#ColllectionsAristophil - Ce jeudi 4 avril a lieu sous le marteau de David Nordmann une nouvelle vente Aristophil, dévolue à l'Histoire. C'est en compagnie de Thierry Bodin, expert de cette vente, que nous explorons ce catalogue : il permet de se pencher sur de grands épisodes historiques, par le prisme d'écrits intimes et touchants, ou d'impressionnants artefacts, qui nous transportent instantanément dans la Grande Histoire. Qu'il soit ici remercié de sa virevoltante et sémillante érudition.
Le 04/04/2019 à 08:27 par Christine Barros
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04/04/2019 à 08:27
Parmi les pièces d'exception de cette vente, ce sont les manuscrits de Marat par lesquels nous débuterons. Dans le manuscrit des Avantures du Jeune Conte Potowski, son seul roman, longtemps resté inconnu, il revendique, trente ans avant ses pamphlets révolutionnaires, la liberté du peuple et le renversement des puissants. Il y déploie de grandes tirades contre les tyrans et les despotes, s'y livre à une attaque en règle contre Catherine II de Russie, contre Frederic II de Prusse (qui bien qu’ami des philosophes n’en était pas moins un tyran), et l’on voit se dessiner son avenir politique.
Marat appelle les peuples à se soulever, à se diriger eux-mêmes, à se débarrasser des tyrans qui les oppriment, dans des termes très violents qui annoncent déjà les pamphlets de l’époque révolutionnaire. Pamphlets qui lui vaudront le fameux coup de couteau de cette brave Charlotte Corday, dont l’une des très rares lettres est proposée dans la vente.
Beaucoup de documents napoléoniens sont présentés dans cette vente, dont le premier de 1795 ; du jeune Bonaparte, qui a alors 26 ans, nous tenons le brouillon de Clisson et Eugénie, court roman, plutôt d’une nouvelle d’ailleurs, qu’il a écrit alors qu’il pensait avoir un avenir littéraire. Ce document est très rare puisqu’il est l’un des 6 fragments connus de ce roman.
Et puis, et puis… Les très précieuses et délicieuses lettres à Joséphine, dont l’une a d’ailleurs été remportée lors de la vente inaugurale. Merveilleuses lettres que voilà, écrites durant la campagne d’Italie, notamment lors de la bataille de Millesimo le 29 germinal (18 avril 1796), au tout début de la campagne. Bonaparte a épousé Joséphine, et deux jours plus tard est parti à la guerre ! L’on comprend qu’il soit quelque peu frustré, évidemment ! Et en même temps qu’il raconte batailles et victoires, (rappelons qu’en 18 jours, il aura battu deux armées et remporté 6 victoires !), il rêve et se languit de sa tendre Joséphine, de leurs nuits d’amour, trop brèves pour l’instant, et de celles qui se profilent … Il y déploie une fougue extraordinaire, d’une écriture rapide, d’un seul jet, avec des lettres à peine formées, parfois difficiles à déchiffrer.
Dans une autre formidable lettre à Joséphine, qui l’a alors rejoint près du champ de bataille et se languit dans son coin en attendant qu’il en ait fini de la chose guerrière, Bonaparte raconte son entrée triomphale à Milan la veille (on se souvient du début de la Chartreuse de Parme de Stendhal...). Acclamé par la foule certes, mais ne pensant qu’à une chose, c’est que la belle Joséphine vienne le retrouver et tombe dans ses bras !
La vacation propose notamment une petite série de lettres très amusantes à sa sœur Pauline. Joséphine n’est plus là, Marie-Louise n’est pas encore arrivée, et Pauline lui avait mis dans les bras l’une de ses dames d’honneur, manifestement assez jolie et potelée. Il écrit à sa sœur, mais il écrit à la troisième personne, et l’on sent qu’il s’adresse par l’entremise de sa soeur à la petite dame en question…
On va suivre à travers ces lettres et documents la vie de Napoléon, jusqu’à la fin de l’Empire, l’exil à l’ile d’Elbe, avec notamment l’extraordinaire drapeau conçu par Napoléon pour l’ile. On retrouve de nombreux manuscrits et témoignages de sa vie à Ste Hélène, jusqu’à saisir son agonie et sa mort, notamment grâce au Conte de Montholon et sa correspondance avec sa femme, dont le récit de la mort de l'Empereur, son autopsie, racontée le soir même, et son testament. On saisit l’histoire en direct !
Faisons un bond dans le temps pour se pencher sur le manuscrit de la fameuse chanson Lili Marlene, par son auteur Norbert Schultze qui en écrivit musique et paroles. Inspiré d’un poème écrit par un soldat qui pense à sa bien-aimée dans les tranchées en 1915, à la demande d’une chanteuse, Shultze met en musique ce poème en 1938 ; c’est un bide commercial total, l’échec absolu ! Arrive la guerre, et cette musique nostalgique, mélancolique, qui fait rêver tous les soldats, (et dont les autorités nazies n’apprécient pas qu’elle soit quelque peu dégénérée), cette chanson tournant en boucle va finir par faire le tour du monde et sera même adoptée par les ennemis. Et Marlene Dietrich reprendra la chanson et lui donnera le succès que l’on sait.
Dernière pièce, qui n’est pas du domaine des autographes, mais exceptionnelle : la machine Enigma. Mise au point par la marque Enigma et destinée à l’armée allemande, elle servait à crypter et décrypter des messages, notamment dans les sous-marins. Les alliés mirent très longtemps à casser les codes, très compliqués à déchiffrer. En effet, un système de rotor cryptait le texte ; avant chaque message, l’on envoyait le code de cryptage, ensuite le récepteur pouvait ensuite régler la machine et ainsi déchiffrer le code.
Nous présentons ici une machine à trois rotors, il en existe avec quatre. Les services secrets anglais, français et polonais finiront par comprendre le fonctionnement de ces machines, grâce notamment à des informations que des espions était parvenus à obtenir. Les allemands avaient ordre de détruire ces machines plutôt de que de les laisser aux ennemis, il y en a donc relativement peu qui ont survécu à la guerre.
Parmi les autres merveilles de cette vente, on peut aussi parler du tapuscrit corrigé des Antimémoires de Malraux, des lettres d’amour délirantes du tsar d’Alexandre II de Russie à sa petite amie, ou encore des manuscrits de Jaurès, très intéressants, notamment sur la Révolution Russe.
Enfin revenons à l’époque de la Révolution. Est proposé à la vente le brouillon manuscrit de Camille Desmoulins, pour sa défense devant le tribunal révolutionnaire – il doit alors répondre aux accusations de Saint Just. Il essaye de démonter absolument toutes les accusations portées contre lui, on y voit le combat d’un homme qui lutte pour faire reconnaitre son rôle, sa fidélité à la patrie.
Sa vie est en jeu, et il veut démontrer que ce sont les autres qui ont dévoyé le mouvement révolutionnaire. Le pauvre aura, au milieu d’un brouhaha terrible, avec une voix qui ne portait pas, à peine le temps de lire, et il est vraiment miraculeux que cet écrit griffonné sur un bout de papier avec de la mauvaise encre nous soit parvenu. A peine quelques heures plus tard, il terminera sur l’échafaud. Sans conteste à mes yeux la pièce la plus bouleversante.
Chaque lien renvoie à la fiche catalogue de la vente, vous y trouverez petite et grande histoire, détails, précisions, photographies et estimations, ainsi que l'ensemble des pièces présentées lors de cette vacation.
Exposition des pièces le matin de la vente
Vente le Jeudi 4 Avril 2019, à 14h - Salle 6 - Drouot-Richelieu, 9, rue Drouot 75009 Paris
Maison Ader, David Nordmann, commissaire-priseur.
Expert : Thierry Bodin
Par Christine Barros
Contact : cb@actualitte.com
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