Présentant le tout premier iPhone en 2007, Steve Jobs assurait que le produit changeait la donne. « Parce qu’il dispose de tout ce dont nous avons besoin. » Quatre ans plus tard, Steve Jobs mourrait d’un cancer. Pour la promotion de l’iPad Pro mouture 2024, Apple renoue avec les propos de son cofondateur, beaucoup trop littéralement.
Le 11/05/2024 à 10:32 par Nicolas Gary
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Publié le :
11/05/2024 à 10:32
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Dans son discours de 2007, Jobs s’était en effet contenté d’énumérer les fonctionnalités et les solutions nouvelles qu’apportait son iPhone sur le marché du mobile (voir ici pour les curieux). C’était une révolution, on l’a depuis bien compris, le même type de changement que l’iPod avait introduit, sauf que cette fois, on téléphonait avec une machine qui surfait l’internet du web et passait de la musique.
Entre temps, quelques améliorations ont surgi, et un certain iPad fut présenté fin mai 2010 — par un Steve Jobs qui régalait son auditoire en montrant un livre numérique : Winnie l’Ourson. C’était une révolution de plus, et comme toutes les révolutions, surtout coûteuses.
Et puis vint la publicité 2024 : toujours dans la perspective de vanter les mérites toujours plus importants de son produit, Apple diffuse un spot publicitaire où une gigantesque presse va littéralement broyer dans la plus totale indifférence instruments de musiques, livres, pots de peinture, enceintes, mappemonde, borne d’arcade, sculpture, tourne-disque, jusqu’à des petites figurines en mousse représentant des émoticônes…
Le tout, évidemment, pour montrer que la tablette concentre toutes ces choses broyées en son sein. Et accompagné sur X du commentaire de Tim Cook : « Découvrez le nouvel iPad Pro : le produit le plus fin que nous ayons jamais créé, l’écran le plus avancé que nous ayons jamais produit, avec l’incroyable puissance de la puce M4. Imaginez simplement toutes les choses qu'il aidera à créer. »
Les relents 1984/George Orwell n’échapperont à personne : heureusement, aucun ouvrage ne prend feu dans cette opération sans quoi l’on aurait illico crié — légitimement — à l’autodafé. Reste qu’en visionnant ce spot, nombreuses furent les réactions et expressions de malaise : écraser de la sorte, façon casse pour véhicules, des objets culturels pour exprimer que l'appareil numérique est un concentré suprême... le message ne passse pas.
Tout le matériel utilisable à la création artistique et l’expression personnelle, balayé — ou plutôt concassé — pour laisser place au nouvel outil qui les contient tous, ça vous a un petit air de Seigneur des Anneaux bien senti !
Le tout sur une musique de Sonny and Cher, sortie en 1971 All I Ever Need Is You – des paroles magnifiquement adaptées : le récit d’une personne qui se sent seule et qui trouve du réconfort dans cet être qui lui donne de l’amour. Ou dans cet iPad (Pro) qui lui donne… on ne saura jamais quoi, mais qui apporte aussi « tout ce dont j’ai besoin », bien entendu. Le tout pour 1219 €, et jusqu’à 1819 €, cependant.
L’auteur de science-fiction, et scénariste de comics, qui verse justement dans les univers post-apocalyptique, Yuval Kordov, n’a d’ailleurs pas manqué le rapprochement sur X. « Voilà quarante ans, Apple diffusait la publicité de 1984 comme une déclaration ferme, à l’encontre d’un avenir dystopique. À présent, vous incarnez ce futur dystopique. Mes félicitations. »
Réalisée par Ridley Scott à l’occasion du Super Bowl, la pub était devenue une légende, forgeant celle d’Apple par la même occasion. Mais en effet le message a été totalement renversé depuis.
Elle accompagnait le lancement du Macintosh en 1984 et ne fut diffusée qu'une seule fois à la télévision : elle comparait les utilisateurs d'IBM PC à des Lemmings qui marchaient sous surveillance dans un paysage sombre et orwellien. Mais une femme surgissait, courant au milieu de la foule pour jeter un marteau sur l'écran géant avec l'image de Big Brother. Et libérer le monde de ce joug, en lui suggérant d'acheter un Mac.
Il semblerait que depuis la vague de critiques — même l’acteur Hugh Grant a lancé sur X que l’on assistait là à « la destruction de l’expérience humaine. Remerciement à la Silicon Valley. » —, Apple aurait présenté des excuses, rapporte Reuters.
De quoi prendre un peu de hauteur et bien plus la mesure de ce que le romancier Laurent Gounelle évoque dans son dernier livre, Un monde presque parfait. La coïncidence de cette publication et de la réclame Apple en devient amusante. Dans notre podcast, l’écrivain évoquait justement l’incidence des écrans sur la vie des utilisateurs et les décharges de dopamine que leur utilisation pouvait entraîner — autant que de dépendance à cette hormone…
PODCAST – Laurent Gounelle : “Savourer l'instant présent, c'est accepter l'incertitude”
Timides et discrètes, puisqu’aucun porte-parole de l’entreprise n’a souhaité faire de commentaire plus en avant. « Notre objectif est de toujours célébrer la pluralité des moyens d’expression dont les utilisateurs bénéficient, en donnant vie à leurs idées via l’iPad. Nous avons raté ce but avec cette vidéo et nous en sommes désolés. »
Vu que les marketeux marchent sur la tête, peut-être en punition peut-on leur couper les pieds dont ils n'ont pas l'usage ?
Crédits photo : extrait de la publicité
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
2 Commentaires
Will I am
12/05/2024 à 18:32
Si le message ne passe pas, c'est que le spectateur n'a pas de lettres.
Le lion est fait de moutons assimilés (Paul Valéry).
Voilà !
Marie
13/05/2024 à 08:28
Merci pour la citation, je retiens. Même si ces jolies bêtes désertent le Cimetière Marin sétois.