Un chapitre entier des Misérables était dédié aux égouts de Paris. L’écrivain visionnaire prenait déjà conscience de la dimension hygiénique et écologique de telles installations, trop souvent réduites à leur odeur nauséabonde et aux rats qui y ont élu domicile avec grande satisfaction.
Le 17/07/2023 à 12:40 par Victor De Sepausy
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17/07/2023 à 12:40
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Quand on pense aux égouts, il ne nous vient pas spontanément à l’esprit d’y associer l’un des plus grands écrivains français, Victor Hugo. Et pourtant ! On n’aurait tort de s’arrêter à des apparences qui pourraient être trompeuses. Quand on pense à l’histoire des égouts, on a en revanche souvent en tête l’avance considérable que les Romains avaient en matière de gestion des eaux, qu’elles soient limpides et claires, ou peu ragoutantes. Il est ainsi difficile de passer à côté de la Cloaca Maxima lorsqu’on a le bon esprit d’aller faire un tour dans la ville éternelle. Cette installation révolutionnaire et toujours partiellement en usage permettait à la fois de faire un sort aux eaux de pluie, d’assurer l’écoulement des eaux usées, et d’assainir le terrain marécageux sur lequel la ville de Rome a été bâtie.
Digne héritière de l’antique Lutétia, Paris possède un réseau d’égout à l’histoire riche. Si, lorsqu’on déambule dans les rue de la capitale, on aperçoit simplement des plaques, à la manière de celles qui sont siglées SPQR (en référence à l’alliance du Peuple et du Sénat romain) à Rome, au-dessous se cache un réseau des plus denses, comportant 2600 kilomètres de canalisations. C’est bien pour cette raison que de nombreuses entreprises interviennent, avec des camions d’assainissement toujours impressionnants, à Paris ainsi que sur l’ensemble de l’Ile-de-France pour assurer le débouchage des tuyaux de plomberie et des conduites souterraines. Des particuliers peuvent faire appel à ces sociétés spécialisées, mais c'est aussi le cas des syndics quand les problèmes concernent une ou plusieurs copropriétés.
La construction du réseau actuel doit en grande partie son déploiement à la mise en œuvre des travaux du préfet Haussmann. Si l’on connaît plutôt bien l’aménagement des grands boulevards, avec des immeubles dont le style a pris son nom, on sait parfois moins tout le travail conduit par Eugène Belgrand, sous la direction du baron Haussmann, pour mettre en œuvre, à partir de 1854, un immense réseau d’assainissement au sein de la capitale.
Permettant le transport des eaux de pluie et l’évacuation des eaux usées, ce réseau est à taille humaine. Autrement dit, il est possible de s’y déplacer pour l’inspecter et le maintenir en état. Pour s’y retrouver, à chaque angle, on a, comme en miroir, la place de la rue sous laquelle se trouve la canalisation. Si l’on souhaite intervenir pour opérer un débouchage des canalisations en Ile-de-France, il est souvent nécessaire de faire appel à des entreprises spécialisées qui, en lien avec les services de la ville, ont une connaissance aiguë du fonctionnement d’un ensemble très complexe.
C’est certainement ce côté dédale souterrain qui a donné l’idée géniale à Victor Hugo d’y inscrire des scènes inoubliables des Misérables. Publié avec un succès retentissant en 1862, ce roman du peuple imagine le déplacement dans les égouts de plusieurs personnages. C’est là que prend place le sauvetage de Marius par Jean Valjean, alors que la barricade que le jeune étudiant tenait est attaquée par l’armée. Nous sommes alors dans le climat sombre des révoltes parisiennes, en 1832, deux ans à peine après les trois glorieuses de 1830.
Les mots choisis par Victor Hugo pour décrire ce qu’il nomme « l’intestin de Paris » sont presque sublimes : « C’est une chose lugubre d’être pris dans ce Paris de ténèbres. Jean Valjean était obligé de trouver et presque d’inventer sa route sans la voir. Dans cet inconnu, chaque pas qu’il risquait pouvait être le dernier. […] Cette colossale éponge souterraine aux alvéoles de pierre se laisserait-elle pénétrer et percer ? Y rencontrerait-on quelque nœud inattendu d’obscurité ? Arriverait-on à l’inextricable et à l’infranchissable ? […] Finiraient-ils par se perdre là tous les deux, et par faire deux squelettes dans un coin de cette nuit ? Il l’ignorait. Il se demandait tout cela et ne pouvait se répondre. L’intestin de Paris est un précipice. Comme le prophète, il était dans le ventre du monstre. » Chaque adaptation du roman a donné lieu à des scènes quelque peu apocalyptiques se déroulant dans un dédale obscur, infesté de rats. Pensons à Jean Gabin en Jean Valjean portant sur ses épaules Marius dans le film de Jean-Paul Le Chanois, en 1958. Ou encore dans la superbe mise en scène de Robert Hossein, où, cette fois, c’est Lino Ventura qui porte Marius, incarné par le jeune Frank David.
Les égouts de Paris ont d’ailleurs leur musée, restructuré complètement et réouvert en 2021. Dès l’Exposition universelle de 1867, des visites guidées des égouts étaient proposées. C’était une façon de mettre en avant, sous le régime du Second Empire, toute la modernité de la capitale. Le musée actuel propose un parcours de 500 mètres de galeries, dans des égouts bien réels et en cours d’utilisation. Par temps caniculaire, c’est un musée très recherché, car il fait en moyenne 13 degrés dans le réseau. Mais si vous êtes trop sensible, ce musée sera à éviter, car vous risqueriez d’être embarrassé par quelques petites odeurs nauséabondes…
Finalement, Victor Hugo avait vu juste, en consacrant un chapitre entier intitulé « L’Intestin de Léviatan » à ces égouts qui étaient un signe d’extrême modernité à la fin des années 1850. La perspective écologique n’avait pas échappé au grand écrivain et sa réflexion, qui prend toujours une dimension philosophique, s’inscrivait dans une idée d’un urbanisme servant le progrès social. Un petit ouvrage consacré au travail fait par Victor Hugo autour des égouts de Paris a été publié en 2017 aux éditions Scala. Malheureusement, l’ouvrage n’est actuellement plus disponible.
Mais avant les constructions gigantesques d’assainissement entreprises au XIXème siècle, il faut imaginer que Paris avait aussi ses égouts à ciel ouvert…C’était notamment le cas de l’avenue Montaigne, comme s’amusait à le souligner Lorant Deutsch, fin connaisseur de l’histoire de la capitale. Au cœur du huppé VIIIème arrondissement, terre aujourd’hui des plus grandes marques du luxe à la Française, se trouvait, en effet, le bien connu Grand Egout. Il venait longer, par l’extérieur, les grands boulevards. Encore un petit secret de Paris dévoilé dans la série à succès Métronome publiée par le comédien.
Crédits illustration Pexels CC 0
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