Attention spoiler (ou presque). Chuck Palahniuk, l'auteur du roman devenu film culte pour toute une génération Fight Club (Trad. Freddy Michalski), préfère en rire : la version chinoise du film réalisé par David Fincher (1999), diffusée en streaming, propose une toute nouvelle fin à son œuvre subversive. Nulle explosion finale des sociétés de crédit et banques, but du « projet chaos », mais un Tyler et sa bande arrêtés, et ce schizo d'Edward Norton envoyé directement, pour un aller simple sans aucun doute, en asile de fou.
Le 27/01/2022 à 14:41 par Hocine Bouhadjera
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« On est les enfants oubliés de l’histoire mes amis, on n’a pas de but ni de vraie place ; on n’a pas de grande guerre, pas de grande dépression. Notre grande guerre est spirituelle, notre grande dépression, c’est nos vies. » Qui n'est pas déjà tombé sur cet extrait du discours de Tyler Durden dans Fight Club en se perdant sur les réseaux sociaux, ou a tout simplement décidé de noter la tirade à sa troisième vision du film culte de David Fincher sorti en 1999 ?
Controversée dès sa sortie et rejetée par une bonne partie de la critique avant de s'imposer chez le public, l'adaptation du roman de Chuck Palahniuk a su proposer une critique profondément subversive de la société américaine, appuyée sur la consommation et le « spectacle de la marchandise », porte d'entrée du nihilisme.
Si la critique de la société de consommation n'était pas neuve en 1999, la dimension nietzschéenne de cette accusation donne au roman, dont le film est tiré, sa grande force : le confort serait un piège et une impasse. « Je ne loue pas le pays où coule le lait et le miel », soulignait le philosophe allemand. Un discours insupportable dans la Chine d'aujourd'hui, qui justifie notamment sa propagande et son contrôle total par l'accession des « masses » chinoises à cette fameuse société de consommation.
Cachez cette fin que je ne saurais voir
Le film suit un jeune adulte, interprété par Edward Norton, insomniaque et cadre pépère, qui s'achète des meubles et assiste à des enterrements d'inconnus. Sa rencontre avec un homme charismatique, Tyler Durden, joué par Brad Pitt, l'amène à participer à un club de combat clandestin et entièrement masculin, le Fight Club. L'objectif : retrouver son énergie primitive pour ces trentenaires de la génération X, et échapper à un monde où le sens a été perdu. Une réflexion sur la perte de repères et sur le prix de la liberté dans une société.
Le club bascule alors en organisation terroriste, renommée Projet chaos. L'ambition : faire dérailler la société. À la fin de la version originale, le groupe réussit à démolir des bâtiments contenant des enregistrements de cartes de crédit, et ainsi à effacer toutes les dettes contractées. Pas loin de dénoncer, 10 ans en avance, la crise des subprimes.
Une fin visiblement insupportable pour les censeurs chinois. Ainsi, si le public de Chine peut découvrir le film avec une diffusion en streaming, les explosions finales sont ici remplacées par un texte expliquant la victoire finale des autorités, et l'hospitalisation en psychiatrie du narrateur, effectivement durement atteint psychologiquement dans le film.
Et visiblement, Chuck Palahniuk a eu vent de cette altération du message du film, et a décidé de s'en amuser sur les réseaux sociaux : « Avez-vous vu cette m**de ? C'est vraiment génial ! Tout est bien qui finit bien en Chine ! » :
Il développe ensuite son message via son Substack, repris par Screenrant, en écrivant : « Tyler et le gang ont tous été arrêtés. Il a été jugé et condamné à un asile psychiatrique. C'est incroyable. Je n'en reviens pas ! La justice gagne toujours. Rien n'a jamais explosé. Fini. »
La Chine, terre de censure
La Chine a une longue histoire de censure des films étrangers, et ce pour diverses raisons, de la subversion au non-respect de morale commune. Une politique qui rappelle le Code Hays du Hollywood classique, mis en place entre 1930 et 1968. Ce Code imposait le respect des « valeurs morales », des « standards de vie corrects ». Dans cet esprit, « [l]a loi, naturelle ou humaine, [...] ne devra pas être ridiculisée, aucune sympathie accordée à ceux qui la violent ».
Marvel a également dû passer par les fourches caudines de la censure chinoise, malgré les efforts pour accéder à cet énorme marché de spectateurs potentiels. Les films Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux et Les Éternels ne sont ainsi pas sortis en Chine en raison notamment de commentaires de l'acteur principal du premier, Simu Liu, et d'observations critiques de la réalisatrice du second, Chloé Zhao.
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Pour le public occidental habitué aux films européens ou américains et à leurs standards, les grands films chinois des années 2000, comme La Cité interdite (2007) ou Hero (2002), tous les deux réalisés par Zhang Yimou, sont atypiques : dans ces récits, entre fiction et histoire, le pouvoir triomphe à la fin contre les héros du film. Le dénouement de Fight Club, en comparaison, est d'autant plus subversif.
On peut sans trop de risque affirmer que Fight Club ne sera certainement pas le dernier film modifié par la censure, avec une version destinée exclusivement au public chinois.
Crédits : Fight Club (Fox)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 18/11/2013
290 pages
Editions Gallimard
9,40 €
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