On a facilement tendance à l'oublier, mais la traduction d'une oeuvre en langue étrangère est considérée comme une oeuvre dérivée par rapport à l'oeuvre originale. Ainsi, les traducteurs et traductrices sont considérés comme les auteurs de cette oeuvres dérivées. Ils sont donc absolument fondés en droit pour formuler une demande d'opposition à la numérisation des oeuvres indisponibles du XXe siècle, dans le cadre du projet ReLIRE.
Le 08/04/2013 à 11:58 par Nicolas Gary
Publié le :
08/04/2013 à 11:58
Attention : à depuis 13h30 au moins, le site relire.bnf.fr est hors ligne, l'ensemble des lignes pointant vers ses pages sont inaccessibles. L'article n'en reste pas moins juste. Le site est toutefois revenu en ligne à 14h40.
@actualitte le serveur est indisponible, NUMERISONS LE !!! #relire#oeuvresindis
— Lecteur en colère (@Lecteurencolere) 8 avril 2013
Alors que fusent des expressions fantasques comme « projet patrimonial » ou protection de « l'intérêt général » pour défendre ReLIRE, le registre d'oeuvres indisponibles commet un impair de plus. Dans un premier temps, au moins, il ne devait pas contenir d'oeuvres traduites. Sachant que les auteurs ou éditeurs ou ayants droit n'ont qu'une période de six mois pour demander le retrait de leurs oeuvres présentes dans la base de données, avec des contraintes époustouflantes si l'on rate le coche, les oeuvres traduites posaient des problèmes supplémentaires.
Or, non seulement il a été constaté qu'un certain nombre d'oeuvres étaient des traductions, mais surtout, la présence de ces textes confirme toute la qualité, tant du projet, de sa conception, que de sa réalisation et sa mise en place. Et puis, quitte à ne pas demander leur avis aux auteurs, autant également ignorer les étrangers. Il faut en effet rappeler que ReLIRE repose sur un principe simple : par défaut, l'oeuvre est numérisée. Sauf si l'auteur le découvre et décide de s'y opposer.
Traduttore, traditore
Nous avions déjà évoqué le cas de Neil Gaiman, alerté sur la question. Mais on peut également retrouver la présence d'Ursula Le Guin, l'une des auteurs qui s'étaient farouchement opposés au règlement Google Books, outre-Atlantique, considérant que l'Authors Guild n'était pas représentative de l'ensemble des auteurs. À ce titre, la caution apportée par la SGDL pourrait tout aussi bien être remise en cause, par n'importe quel auteur français...
Ses paroles sont extrêmement fortes à l'encontre de la Guilde : « Vous avez décidé de traiter avec le diable, pour ainsi dire, et avez présenté vos arguments pour ce faire. Je voudrais pouvoir les accepter. Je ne peux pas. Il y a des principes impliqués, notamment au sujet du droit d'auteur, et ceux-ci, vous avez cru bon de les abandonner à une firme, selon ses termes, sans combattre. » En clair, on ne mange pas à la table du diable, même avec une grande cuillère bande d'orgueilleux inconscients que vous êtes.
Et la suite est fracassante : « Et maintenant, vous nous avez poignardés. » Car Ursula est également membre de la National Writers Union and the Science Fiction et du Fantasy Writers of America, organismes également opposés au Règlement. « Ils n'ont pas votre poids, mais leur position, je pense, est plus saine, et leur courage plus grand. » 2-0. « Après avoir été une loyale bien qu'invisible membre durant tant d'années, je démissionne de la Guilde. » (voir notre actualitté)
Sauf que le nombre d'oeuvres traduites a commencé à se révéler inquiétant, tant les exemples se sont multipliés. Nous en publions ici les liens sans classement spécifique, pour en montrer l'ampleur :
(Mise à jour 1 : les services de la BnF ont manifestement été prompts à dégainer, puisque les liens sont désormais inactifs, et les requêtes ne renvoient plus qu'à des pages inaccessibles)
Jusqu'à Philip K. Dick, que l'on retrouve dans le recueil de nouvelles Histoires de mirages, une anthologie établie et préfacée par Gérard Klein, parue en 1984 et qui compte parmi les titres susceptibles de se faire numériser. Une oeuvre et pas des moindres, puisqu'elle contient la nouvelle de Dick qui a donné lieu au filmTotal Recall....
On pourra également consulter la liste établie par Well Prepared Minded :
ActuaLitté avait découvert que l'achat de la première liste des 50.000 oeuvres par la BnF à la société Electre/Le Cercle de la librairie avait coûté 124.999 €, dans le cadre d'un marché public - portant donc à 2,5 € le coût de chaque titre, avant même que l'on ne commence la numérisation. Dans ces conditions, il est sidérant de se dire que l'ensemble de la base ReLIRE, qui doit contenir 500.000 oeuvres indisponibles, coûterait donc 1,245 million €. Et plus encore de se demander dans combien de temps le projet sera rentable, et surtout, à quel prix public les fichiers seront-ils commercialisés...
L'Assemblée nationale trahie - donc traduite ?
Si l'on constate l'ensemble des erreurs formelles, la présence d'oeuvres relevant de domaines autres que les sciences humaines et sociales, l'histoire et la fantaisie, on se pose plus encore la question de la pertinence de cette première liste. À titre de simple information, on retrouve en effet des oeuvres du XVIIe et XVIIIe siècle, qui sont fort logiquement entrées dans le domaine public depuis quelques siècles déjà. On pourra consulter, à ce titre, la liste des failles établie par la Team Alexandriz, particulièrement active sur ce sujet.
Dans un rapport parlementaire, il était clairement stipulé que les oeuvres traduites ne devaient pas être intégrées. « En pratique et d'après les informations recueillies par le rapporteur, il est prévu de ne pas inscrire dans un premier temps de traductions dans la base de données des livres indisponibles prévue par la présente proposition de loi et d'attendre la mise en place de systèmes de gestion similaires dans les pays d'origine des oeuvres traduites. »
Que penser alors de la présence d'oeuvres traduites dans cette première liste ? Un message de l'Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF), diffusé en fin de semaine dernière alerte sur ce point.
Je souhaite attirer votre attention sur le fait que la base ReLIRE, qui vient d'être lancée, le 21 mars dernier, par la Bibliothèque nationale de France avec quelque 60000 références d'œuvres censées être indisponibles, tant sur papier qu'en numérique (ce qui n'est manifestement pas le cas pour un certain nombre d'entre elles) contient aussi un certain nombre d'œuvres traduites (exemples non exhaustifs : http://t.co/0UmqXFIVMi, http://t.co/L8lG8zIwdX).
Cette base de données fait suite à la loi de 2012 sur les œuvres indisponibles du XXe siècle sur laquelle vous avez alerté vos membres en février dernier.
Il me paraît très important que vous invitiez vos membres à vérifier s'ils ne trouvent pas dans cette base des œuvres qu'ils ont traduites (recherche par nom d'auteur et, deux précautions valant mieux qu'une, notamment pour les œuvres collectives ou composites ou pour les anthologies, aussi par titre dans le champ "recherche simple"), faute de quoi ils perdront leurs droits sur leurs traductions s'ils n'ont pas demandé expressément le retrait des titres concernés d'ici le 21 septembre prochain, selon la procédure expliquée sur le site de ReLIRE.
Ainsi, de même qu'il devient urgent d'alerter les agents des auteurs américains et autres, dont les titres sont présents dans la base du registre ReLIRE, de même, les traducteurs peuvent être sollicités pour que soient déréférencés les oeuvres dont ils sont auteurs. Des problèmes de droits évidents se posent, bien entendu, et la présence de traductions ne peut relever que de l'erreur - chose que l'on peut encore comprendre dans le cadre d'une entreprise de ce type. Une machine à gaz, comme on dirait. En revanche, toute la difficulté est de parvenir à les faire effacer, avec « une procédure scandaleuse », n'hésite-t-on pas à dire.
Dans les faits, si la législation du 1er mars 2012 rend légale la numérisation des oeuvres indisponibles alors que les éditeurs français ne disposent pas des droits numériques, tout porte à croire que les agents américains, anglais n'accepteront pas ce passage en force. On négocie généralement bec et ongle, pour faire en sorte que les oeuvres soient commercialisées pour une exploitation papier ET numérique, dans el cadre de la traduction.
De quoi donner envie de répéter à l'envi le commentaire de Baptiste Marcel, secrétaire du Parti pirate : « Se réveiller un matin, aller sur internet, voir un éditeur avec qui on a coupé les ponts depuis 30 ans faire de la pub pour votre livre, et apprendre qu'on ne peut rien y faire, c'est ce qui attend de nombreux auteurs de livres contemporains avec cette loi... Et on nous appelle des pirates ? »
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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