La découverte de textes inédits implique toujours une certaine prudence — encore que l’aura de l’auteur intéressé conduise parfois à des écarts scientifiques. Rimbaud, pour exemple, connut son lot de fausses joies littéraires. Et dans une période où les textes de Céline occupent tout l’espace médiatique, comment un certain Antonin Artaud rivaliserait-il ?
Le 02/11/2022 à 18:04 par Clément Solym
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02/11/2022 à 18:04
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« Ayant eu vent de textes inédits d’Artaud retrouvés récemment à Cuba, nous avons pu les consulter en nous procurant la correspondance de Laurine Rousselet et de Bernard Noël, Artaud à La Havane. A noter que ces textes inédits ont aussi été publiés en espagnol dans l’ouvrage de Pedro Marques de Armas, Artaud en La Habana », expliquent François Audouy et Illios Chailly à ActuaLitté.
Le premier, essayiste, a plusieurs fois écrit sur celui qui voulut « en finir avec le jugement de Dieu ». Un premier ouvrage paru chez L’Harmattan en 2016 explorait la sur-vivance artaldienne — cette faculté « d’un nouveau-né éternel, d’un trompe-la-mort, d’un tueur de verbe ».
Avec le second, comédien, a soutenu une thèse de doctorat en 2011, sous le titre La notion de révolte dans l’oeuvre d’Antonin Artaud. Et signé également quelques articles, ainsi qu’un autre ouvrage corrélant le surréalisme à l’œuvre du poète, parti à la recherche « d’une autre vision de révolution beaucoup plus existentielle ».
Que sont alors ces pages inédites signées Artaud ? Elles émanent d’articles — une quinzaine de pages — que l’auteur partant vers Mexique avait envoyés à une revue cubaine en 1936, Grafos. « S’ils ne renouvellent pas radicalement la vision que nous pouvons avoir de leur auteur, nous semblent loin d’être anecdotiques », indiquent les deux hommes.
De fait, une édition espagnole parue en décembre 2021 signée Pedro Marqués de Armas, essayiste et universitaire, rendait compte de ces textes dans Antonin Artaud en La Habana.
L’ouvrage ressemble à une chronique relatant le séjour du Français dans la capitale cubaine. En tout, trois textes rigoureusement inédits et deux autres à peine connus furent publiés dans les pages de Carteles y Grafos. Mais avant tout, ces récits témoignent de cette relation entretenue avec un territoire, bien avant la recherche mystique qui l’entraînera à la découverte des Tarahumaras.
En cette année 1936, Artaud, 40 ans, entend rencontrer l’ancienne culture solaire et part, comme il l’écrit à René Thomas, « à la recherche de l’impossible ». Pour François Audouy et Ilios Chailly, pas de doute : « Ces textes nous semblent éclairer certaines des thématiques développées par Artaud à l’époque mexicaine. »
Ces articles oubliés, Pedro Marques de Armas, avec le concours de l’enseignant cubain Ricardo Hernandez Otero les fit donc paraître dans Antonin Artaud en La Habana. L’ouvrage de la poétesse Laurine Rousselet Correspondance avec Bernard Noël. Artaud à La Havane après les avoir découverts, les utilisera, comme une conclusion aux échanges épistolaires correspondance entre les deux poètes. Tous deux s’entretiennent sur « les nouvelles formes de pensée auxquelles nous conviait l’auteur du Pèse-nerfs ».
À la lecture, François Audouy trouve une véritable valeur et une originalité complète, estimant qu’ils « auraient tout à fait leur place dans les Messages révolutionnaires, la compilation des articles d’Artaud parus dans les journaux mexicains. Ils y auraient d’ailleurs sans doute figuré si Paule Thévenin — qui connaissait leur existence — avait été à même de les retrouver ».
Ilios Chailly précise que ces « articles écrits au Mexique entre juin et décembre 1936, Artaud avait l’intention de les réunir sous le titre général de Messages révolutionnaires. Dans une chemise verte de Guy Lévis Mano, Paule Thévenin a également trouvé à la Bibliothèque nationale un autre manuscrit inédit d’Artaud intitulé La Force du Mexique. Ce texte sera publié dans le numéro 354-355 de La nouvelle Revue Française, (juillet-août 1982) ».
Mais redécouverte des articles perdus résulte avant tout de la rencontre entre Laurine Rousselet et Bernard Noël, qui se croisent lors de la semaine de la Francophonie, du 19 au 25 mars 2005. À compter de février 2018, une correspondance avec Artaud pour focale débute entre eux, et ce sera en juin 2009, lors d’une résidence d’écriture à La Havane que Laurine Rousselet « découvre à la Bibliothèque José Marti quatre articles inédits d’Artaud publié dans la revue Grafos ».
Quatre textes, traduits du français à l’espagnol El Teatro en Mexico, La Corrida de Toros y los sacrificios humanos et Pintura roja, paraissent en juin 1936. Le dernier, Los indios y la Metafisica, sortira en décembre. Un cinquième texte publié dans la revue n’était autre que Le Théâtre de la cruauté, traduit.
Leur parution est attestée à travers diverses sources — en 2016, l’essayiste et psychiatre Pedro Marquez de Armas, découvre l’existence de ces textes dans une note du journal de la Marine de Cuba, où le nom d’Artaud est mentionné. Avec le chercheur cubain, Ricardo Fernandez Otero, il parviendra à mettre la main sur les textes, avant de les faire paraître dans l’ouvrage de 2021.
« Sur la forme, le style est certes différent de celui des Messages Révolutionnaires. Cela n’a toutefois rien de surprenant puisqu’il a d’abord été traduit du français à l’espagnol et puis de l’espagnol au français. La traduction française est de Vincent Ozanam », note Ilios Chailly. Sur le fonds, pas de doute, les textes relèvent des sujets propres à Artaud, explique-t-il, apportant de multiples exemples pour l'étayer.
Dans Le Théâtre et le Mexique, Artaud écrit : « Dans un monde où la civilisation blanche a fait faillite, et prouve par tous les moyens sa nocivité redoutable, ce n’est pas le moment de détruire les sources qui pourraient nous éviter de désespérer. » C’est une idée qu’on retrouve dans son texte La fausse supériorité des blancs.
Dans La corrida et les sacrifices humains, Artaud écrit : « L’acteur qui va commettre un crime ne le commet pas en réalité ; il garde par conséquent intactes les forces qui lui servent pour son crime. Le véritable criminel, au contraire, du point de vue du théâtre, est un mauvais acteur, car il finit par perdre ses forces. » C’est une idée qu’on retrouve dans un passage du Théâtre et son Double.
Dans Peinture rouge, Artaud écrit « La peinture de Maria Izquierdo prouve que l’esprit rouge n’est pas mort : que sa sève bouillonne avec une intensité accrue du fait même du long travail d’attente, d’incubation, de macération. » C’est une idée qu’on trouve dans La peinture de Maria Izquierdo (Messages Révolutionnaires).
Dans son dernier texte Les Indiens et la métaphysique Artaud écrit : « Là-haut, dans les montagnes les plus reculées de la Sierra Madre, au Milieu de ses horizons multipliés à l’infini et remplis par des fonds immenses aux perspectives étagées, les Tarahumaras célèbrent encore le rite métaphysique du soleil, fondé sur les nombres principes. » La question des nombres principe est un concept qu’on trouve dans Le symbolisme des nombres du docteur René Allendy .
Et François Audouy de reprendre : « En somme, si ces textes inédits d’Artaud ne modifient pas notre façon de percevoir l’auteur de L’Ombilic des Limbes, ils précisent et affinent certains de ses concepts et de ses obsessions de la période mexicaine. » Ainsi, « ces textes, exhumés de manière tardive, constituent une nouveauté non négligeable dans les recherches toujours vivaces autour de la vie et de l’œuvre d’Artaud. Ils doivent donc être étudiés et sérieusement pris en compte »
.Crédits photo : thierry ehrmann, CC BY SA 2.0
Paru le 08/03/2018
158 pages
Les Editions Libertaires
15,00 €
Paru le 01/05/2016
85 pages
Editions L'Harmattan
12,00 €
Paru le 19/04/2022
142 pages
Editions L'Harmattan
15,50 €
Paru le 20/10/2021
152 pages
Editions L'Harmattan
16,50 €
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L'albatros.
03/11/2022 à 00:28
Grande surprise !!!!
Mais peut on parler d-- inédits?
Car, inédits, ne signifient pas , uniquement, non publiés ou non édités en France.
Inedits signifient aussi, logiquement impliqués et connotés --- rédigés de la main , manuscrits ou tapés, tapuscrits, et en la langue française, telle qu' usée , combinée, pratiquée, graphiée par le styliste- écrivain du pseudonyme d' ARTAUD.
Or ce n est pas tout a fait le cas.
Du français initial, à l ' espagnol, et de l' espagnol au français supposé.
Et ce n est donc plus tout à fait Artaud, car Artaud, c est un style en la langue -- fragments d' un journal d' enfer, l' art et la mort, le théâtre et son double, et d' autres, y compris jusqu ' à sa glossolalie, sa dislocation stylistique.
Comment dés lors les présenter ?
Des textes --- restitués, en langue française, provenant d' Artaud à l' attention de journaux mexicains.
Comment nommer ?
Des textes translatés --- provenus d' antonin Artaud, et impubliés jusqu ' a present, en France.
Pour nuancer, antonin Artaud avait aussi écrit, en français, de faux reportages, deux , semble t il, pour faire un peu d' argent , relatant entr' autre pour un, un voyage aux îles Galapagos, oû il n avait jamais mis les pieds....
Ils seraient peut être utiles, ces deux articles, première moitié des années trente, pour comparer et y referer l' etat de la langue française , pour le style journalistique d' Artaud.
Un peu comme des Référents , un équivalent d' etymon hypothétique.
Bien que le théâtre et son double, est aussi un recueil ou compilation d' articles....ou de notes.....!!!!
Complexe, la difficulté linguistique et l' obstacle stylistique.
Heureuse surprise, cependant.
Florence de Mèredieu
08/01/2023 à 15:03
Un "inconnu" - sur mon blog" me demandait ce que je pensais du présent article d'Actualité J'ai donc préféré répondre directement dans cette revue.
Des différents intervenants, c'est Albatros qui est "au plus juste" de la situation de ces textes signés d'Artaud, parus - en 1936 dans des revues à La Havane et récemment repris ( à La Havane, puis en France où ils ont été traduits en Français). Ce ne sont en aucune manière des "inédits", puisqu'ils sont déjà parus en langue espagnole.
Si j'ai bien compris le livre paru à La Havane, l'original n'a pas été retrouvé ? Y a-t-il eu un original en Français et sous quelle forme ? Actuellement on n'en sait rien. Donc il y a un amas de supputations que décrit bien Albatros. Ce qui conduit en conséquence à une certaine prudence sur ce que l'on peut appeler la "lettre" ou le "bien fondé éditorial" de ces articles qui demeurent finalement des "curiosa".
Sont-ils - maintenant "importants" ? On demeure dans l'ordre de la pure subjectivité. Tout dépend de ce que l'on en fait ou veut en faire. Toute cette histoire finit par devenir très "bavarde" et tourne en rond.
Le plus intéressant c'est tout le contexte que dépeint bien "Artaud en la Habana".
Chailly Ilios
29/01/2023 à 12:48
Cher Madame de Mèredieu,
Merci pour votre précieuse intervention. Votre autorité scientifique sur Antonin Artaud est indiscutable et votre contribution inestimable. Cependant sur ce sujet précis je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous et j’aimerais apporter quelques précisions supplémentaires.
« Ce ne sont en aucune manière des "inédits", puisqu'ils sont déjà parus en langue espagnole. »
Vous avez raison. Comme ces textes avaient déjà été publiés dans une revue cubaine, il serait en effet plus prudent de parler de textes ‘‘inédits en France’’ ou de textes d’Antonin Artaud ‘’exhumés de manière tardive’’.
« Si j'ai bien compris le livre paru à La Havane, l'original n'a pas été retrouvé ? Y a-t-il eu un original en Français et sous quelle forme ? Actuellement on n'en sait rien. Donc il y a un amas de supputations que décrit bien Albatros. Ce qui conduit en conséquence à une certaine prudence sur ce que l'on peut appeler la "lettre" ou le "bien fondé éditorial" de ces articles qui demeurent finalement des "curiosa". »
a) Il ne s’agit pas d’un livre mais de quatre articles de la revue Grafos découverts au département de littérature de la bibliothèque José Marti à la Havane.
b) Il est important de préciser qu’il s’agit d’articles publiés du vivant d’Artaud. Ce qui n’est pas le cas de tous les textes d’Artaud publiés dans le vol.VIII, Œuvres complètes Gallimard. (Messages révolutionnaires)
c) « La peinture de Maria Izquierdo prouve que l’esprit rouge n’est pas mort : que sa sève bouillonne avec une intensité accrue du fait même du long travail d’attente, d’incubation, de macération. » (Pintura Roja- article découvert à Cuba)
Ce passage de l’article Peinture rouge (Pintura roja/ septembre 1936), avait déjà été publié sous forme de note dans le vol.VIII Œuvres complètes Gallimard. (Messages révolutionnaires)
Ce passage avait aussi été publié dans le catalogue de l’exposition de Maria Izquiedro organisée le 10 août 1936, dans l’Édifice Wells Fargo. En 1954, Maria Izquiedro par l’intermédiaire de Pierre Joffrey avait également envoyé à Paule Thévenin une copie dactylographiée en français de ce passage.
d) À la différence du texte La Force du Mexique publié en 1982 dans le numéro 354 dans La Nouvelle Revue Française, ces quatre articles sont en entier. Il ne s’agit de notes fragmentaires mais de véritables textes avec un début, un milieu et une fin.
Sur le fond, on est loin des derniers textes plus hermétiques de Rodez où d’Ivry. À la différence des cahiers de Rodez qui constituent la plus grande partie des textes publiés par les éditions Gallimard, ces articles découverts à Cuba dénotent d’une lucidité exceptionnelle. Il s’agit bien de textes cohérents et accessibles qui apportent des réponses claires sur d’essentiels concepts qu’on trouve dans de textes conséquents d’Artaud comme Héliogabale ou le Théâtre et son Double. Les principaux sujets traités dans ces textes sont le théâtre, l’alchimie, l’art, la peinture, les Tarahumaras.
Je suis en train d’analyser en profondeur ces textes et très prochainement je proposerais un article sur leur contenu.
Mathias Lair
03/11/2022 à 12:09
A chaque foisque l'on cite l'Harmattan en omettant d'évoquer ses impossibles pratiques vis à vis des auteurs, j'ai comme un regret... L'Harmattan est un publieur, non un éditeur.
Chailly ilios
22/01/2023 à 14:01
Le 3 juin 2009, la poétesse Laurine Rousselet se trouvant à la Havane pour une « résidence d’écriture » accordée par l’Institut français, découvre à la Bibliothèque José Martin quatre articles inédits d’Artaud publié en 1936 dans la revue Grafos. Ces textes découvert également en 2006 par l'essayiste Pedro Marquez de Armas ont été d'abord publié en espagnol aux éd. Duanel Diaz Infante/2019 puis aux éd. Blurb en décembre 2021. En France ils seront publié le 20 octobre 2021 dans l’ouvrage de Laurine Rousselet Correspondance avec Bernard Noël (Artaud à La Havane). Ces quatre articles écrits au Mexique entre juin et décembre 1936, sont loins d'être anecdotiques. Ils ont tout à fait leur place dans les Messages révolutionnaires, la compilation d'articles d'Artaud parus dans les journaux Mexicains. Même si ces articles ne sont peut-être pas complètement inédits, jusqu’en 2009 on ne les avaient pas encore découvert. Il est important ici de préciser qu’on connaît leur existence depuis longtemps:
Dans une lettre datée du 27 juin 1936, Antonin Artaud écrit du Mexique à Gaston Gallimard : « J’écris actuellement dans le National Revolutionario, journal gouvernemental de Mexico, dans Gropos (Grafos) et Carteles de Cuba. » (V, 208).
Dans l’Addendum de la seconde édition du tome VIII, Paule Thévenin précise en note de page : « Nous savons par Alejo Carpentier, qui était employé pour cela, qu’il avait remis plusieurs articles à des périodiques cubains (Carteles et Gropos), afin de se faire quelque argent. Les démarches que nous avons faites pour retrouver ces textes ont rencontré d’assez grandes difficultés et le seul texte que jusqu’à présent nous ayons pu retrouver ne nous est parvenu qu’après la première édition du présent tome. » Ces 4 articles d’Antonin Artaud sont cohérents, clairs et intelligibles et apportent enfin des réponses claires sur des
concepts essentiels qu’on trouve dans d’importants textes d’Artaud comme Héliogabale ou le Théâtre
et son Double. Les principaux sujets abordés par Antonin Artaud dans ses textes sont le théâtre, l’alchimie, la peinture, le Mexique et les Tarahumaras. Ce n’est que mon avis personnel mais je considère certains de ces textes aussi importants (et peut-être même plus importants) que nombreux articles publiés dans la collection messages révolutionnaires.
Chailly Ilios
23/01/2023 à 00:21
Quelques précisions supplémentaires :
a) Je corrige mon erreur de frappe. Perdo Marquez de Armas, découvre l’existence de ces textes en 2016 (et non pas 2006) dans une note du journal de la Marine de Cuba, où le nom d’Artaud est mentionné : « Grafos de juin 1936 propose des collaborations assez intéressantes avec des chercheurs comme Antonin Artaud, Gaston Mora, Maruja Mallo, Ramon Loys… » Diario de la Marina/28 juin 1936.
À l'époque il n'était pas au courant de la découverte de Laurine Rousselet.
b) Ces articles se trouvent toujours à la Bibliothèque José Marti au département de Littérature (Tamento de Litteratura del Instituto de Littérature y Linguistica de Cuba.)
c) En juillet 2021, ces textes seront également traduits et publiés en italien dans l’ouvrage Messagi rivoluzionari du professeur de l’école des Beaux-arts d’Aquila, Marcello Galluci.
Pour plus de détails et de précisions n'hésitez pas à me contacter.