Le réservoir plein jusqu'à la gueule, moteur rugissant, pied au plancher, le road trip à l'américaine commence : une voiture sillonne les paysages, et un auteur, conducteur ou passager, fait le récit de ce voyage, à l'instar de Jack Kerouac avec son classique Sur la route. Sauf que, cette fois, c'est la voiture qui écrit : 1 the Road est signé par une intelligence artificielle créée par Ross Goodwin, artiste, hacker, inventeur de code et « gonzo data scientist », comme il se qualifie lui-même.
Le 12/09/2018 à 10:29 par Antoine Oury
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Publié le :
12/09/2018 à 10:29
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Dans la littérature américaine, le récit de voyage et l'ode aux grands espaces est une tradition solidement ancrée. Ross Goodwin, artiste et créateur d'intelligence artificielle, a voulu l'éprouver avec une technologie qui intrigue et excite à la fois, le réseau de neurones, l'apprentissage profond (ou deep learning) et la possibilité pour une machine d'écrire un texte original.
Il a donc créé une intelligence artificielle, à laquelle il a fait « lire » des classiques de la littérature anglo-saxonne. L'IA s'est imprégnée du vocabulaire, des phrases, des structures et des rythmes des textes, pendant que Goodwin préparait le véhicule nécessaire à leur road trip. Il a équipé une Cadillac d'une caméra de surveillance, d'un GPS, d'un microphone et d'une horloge, bientôt tous reliés à l'intelligence artificielle.
Ensemble, ils sont partis, pour un trajet de New York à la Nouvelle-Orléans, soit 2000 km environ. Au fur et à mesure du voyage, l'intelligence artificielle écrivait son récit, en s'aidant de ses « sens » ajoutés à la voiture. « La lecture est assez excitante : il faut se dire que la machine n'a jamais été sur internet et qu'elle n'a rien lu d'autre que les classiques de la littérature anglo-saxonne. Elle analyse son environnement, alors que la voiture roule », explique Mathieu Cénac, cocréateur de la maison d'édition Jean Boîte, qui publie le livre.
« Au départ, la voiture est très attachée à l'endroit où elle se trouve, à l'heure qu'il est, puis elle s'en détache : on se retrouve face à un texte à la Kerouac, très immédiat, gonzo. Une lecture qui peut s'apparenter à de la poésie, finalement, un texte écrit dans le flot, comme sous drogue ou psychotropes : on y trouve des éléments qui peuvent relever de l'incohérence, mais qui, dans ce contexte, s'abordent très bien. Les phrases sont, par ailleurs, particulièrement bien construites. »
Ross Goodwin n'a réalisé aucune réécriture, seulement de l'édition, avec le retrait de certains passages pour mieux rythmer le texte, le rendre plus dense. Le texte est présenté dans sa version originale, en anglais : « Nous nous sommes posé la question de la traduction, mais impliquer un humain dans le processus aurait faussé l'expérience », indique Mathieu Cénac.
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Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'IA a intégré des personnages à son récit : « Il y a des personnages, des paysages, des actions... Le premier personnage apparait à la troisième phrase, c’est un peintre, qui ensuite disparait… Les personnages se présentent plus comme des éléments de paysage, des personnes qui passent, que l'on croise... Ce sont des personnages de rues plus que d’un roman. »
« L'auteur de l'auteur », comme il se présente sur la couverture du livre, Ross Goodwin, reçoit les droits d'auteur liés à 1 the Road. Dans son projet, il a été aidé par le département art + intelligence de Google (Google AI), qui soutient les creative coders — lesquels utilisent l'informatique et la technologie pour créer — et qui a également soutenu la parution du livre aux États-Unis.
Créée en 2011, Jean Boîte a commencé son travail d'édition avec la collection « Follow me », « qui avait pour but de mettre au format papier les sensations et les découvertes les plus excitantes que l'on trouvait sur internet, hier à travers Tumblr, aujourd'hui sur Instagram, par exemple ». À ces recueils s'ajoutent des textes critiques, pour évoquer l'impact et les implications de ces expériences artistiques.
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La maison a ensuite collaboré avec l'Américain Kenneth Goldsmith, penseur de l'« uncreative writing », l'écriture non créative, une technique conceptuelle pensée à l'époque numérique. « Nous avons publié son livre L'écriture sans écriture, dans une traduction de François Bon, et l'étape d'après, pour nous, était de s'intéresser à la création, particulièrement dans le domaine de la littérature, par des intelligences artificielles et des réseaux de neurones. L'ouvrage va trouver sa place dans le rayon poésie et art, il ouvre des pistes et présente un état de la création à un instant T. »
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Hiéronyme
22/02/2020 à 23:34
« Nous nous sommes posé la question de la traduction, mais impliquer un humain dans le processus aurait faussé l'expérience », indique Mathieu Cénac. Ça aurait surtout grevé le budget. Publier en France un livre non traduit, c'est une première! S'ils ne voulaient pas impliquer un humain, ils pouvaient toujours demander à l'IA de chez Google.