Gien, petite ville provinciale célèbre pour sa faïencerie et son musée de la chasse ; sa cathédrale eut l’honneur de recevoir Jeanne d’Arc à deux reprises au XVe siècle après la libération d’Orléans ; sa plage de sable sur le fleuve pendant la période estivale, la première cité partant d’un circuit de la visite des châteaux de la Loire dans une région où il n’en compte pas moins de quarante-cinq, tous plus magnifiques les uns que les autres ; mais c’est aussi la porte de la Sologne pour les amateurs de pure nature sauvage.
C’est dans ce cadre idyllique sentant bon la France que cette étrange aventure commença…
Natif du pays Alain Benavant, précédemment employé de banque, dans une vie antérieure pourrait-on dire, tellement le contraste sera flagrant plus tard, souffrait de n’avoir pour tout horizon que ce petit univers étriqué derrière un guichet à donner ou recevoir de l’argent, remplir des imprimés ; il savait qu’il ne deviendrait jamais directeur d’agence, il en était conscient et n’avait progressé dans la profession qu’à l’ancienneté n’ayant pas de relations personnelles pour le pistonner ; avec le temps et de la chance, il pourrait peut-être accéder au statut de cadre, c’est-à-dire dans une bonne dizaine d’années ans dans le meilleur des cas, juste un peu avant la limite de la retraite ; à moins que sa succursale ferme entre-temps ou qu’elle connaisse de graves difficultés et dégraisse massivement ses effectifs, cela s’étant déjà vu, auparavant, hélas !
Malheureusement pour lui il ne savait rien faire d’autre que de végéter dans cet univers à la Courteline… avec l’humour en moins. C’est de là que lui vint l’idée d’écrire des romans policiers pour s’évader de la monotonie quotidienne ; il en avait le talent et l’imagination et quinze ans plus tard le succès était au rendez-vous et il faisait partie du gotha de la région.
Afin de célébrer son millionième tirage, tous titres confondus, Alain Bénavent organisa une grande fête dans la propriété qu’il avait achetée et fait décorer par sa fille. Tous les personnages importants qui comptaient dans la ville y furent invités : maire, préfet et sous-préfet, conseillers municipaux, officiers de police et de gendarmerie, directeurs de banque, etc. ainsi que leurs épouses c’est-à-dire plus d’une centaine de convives ravis de se faire voir par la presse régionale, la radio et la télévision, qui, de bien entendu étaient aux premières loges, pour flatter l’ego du maître de maison.
De ce qui aurait pu être une réunion festive sympathique et même l’évènement de l’année dans le département, la soirée se transforma en un désastre sans précédent suite à des incidents non prévisibles.
Si Alain Bénavent connut le succès grâce à sa persévérance et par son travail, il oubliait qu’il avait été soigneusement choisi par un inconnu non désirable pour atteindre une popularité plus grande encore, d’où la pression de ce dernier pour l’emporter sur les sentiers de la gloire éternelle.
Alors que Thanatos n’avait que mépris pour l’espèce humaine, ces êtres veules, lâches et mesquins, prêts à tout pour satisfaire leur ego, il avait précisément jeté son dévolu sur Alain, ce petit écrivain en le propulsant directement au fait de sa carrière, mais en se jouant de lui comme un chat avec une souris, avec délectation et sadisme, afin de rabaisser sa suffisance. Alain Benavent se battra jusqu’au bout pour ne pas céder à la tentation, mais bien mal lui en prit, car c’était un combat truqué d’avance et la sanction sera pire que l’attraction de la notoriété.
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Le petit-fils, de son vrai nom Gérard Bauchet, est né le 7 novembre 1942 Paris ; fils de Robert Bauchet et de Yvonne Zallas, dont il reprit le patronyme de son grand-père maternel comme pseudonyme de plume pour écrire ses romans.
Une enfance un peu brouillonne, des études hachées pendant deux ans à la suite d’un commencement de tuberculose et un séjour en préventorium ; trois ans plus tard, il fut placé à la campagne dans le Loiret à cause d’une mésentente temporaire entre ses parents, sa scolarité fut malmenée et réduite trop tôt en débutant dans le monde du travail dès l’âge de seize ans.
Appelé sous les drapeaux à l’âge de dix-neuf ans dans l’infanterie au Bataillon de Joinville, il fera la première partie de sa période en Algérie en pleine pagaille de l’indépendance naissante à la suite d’un cessez-le-feu théorique sur le papier, mais en fait une situation encore plus confuse qu’avant les accords d’Évian.
Son unité fut rapatriée sept mois plus tard avec armes et bagages sur un bateau archi bondé avec l’exode des « pieds noirs » et des familles de harkis qui fuyaient le pays pour éviter les massacres. De cette traversée, il en gardera un souvenir amer.
De retour en France il s’inscrit au peloton de sous-officier et terminera son temps comme sergent instructeur.
Revenu à la vie civile, conscient de la faiblesse de son éducation, il s’essaiera à plusieurs professions et s’inscrit à des cours du soir avec acharnement pendant quatre ans pour combler les vides de son instruction.
Après plus de quarante-cinq ans de bons et loyaux services pendant les « trente glorieuses » c’était pour lui le temps de prendre une retraite apparente. Quand il a quitté Vincennes pour l’Afrique il y a plus de vingt ans il a laissé derrière lui toute sa première vie : de l’apprenti imprimeur, petit délinquant, chef de rang, sous-officier, représentant de commerce, aide-comptable, enquêteur, auxiliaire international, adjoint commissaire aux comptes, collaborateur d’expert-comptable, directeur de service comptable et financier, conseil d’entreprises, commerçant. Ceci pour sa carrière en France.
Une deuxième vie l’attendait à Madagascar en créant une société de traitement de marbres, ainsi que d’une fabrique de produits de nettoyage.
Ayant pour projet de monter une agence de voyages spécialisée dans le para normal, il avait entrepris un Educ’tour en sillonnant tout le pays afin de collecter des renseignements sur les pratiques occultes et croyances locales ; pas moins de douze heures de vidéo originales furent filmées et enregistrées par une équipe de professionnels, mais hélas perdues à tout jamais à la suite de son divorce qui se termina très mal pour lui avec trois arrestations arbitraires qui s’en résultèrent, garde à vue, etc., et pour finir, expulsion du territoire et dépouillé de tout, hormis sa carte bancaire, son passeport et un petit sac de sport avec un change pour deux jours.
De retour après treize mois « d’exil » forcé ; il repartit au point zéro dans le sud de Madagascar, et fonda une entreprise de locations de véhicules tous terrains pour touristes, un salon de coiffure, esthétique, massage.
Entre-temps il obtint son brevet de pilote ULM trois axes, mais ne put jamais faire aboutir son programme aérien à cause d’une réglementation nationale trop contraignante.
C’est à Tuléar qu’il commença à coucher par écrit ses ressentis et son imagination de ce qui était sa vie et se lança dans l’écriture de romans inspirés de faits réels, de fiction et du folklore régional.
Dix ans plus tard, déménageant du Grand Sud au Grand Nord, à presque deux mille kilomètres, il créa un bar, restaurant, discothèque avec sa nouvelle épouse, une chanteuse locale introduite dans le monde du spectacle, ainsi qu’une petite compagnie de taxis, appelés là-bas des « Tuk-tuk ».
C’est dans cette retraite apparemment paisible en faisant une pause qu’il rassemble ses souvenirs, notamment les légendes régionales et croyances qui sont toujours très vivaces dans l’Île rouge et dont il garde encore les réminiscences de son long périple il y a quelques années qui le laissèrent perplexe plus d’une fois malgré son esprit cartésien.
Il n’a pas fait fortune, mais se sent riche de sa vie, le principal est qu’il aime tout qu’il fait ! Aucun regret malgré les quelques déboires pour pimenter ses projets.
A retrouver sur
Paru le 28/04/2021
160 pages
Les Editions du Net
13,00 €
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