#Lectureetlittoral - Derniers pas sur le sable pour Marc Roger. Le lecteur, conteur, voyageur, finit ici de boucler les 5000 km de son périple le long du littoral atlantique. C'est sur la côte basco-landaise qu'il rédige pour ActuaLitté ses derniers mots. (Suivre Marc Roger sur Instagram)
Le 12/12/2023 à 11:26 par Marc Roger
3 Réactions | 524 Partages
Publié le :
12/12/2023 à 11:26
3
Commentaires
524
Partages
Ce pourrait être là – dans ce chaos de souches et d’arbres échoués en haut de la plage de Santocha à Capbreton d’où j’aperçois la chaîne des Pyrénées quand je regarde au sud vers l’Espagne avec au ras de l’horizon dans le soleil couchant ces longs nuages rose-mauve – ce pourrait être là que se termine au pied du Pays Basque, Lecture et Littoral.
Les dunes dans la nuit s’effacent.
Les bunkers virent au noir, mastodontes ensablés, écroulés en tous sens. La batterie qui comptait quatre casemates offre aux vagues ses étroites meurtrières. L’eau s’engouffre au cœur même des blockhaus. Mise ainsi sous pression, elle ressort par le trou des canons comme jaillie d’un évent.
Les artistes-graffeurs ont beau jouer de couleurs sur ces murs de béton, sublimer de leur art le ciment de l’Allemagne nazie, le devoir de mémoire que l’on doit aux esclaves acheminés tout le long de l’Atlantique pour construire ces bunkers, à l’inverse du tourisme de guerre qui partout fait florès, ce devoir peu à peu fait naufrage. Galerie d’art sur les plages, la beauté prend le pas, peu à peu on oublie.
L’érosion est affaire de patience.
De tempête en tempête, le recul du trait de côte se mesure aux distances qui séparent ces sinistres vestiges, à présent dans la mer, de la dune en repli, quand le vent, grain à grain, la soulève et la pousse à l’intérieur des terres, envahissant marais, forêts et villes, pris de folie et d’anémomorphose qu’on peut traduire selon que l’on regarde ce qui s’entasse ou disparaît, amour du plein ou stratégie du vide. La nature est artiste.
Une braise rougeoie dans le noir. Un feu couve dans le sable. Des surfeurs l’ont laissé se mourir de lui-même sous la pluie qui redouble. À la fin de leur session, tous leurs muscles sujets à des crampes apprécient la chaleur dégagée par la lente combustion de ces bois de flottage. La glisse des forêts descendues sur les flots de l’Adour part en fumée dans leurs cheveux poisseux de sel. Ils commentent leurs figures. Ils se vident les oreilles, puis regagnent les parkings où ils garent leurs voitures, torse nu, la combi retournée sur les hanches, ou enfourchent leurs vélos électriques à gros pneus pour le sable et dessinent des traces parallèles à la plage que les vagues recouvrent à mesure qu’ils s’éloignent.
Une ou deux fois encore, juste avant de franchir l’escalier de la plage, les yeux pleins de regret, ils se retournent vers le Gouf, ce canyon sous-marin qu’on ne pourrait soupçonner d’où l’on est sur la dune s’il n’y avait cette houle spécifique à Hossegor.
Dans le Golfe de Gascogne, en suivant le tracé de la côte espagnole sur 300 kilomètres et provenant du plus loin de l’Atlantique, la houle épouse les vallées sous-marines, les thalwegs et les crêtes qui se tiennent à 3500 mètres en-dessous de la surface des eaux, puis se heurte à l’approche du plateau de la côte française à un mur qui remonte à l’équerre en l’espace d’un ou deux kilomètres, jusqu’au sable où, gonflée par ce choc, elle déferle en séries de longues vagues qui enchantent les surfeurs.
L’atavisme de l’enfant naufragé qui se voit à son tour devenir naufrageur joue peut-être à l’instant, quand, lançant une poignée de brindilles sur le feu des surfeurs, j’alimente l’espoir d’une fête. Une flamme s’élève. Une deuxième. Tout un chœur dans lequel, avec joie, je balance des branches. Le bois fume. L’eau contenue dans leurs fibres se transforme en vapeur. L’odeur âcre des arbres pique mes yeux et ma gorge. Une pluie d’étincelles monte au ciel. Une à une, elles s’éteignent au contact des gouttes d’eau qui descendent des nuages. Pas d’étoiles, ni de lune. Un ciel noir sur le feu dont les flammes se couchent dans le jeu des rafales.
Tout autour du foyer ont été disposées plusieurs billes de bois. Sur l’une d’elles, je m’assois. Il me reste une banane. Je la mange. Mon visage, ma poitrine, tout le devant de mon corps, se réchauffent, mais mon dos, exposé à la nuit, à la pluie et au vent, est plus froid qu’un linceul. Je me lève et sautille en tournant sur moi-même. J’improvise une danse en l’honneur de ma peau de banane. Dans ma main, elle tournoie. Je la lance dans le feu et je chante à la gloire des cailloux sur la plage.
Visité par le sable, l’alphabet m’abandonne.
Les symboles disparaissent. De mes yeux s’évanouissent des milliers de paysages, puis je pleure ou je ris, je ne sais, et de toute vérité, une seconde, je m’absente en suivant du regard des milliers de migrateurs.
Lecture et Littoral – À la limite… était un rêve qui s’est réalisé grâce au soutien précieux de nombreux partenaires
dont ActuaLitté sous la houlette bienveillante de Nicolas Gary, son directeur de la publication.
À toutes et à tous, merci !
Au dire des géologues, à la limite K-T du crétacé et du tertiaire, les affleurements de flysch à silex et de marno-calcaires de la plage d’Erretegia à Bidart sont datés de 65 millions d’années. Voilà qui donne envie d’attendre quelques millions d’années supplémentaires pour repartir sur les chemins côtiers.
En attendant… la Fête !
Jeudi 14 décembre 2023
Siège de Surfrider Foundation
33, allée du Moura à Biarritz
18h30 Vernissage de l’expo À la limite…
19h15 Lecture musicale La Croisière du Snark de Jack London
Entrée libre – Réservation conseillée par SMS au 06 98 29 07 95
ou par mail contact@lavoiedeslivres.com
Crédits photo : Marc Roger / ActuaLitté - CC BY SA 2.0
DOSSIER - Lecture et Littoral : une année de lectures à travers 5000 km de rencontres
Par Marc Roger
Contact : marc.roger@oxor.net
3 Commentaires
Jasper the disaster
13/12/2023 à 11:04
Superbe élégie de marc Roger. Moi, j'ai été visité par mon contrôleur fiscal et ce sont mes économies qui m'ont abandonné.
Laetitia Pacareau
14/12/2023 à 17:48
À écouter pour renouveler l'expérience :
"Le long de la plage", Michel Butor et Marc Copland (piano)
https://actualitte.com/article/23113/exotique/michel-butor-et-marc-copland-reunis-pour-une-lecture-musicale
https://www.citizenjazz.com/Michel-Butor-Marc-Copland-3468039.html
Marc Roger
15/12/2023 à 08:21
Merci !