La demande de décision préjudicielle déposée par le Conseil d’État ne va clairement pas plaire. La numérisation des livres indisponibles telle que décidée par la loi française ne serait pas conforme à la directive européenne 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Les conclusions de l’avocat général font littéralement voler en éclat tout le processus déjà mis en place. Et qui aura déjà coûté des millions d’euros...
Le 07/07/2016 à 12:59 par Nicolas Gary
Publié le :
07/07/2016 à 12:59
Le jour où ReLIRE fut hacké
Relire balayé... Certes, ce ne sont que les conclusions de l’avocat général, mais attendu que ces dernières sont très souvent suivies par la Cour de Justice de l’Union européenne, il y a fort à parier qu’elles seront définitives. « C’est une énorme claque pour ReLIRE », commente un observateur averti. Et à travers lui, tous les acteurs impliqués : le Syndicat national de l’édition, la Bibliothèque nationale de France, la Sofia, la société FeniXX (découlant du Cercle de la Librairie) chargée de la numérisation, ainsi que les financeurs : le Centre national du livre, le Grand emprunt...
Tout l’enjeu de la législation était d’accélérer la production de livres numériques, en s’appuyant sur les œuvres indisponibles du XXe siècle. Par indisponibles, on entend les livres qui ne sont plus commercialisés par l’éditeur. Dans ce cas, l’auteur est en mesure de reprendre ses droits sur le livre. Le passage par une législation avait permis de ne pas lui demander son avis, et de procéder à l’élaboration d’une liste – le Registre Relire – où les livres indisponibles sont référencés, avant d’être numérisés et commercialisés.
Le litige opposant deux auteurs au ministère de la Culture ainsi qu’au Premier ministre portait sur cette méthode. « Ce programme est une honte et du vol, de l’escroquerie à l’échelle nationale, de notre gouvernement qui ne vaudrait donc pas mieux que la Team Alexandriz, si l’on considère la façon dont il agit. C’est même pire, puisqu’il s’agit de vol légalisé et légiféré ! », avaient affirmé les éditions Ad Astra, en 2013. La toute première liste avait alors été dévoilée.
Les auteurs et ayants droit avaient bien la possibilité de demander le retrait de leur ouvrage, mais encore fallait-il qu’ils soient informés de l’existence même de ce procédé. Or, les investissements publicitaires réalisés par la rue de Valois ou les réunions d’informations opérées par la Sofia n’avaient jamais vraiment convaincu de leur utilité. Mieux : ce système d’opt-out – l’auteur sort du Registre en le demandant – était identique à celui tant décrié de Google Books. Autrement dit, la France avait brillé en reproduisant le système que les éditeurs de livres avaient combattu. Paradoxe, et non des moindres.
Dans ses conclusions, l’avocat général nous apprend toutefois que l’Europe s’est trouvée divisée sur le sujet : les gouvernements français, allemand et polonais ont estimé que le projet était tout à fait recevable. En revanche, l’Italie avait émis de sérieuses réserves : « Le gouvernement italien propose d’inviter la juridiction de renvoi à vérifier concrètement que la réglementation en cause ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des auteurs. » À raison.
Il précise par ailleurs son analyse, soulignant que « l’exploitation d’une version numérique d’un livre de sorte que le public puisse y avoir accès implique sa mise à la disposition du public et constitue à mon avis une communication d’une œuvre au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ». Et d’affirmer qu’élargir le champ des exceptions ne pourrait s’opérer que par le truchement du législateur européen.
En vertu de la directive citée, « les auteurs jouissent des droits exclusifs d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres ou leur communication au public », relève l’avocat général. L’idée que les livres soient listés dans le registre, et numérisés avant d’être commercialisés impliquerait donc « le consentement exprès et préalable de l’auteur ». Ce consentement « ne saurait être supprimé, supposé ou limité en lui substituant un consentement tacite ou une présomption de transfert auquel l’auteur devrait s’opposer dans un délai déterminé et aux conditions prévues par le droit national ».
Comme l’ont répété à d’innombrables reprises les opposants à ReLIRE, l’opt-out est donc un détournement, une spoliation des droits des auteurs et des ayants droit.
Or, le fait que l’auteur soit rémunéré par la suite, ou perçoive une compensation, « ne change rien à la circonstance que ses droits exclusifs auront été méconnus ». Ces droits exclusifs ne sauraient être contestés, et, même si l’auteur n’exploite pas son ouvrage, les droits exclusifs à autoriser ou interdire tant la reproduction que la communication restent entiers.
Brigitte Lahaie, devenue l'égérie malgré elle de ReLIRE
Se référant au considérant 4 de la directive 2012/28, l’avocat général rappelle en effet que cette dernière « invite les États membres et la Commission à veiller à ce que les accords volontaires conclus entre les utilisateurs, les titulaires de droits et les sociétés de gestion collective des droits pour autoriser l’utilisation d’œuvres indisponibles dans le commerce sur la base des principes qui y sont inscrits bénéficient de la sécurité juridique requise sur le plan national et transfrontalier ».
Et de souligner qu’en aucun cas il est « question “d’accords volontaires” dans la réglementation nationale en cause », qui pourraient justement permettre un ce procédé.
Alors, bien sûr, l’objectif patrimonial, affirmé depuis toujours par le Syndicat de l’édition, n’est pas contesté : l’avocat parle d’un « objectif légitime consistant à ramener à la vie des livres oubliés ». Toutefois, la législation française est rendue caduque par l'absence de disposition dans le droit de l’Union et du consentement préalable de l'auteur.
Les articles de la directive 2001/29
s’opposent à ce qu’une réglementation, telle que celle qui a été instituée par les articles L. 134-1 à L. 134-9 du code de la propriété intellectuelle, confie à des sociétés de perception et de répartition des droits agréées l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la représentation sous une forme numérique de « livres indisponibles », même si elle permet aux auteurs ou aux ayants droit de ces livres de s’y opposer ou de mettre fin à cet exercice, à certaines conditions qu’elle définit.
« Il n’y a aucun moyen de sauver le système ReLIRE pour le gouvernement. Sauf à repasser à un système d’opt-in. Tout ce qui a déjà été numérisé ne pourra plus être commercialisé – mais peut encore être diffusé en interne à la BnF », poursuit un observateur. Peut-être sans DRM, par ailleurs...
Reste à attendre encore l’automne, pour avoir l’avis définitif de la CJUE, puis, comment le Conseil d’État en France fera mettre un terme au marasme ReLIRE. Et surtout, il faudra apprendre à la rue de Valois qu’il n’est plus possible d’évoquer ce projet de réédition numérique comme un outil de lutte contre le piratage : en l’état, ReLIRE s’apparente à une violation des droits des auteurs et ayants droit.
Pourra-t-on, dans l’hypothèse où la CJUE validera les conclusions de l’avocat général, enfin demander des comptes au Service du livre et de la lecture du ministère ? Comment justifiera-t-on ensuite que les investissements aient été poursuivis, alors même que le recours pour excès de pouvoir était introduit ? La prudence – plutôt que l’obstination – n’aurait-elle pas imposé de mettre en suspens le processus, plutôt que de forcer sa commercialisation ?
Claude Ponti avait, en son temps, adressé un courrier à la BnF, – Madame Béhenne – pour lui dire sa façon de penser sur la question de ReLIRE : « Évidemment, je paie mes impôts en France. Je suis poli avec la police, l’administration, la douane, et la boulangère de mon quartier. Qui suis-je donc pour mériter ce traitement ? [...] Je pense que, malgré votre âge, l’estime, le respect, la politesse, entre nous doivent être réciproques. Comme ce n’est pas le cas en ce qui vous concerne, je vous dirais donc, et avec une certaine tristesse, que vous êtes une gougnafière imbue d’elle-même assistée de gros paresseux.»
L’auteure Michèle Kahn n’en disait pas moins, évoquant, à la découverte du procédé, « un sentiment étrange. Comme s’ils s’étaient emparés de mon livre. C’est une atteinte au droit moral. Les formalités que vous devez remplir pour prouver que vous êtes l’auteur de vos livres — mais oui ! — sont très lourdes, et humiliantes ».
Et d’ajouter : « Être auteur, c’est quelque chose de très particulier : comprendre ce que c’est qu’une atteinte au droit moral de l’écrivain, c’est très difficile, voire impossible, si l’on n’est pas soi-même auteur, et même auteur conscient. »
Dont acte.
Pour l’heure, les réactions doivent varier entre la douche froide et l’euphorie. Seul un proche du dossier a accepté de nous livrer ses impressions, résumées comme suit :
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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