RDVBDAmiens2024 – Au détour des rues, placardées avec malice, des affiches arrêtent le regard du passant : les couleurs d’abord, entre jaune, orange et mordoré, contrastant avec un noir et blanc. Puis viennent les figures représentées : un être humain, pris sur le fait d’un geste banal. À ses côtés, un squelette, grimant ses mouvements…
Ces reproductions essaimées ici et là découlent de l’invitation de David Prudhomme, convié par le FRAC Picardie, à présenter sa version de la Danse macabre. Véritable topos littéraire, et graphique plus encore, cette réinterprétation fut exposée du 15 mars au 1er juin dans les locaux – sous le commissariat de Carine Roma, directrice de l'Espace Jacques Villeglé (Saint-Gratien, dans le Val-d’Oise). Et plus récemment éditrice externe de Dupuis.
Pendant quelques mois, une farandole de vivants et de squelettes, habillés de couleurs vives et joyeuses, ont pris possession de l’espace d’exposition afin de questionner les visiteurs et les visiteuses sur leur rapport à la mort mais aussi à la création en temps de crise.
Dans l’espace La Fabrique des Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens, quelques dessins de Prudhomme s’offrent au regard du visiteur, amusé, intrigué, interrogé — chacune et chacun appréciant ces figurations selon ses propres filtres. « Je trouve cela drôle », explique le jeune Éric, passé par là avec ses parents, hésitant devant l'enthousiasme manifesté. « C’est des squelettes qui bougent », se régale-t-il.
« La Danse macabre est une suite, une succession de vivants et de morts. Une farandole de squelettes souvent espiègles qui dansent et chahutent de malheureux vivants accablés en les entraînant avec eux. Une danse macabre, c’est terrifiant, mais c’est joyeux. On ricane, on s’effraie, mais on y est bien, on y est multiple », explique Carine Roma.
Durant plusieurs mois, elle a ainsi travaillé avec David Prudhomme sur ce sujet, « son abondante iconographie et sa réactualisation en nous interrogeant sur ce que la Danse macabre raconte de notre époque et si elle peut être une caisse de résonance de nos propres tragédies et interrogations contemporaines ».
Dans la pièce, sont exposés ici pour la première fois les dessins préparatoires de David Prudhomme, ses travaux de recherche et la matière qui a nourri cette magnifique exposition.
Le motif de la Danse macabre apparaît pour la première fois en 1424 au charnier des Saints-Innocents à Paris. Profondément philosophique et cathartique, cette représentation rappelle la fragilité de l’existence humaine et met en lumière l’égalité de tous face à la mort, avec une satire sociale omniprésente.
Le thème se diffuse rapidement à travers l’Europe, alors marquée par des périodes de guerre, de famine et d’épidémies. Les danses macabres, loin de se limiter à une vision morbide, sont souvent cocasses et ironiques, utilisant l’humour et la dérision, parfois jusqu’au burlesque, pour apaiser les angoisses des mortels. Ce motif universel a inspiré des siècles de productions artistiques, incluant la peinture, la danse, la littérature, la sculpture et la musique.
Réactiver la Danse macabre signifiait d’abord la comprendre et se l’approprier, puis établir un lien entre le passé et notre époque actuelle. Cela invite à créer une continuité et à interroger l’écho de ce thème dans notre présent.
Il s’agit aussi de réfléchir à notre rapport au corps, aux hiérarchies, au sacré et au profane, ainsi qu’à l’espace public. Cette réactivation pose également la question de la création en temps de crise et de la réponse par la dérision.
Et la réponse qu’y apporte David Prudhomme, jusque sur les murs de la ville, nourrit amplement ces réflexions.
Crédits photo : ActuaLitté CC BY SA 2.0
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Par Nicolas Gary
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