication d'un tel Contenu sur d'autres supports et services, soumis à nos termes et conditions d'utilisation du Contenu.
Ainsi, les tweets devenaient la propriété de leur créateur, certes, mais également des sociétés partenaires de Twitter. Un problème de copropriété douloureux à trancher, que Calimaq évoquait trois ans après son premier billet.
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