Une bibliothécaire de la petite ville d'Eutin, en Allemagne, s'engage pour préserver les mots et l'esprit des bandes dessinées de l'univers Donald Duck, écrites il y a plus d'un demi-siècle. Elle a lancé une pétition à destination de la maison d'édition allemande Egmont Ehapa Verlag, pour la prier de ne pas dénaturer les traductions allemandes d'Erika Fuchs, traductrice historique des bandes dessinées. Et, d'après elle, ne pas sacrifier la qualité des textes au « politiquement correct ».
Le 21/12/2021 à 16:03 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
21/12/2021 à 16:03
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« Quiconque aime Donald Duck aime aussi Carl Barks et Erika Fuchs. » Cette affirmation sans appel ouvre la pétition de Susanne Luber, employée à la bibliothèque publique d'Eutin, adressée directement à Jörg Risken, directeur média de l'Egmont Ehapa Verlage, éditeur des livres Donald Duck et de son univers étendu.
INTERVIEW: “Nul bord n’a le monopole de la censure”
Pour Susanne Luber, ces « bonnes vieilles » bandes dessinées se démarqueraient du paysage comique actuel, certes par leur style de dessin et leur structure narrative, mais également par leur texte de grande qualité. La source de cette exigence de style et de finesse, selon la bibliothécaire, est le grand dessinateur américain Carl Barks, décédé en 2000, créateur de l'univers de Donald Duck. Mais également sa traductrice historique en langue allemande, Erika Fuchs, elle-même décédée en 2005.
Une entreprise de modernisation en 2021
Titulaire de la licence Disney Donald Duck, Egmont Ehapa Verlag réédite régulièrement de nouvelles éditions portées par le duo Barks-Fuchs, ces bandes dessinées s'étant imposées comme de grands classiques dans la sphère germanophone. « Et que se passe-t-il maintenant ? L'Egmont Ehapa Verlag estime devoir moderniser cette littérature classique de la bande dessinée dans le sens du politiquement correct actuel. Certaines des histoires de Carl Barks et les textes d'Erika Fuchs ne seraient plus à jour », explique-t-elle dans sa pétition.
Étant des histoires écrites il y a, à présent, plus d'un demi-siècle, on ne s'étonnera pas d'y trouver des mots et expressions qui ne passent plus aujourd'hui. C'est pourquoi, depuis 2021, les histoires de Donald Duck écrites par Carl Barks, et transmises par Erika Fuchs au monde germanique, font l'objet d'adaptations systématiques.
On peut par exemple citer le changement de Fridolin Freudenfett (Fridolin le grassouillet) à Fridolin Freundlich (Fridolin le sympathique), sachant que Fridolin est un cochon... Des termes, tels qu'« Indien », « nain », « autochtone » ou « visage pâle », ont également été supprimés. Côté religion aussi, aucun risque ne doit être pris : « Allah » est éliminé, et « Dieu » n'apparaît que dans des contextes bien éloignés des questions religieuses.
L'art subtil de la comédie
Luber cite un autre exemple dans sa pétition, montrant qu'elle a bien étudié la question : une remarque de Dagobert Duck à propos de la séduisante sorcière Gundel Gaukeley, qui vient de l'arnaquer avec malice : « Eh bien je vous le dis, les femmes ont un cerveau trop petit ! » Une assertion misogyne qui ne passerait plus aujourd'hui. Mais pour la bibliothécaire, ici, la subtilité est sacrifiée au profit d'une susceptibilité facile.
Si elle ne nie pas le caractère misogyne de cette réplique, elle ajoute : « La traductrice, Erika Fuchs, met ironiquement en évidence un point de vue masculin limité, ce que même les enfants comprendront, mais semble échapper à la compréhension des expurgateurs de textes. » « Egmont Ehapa Verlag applique les ciseaux de la censure sans aucune compréhension de la comédie, de l'ironie et des doubles sens », assène-t-elle encore.
Afin d'éviter les malentendus, Luber souligne : « Cette pétition ne doit pas être lue comme une critique du langage politiquement correct dans tous les textes qui sont publiés actuellement, ni contre les efforts d'utiliser un langage non discriminatoire. La discussion sur les stéréotypes sexistes, racistes et autres dans le langage contemporain, est justifiée et importante. »
ETATS-UNIS: les appels à la censure et aux autodafés se multiplient
Avant d'ajouter : « Mais il est tout aussi important de faire la distinction entre la langue contemporaine et les textes littéraires. Les transmissions des contes du Canard par Erika Fuchs sont des textes littéraires de qualité reconnue. Ils ne doivent pas être arbitrairement corrigés, censurés et expurgés, même pour des raisons politiques ou sociétales. [...] Toute “adaptation” d'une œuvre d'art créée dans le passé pour la conformer à un esprit du temps est absurde ! »
C'est tout de même oublier que les pièces de Molière n'avaient pas de ponctuation, et que la langue a bien été modernisée... Mais fort heureusement, nul politiquement correct ne s'est encore attaqué à l'auteur de Tartuffe.
La pétition « Ne touchez pas à Donald Duck ! Pas de censure des histoires de bandes dessinées classiques ! » a pour le moment récolté quasiment 5000 signatures, ce 21 décembre.
Photographie : illustration, Vegar Norman, CC BY-NC 2.0
Paru le 15/12/2010
382 pages
Glénat
29,50 €
Paru le 06/04/2011
378 pages
Glénat
29,50 €
Paru le 29/06/2011
384 pages
Glénat
29,50 €
6 Commentaires
NAUWELAERS
21/12/2021 à 22:13
La remarque sur les pièces de Molière s'applique à la forme qui ne pouvait rester inchangée durant des siècles: comparaison n'est (vraiment) pas raison...
Ici il s'agit bel et bien d'expurgation, de «nettoyage» d'oeuvres, ce qui est une dérive de type quasi totalitaire.
Cette pétition va totalement dans le bon sens et le texte de celle-ci est tout sauf extrémiste !
La censure, elle, n'a jamais brillé par sa pertinence et sa subtilité, ni sa légitimité.
CHRISTIAN NAUWELAERS
NAUWELAERS
21/12/2021 à 22:15
La remarque sur les pièces de Molière s'applique à la forme qui ne pouvait rester inchangée durant des siècles...
Comparaison n'est pas raison.
Ici il s'agit bel et bien de «nettoyage», de réécriture d'oeuvres, ce qui est une dérive de type quasi totalitaire.
Cette pétition va totalement dans le bon sens et le texte de celle-ci est tout sauf extrémiste !
La censure, elle, n'a jamais brillé par sa pertinence et sa subtilité, ni sa légitimité.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Jujube
22/12/2021 à 20:43
Bonjour Christian,
Je partage votre opinion et profite de la date d'aujourd'hui pour vous souhaiter le meilleur possible (santé, énergie, vitalité et tout ce que vous désirez le plus) pour l'an neuf qui termine par deux.
Cordialement,
Jujube
Tintin
22/12/2021 à 14:10
Je suis dans les 2 parties, d'un côté je préfère garder le sens d'époque, car je sais faire la part des choses et que je connaît les époques, en plus ça fait un témoignage historique d'époque, et je trouve que le non politiquement correcte devrait être utilisé pour donner de la consistance à l'histoire, car le Monde n'est pas politiquement correcte (en dehors de l'occident, les pays riches asiatiques sont presque tous anti-émigrés et droit d'asile, un certain nombre de pays d'afrique noire fait la chasse aux albinos et il y'a toujours de l'esclavage, le Brésil traite les amérindiens de la forêt comme des roms, les indiens à tout un système d’apartheid), mais il est vrai pour avoir lu des livres et des passages de reste de livres ancien (antiquité au 20e), que parfois ça pique tellement les yeux que la lecture est difficile. Le mieux serait d'avoir à dispo le choix des 2 versions.
Par contre j 'ai pas souvenir de bd où apparaît les éléments cités dans l'article, il me semblait avoir tout lu dans cette franchise.
Jujube
22/12/2021 à 20:38
Mauvais présage!
Attention, attention, semble se profiler, pour 2022, une politique visant la littérature encore plus stupide, dictatoriale, saintement inquisitrice et profondément hypocrite que celle de 2021. Avec des variants aussi dangereux, ou plus, que ceux de notre cher virus universel. Quelle barbe, alors!
C'est l'hypocrisie qui me choque le plus. On fait disparaître de soi-disant insultes dans les livres mais on les reprend, et pratique de tout son coeur au quotidien, pour blesser allègrement son prochain (femme, juif, arabe, esclave, migrant et tous les etc. possibles). Certains versent même dans le ridicule comme l'exemple du dorénavant cochon Fridolin, devenu moins grassouillet et plus sympathique qu'un être humain!
NAUWELAERS
23/12/2021 à 20:24
Totalement d'accord avec vous, Jujube !
Enfin continuons à résister tant que nous pouvons et recevez tous mes voeux pas originaux mais totalement sincères pour Noël et une nouvelle année qu'on espère plus inspirée et positive que celle-ci...
Bon courage et meilleures amitiés !
CHRISTIAN NAUWELAERS