#Lectureetlittoral - Embarqué dans un périple de 5000 km à la découverte du littoral atlantique, le lecteur public Marc Roger arpentera durant une année 555 communes, à travers 16 régions. Chaque halte donne l’occasion de lectures, d’une voix mise au service de textes choisis. Et chaque jour, ce sont 3 kg de déchets qu’il collectera, pour apporter sa pierre à l’édifice — et à l’écosystème.
Le 06/04/2023 à 09:35 par Marc Roger
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Publié le :
06/04/2023 à 09:35
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Parmi les partenaires de cette expédition écologico-littéraire se trouve la Surfrider Foundation Europe, association chargée de la protection de l’océan, des vagues et du littoral ainsi que de ses usagers. Plutôt que d’offrir une planche de surf, elle a confié au lecteur itinérant un appareil photo.
« L’objectif (sourires…) : témoigner du recul du trait de côte dû aux facteurs conjugués de l’érosion, du changement climatique et de l’élévation du niveau de la mer tout au long de mon parcours de lectures itinérantes du 21 janvier au 16 décembre 2023 de Bray-Dunes à Hendaye. »
– Marc Roger
Plus globalement, Surfrider lui demande de témoigner du conflit qui oppose le trait de côte — par essence en mouvement —, à nos activités industrielles, urbaines et touristiques, qui n’ont de cesse d’annexer et de fixer ce qui ne peut pas l’être.
« Le défi est de taille. Je ne suis pas photographe, encore moins géologue, géographe, scientifique spécialiste du climat », nous indique-t-il lors d’une pause entre deux dunes. Il s’astreint pourtant, au quotidien, à l’exercice, ajoutant « une corde à mes vocales », le lecteur public essayant, de cette autre manière, « de lire le paysage ».
« L’œil en alerte, je cherche l’angle le plus parlant pour dire à l’aide d’une image qui ne bouge pas " Voyez, ici ça bouge !" Portraits d’eau et de terre à la lutte qui seront exposés en décembre à Biarritz à la fin de mon voyage, chaque photo légendée par un texte d’auteur. »
– Marc Roger
À chaque texte qu’il nous fait parvenir sont associés quelques-uns de ces clichés, pris sur le vif. « Je pense à Julien Gracq, Victor Hugo, Jules Michelet, dont certains extraits de carnets, de romans ou de correspondances témoignent de ces phénomènes naturels qui aujourd’hui redoublent d’intensité ».
Face aux étendues, au ressac infatigable, le voici qui nous propose à toutes et tous de prendre part au voyage. Quels livres, quelles lectures, quels auteurs seraient à même de raconter ces photos, de les enrichir ? Outre celle qui illustre cet article, nous les avons rassemblées dans un album ci-dessous.
N'hésitez pas à laisser en commentaires vos réactions, propositions et suggestions ou reprendre ces photos sur les réseaux avec le mot-dièse #Lectureetlittoral, en les accompagnant de recommandations..
Marc Roger ouvre ainsi les festivités et nous invite à redécouvrir un texte de Victor Hugo, L'Archipel de la manche, dans Les Travailleurs de la Mer.
HOMO EDAX
Dans un temps donné la configuration d’une île change. Une île est une construction de l’océan. La matière est éternelle, non l’aspect. Tout sur la terre est perpétuellement pétri par la mort, même les monuments extra-humains, même le granit. Tout se déforme, même l’informe. Les édifices de la mer s’écroulent comme les autres. La mer qui les a élevés, les renverse.
En quinze cents ans, seulement entre l’embouchure de l’Elbe et l’embouchure du Rhin, sept îles sur vingt-trois ont sombré. Cherchez-les au fond de la mer. C’est au treizième siècle que la mer a fait le Zuyderzee ; c’est au quinzième qu’elle a créé dans l’actuelle Hollande, la baie de Bies-Bosch en supprimant vingt-deux villages ; c’est au seizième qu’elle a improvisé dans la mer des Wadden situé entre les Pays-Bas et l'Allemagne le golfe de Dollart, en engloutissant Torum. Il y a cent ans, devant le Bourgdault, aujourd’hui coupé à pic sur la falaise normande, on voyait encore sous les vagues le clocher de l’ancien Bourgdault submergé. À Écréhous, on distingue, dit-on, parfois, à marée basse, les arbres aujourd’hui sous-marins de la forêt druidique noyée au huitième siècle. Jadis Guernesey adhérait à Herm, Herm à Serk, Serk à Jersey et Jersey à la France. Entre la France et Jersey, un enfant enjambait le détroit. On y jetait un fagot, quand l’évêque de Coutances passait, pour que l’évêque ne se mouillât point les pieds.
La mer édifie et démolit ; et l’homme aide la mer, non à bâtir, mais à détruire.
De toutes les dents du temps, celle qui travaille le plus, c’est la pioche de l’homme. L’homme est un rongeur, tout sous lui se modifie et s’altère, soit pour le mieux, soit pour le pire. Ici il défigure, là il transfigure. La brèche de Roland n’est pas si fabuleuse qu’elle en a l’air ; l’entaille de l’homme est sur la nature. La balafre du travail humain est visible sur l’œuvre divine. Il semble que l’homme soit chargé d’une certaine quantité d’achèvement. Il approprie la création à l’humanité. Telle est sa fonction. Il en a l’audace ; on pourrait presque dire, l’impiété. La collaboration est parfois offensante. L’homme, ce vivant à brève échéance, ce perpétuel mourant, entreprend l’infini. À tous les flux et reflux de la nature, à l’élément qui veut communiquer avec l’élément, aux phénomènes ambiants, à la vaste navigation des forces dans les profondeurs, l’homme signifie son blocus. Il dit lui aussi son Tu n’iras pas plus loin. Il a sa convenance, et il faut que l’univers l’accepte. N’a-t-il pas d’ailleurs un univers à lui ? Il entend en faire ce que bon lui semble. Un univers est une matière première. Le monde, œuvre de Dieu, est le canevas de l’homme.
Tout borne l’homme, mais rien ne l’arrête. Il répliqua à la limite par l’enjambée. L’impossible est une frontière toujours reculante.
Une formation géologique qui a à sa base la boue du déluge et à son sommet la neige éternelle est pour l’homme un mur comme un autre, il la perce, et passe outre. Il coupe un isthme, force un volcan, menuise une falaise, évide un gisement, met un promontoire en petits morceaux. Jadis il se donnait toute cette peine pour Xercès ; aujourd’hui, moins bête, il se la donne pour lui-même. Cette diminution de bêtise s’appelle le progrès. L’homme travaille à sa maison, et sa maison c’est la terre. Il dérange, déplace, supprime, abat ; rase, mine, sape, creuse, fouille, casse, pulvérise, efface cela abolit ceci, et reconstruit avec de la destruction. Rien ne le fait hésiter, nulle masse, nul encombrement, nulle autorité de la matière splendide, nulle majesté de la nature. Si les énormités de la création sont à sa portée, il les bat en brèche. Ce côté de Dieu qui peut être ruiné le tente, et il monte à l’assaut de l’immensité, le marteau à la main. L’avenir verra peut-être mettre en démolition les Alpes. Globe, laisse faire la fourmi.
L’enfant, brisant son jouet, a l’air d’en chercher l’âme. L’homme aussi semble chercher l’âme de la terre. Pourtant, ne nous exagérons pas notre puissance, quoi que l’homme fasse, les grandes lignes de la création persistent ; la masse suprême ne dépend point de l’homme. Il peut sur le détail, non sur l’ensemble. Et il est bon que cela soit ainsi. Le Tout est providentiel. Les lois passent au-dessus de nous. Ce que nous faisons ne va pas au delà de la surface. L’homme habille ou déshabille la terre ; un déboisement est un vêtement qu’on ôte. Mais ralentir la rotation du globe sur son axe, accélérer la course du globe dans son orbite, ajouter ou retrancher une toise à l’étape de sept cent dix-huit mille lieues par jour que fait la terre autour du soleil, modifier la précession des équinoxes, supprimer une goutte de pluie, jamais ! ce qui reste en haut reste en haut. L’homme peut changer le climat, non la saison. Faites-donc rouler la lune ailleurs que dans l’écliptique !
Crédits photo : Falaises près de la Cale de Cabourg - Marc Roger / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Lecture et Littoral : une année de lectures à travers 5000 km de rencontres
Par Marc Roger
Contact : marc.roger@oxor.net
9 Commentaires
Pascale A
07/04/2023 à 10:02
« La mer ne laissait pas entamer son individualité : de toute l’énorme face visible de ses eaux elle restait la mer, entité triomphale, gouffre insatiable en dépit de la fougue que mettaient les vagues à imposer leur caractère individuel. Chaque vague était, en somme, toute la mer en raccourci tandis qu’elle courait à l’assaut des pentes de la plage comme pour repousser la grange des galets ; chaque vague clamait dans toute son ampleur le mystérieux acharnement de l’antique ennemie de la terre. »
Les Sables de la mer de John Cowper Powys, 1934
Marc Roger
07/04/2023 à 10:22
Merci Pascale ! C'est tout à fait le genre de texte que je recherche. En le lisant, je pense aux montagnes de galets que j'ai prises en photos au Cap de la Hague. Le GR 223 y a été complètement avalé. Ce qui est tout à fait secondaire par rapport aux champs qui disparaissent sous cette avancée inexorable. Belle proposition. Bravo ! Et, bien sûr, cela donne envie de lire le livre...
Pascale A
07/04/2023 à 14:00
« Toute chose existe par le vide qui l'entoure. »
Voix, Antonio Porchia (1949)
SNG (Natacha)
10/04/2023 à 23:43
J'ôte redingote et lacets au climat qui s'amène
Le froid s'est égaré au village de mes années jadis
Ici j'ai semé rouille et carnets de clichés, maint photographies
Au tombeau je dépose la netteté du paysage en ces marécages sans vie
Effroi de la scène qui vrille, le spectacle muté, la sirène sertie s'esclaffe en guenilles
La divine farce assiégeant la ville, au hâle d'enfance assénée de coupes
Sel qui pique des bordures d'eau marée montante et d'espoir échoue en port cynique
La vase m'enlise et mon tourment, du toupet à la houppe
Sous la hanche m'arrive l'eau, a recouvert tout l'océan du mistral qui bride
L'éclatant orage, la haine qui envahit ce que j'oublie dans le sable
Soporifique béat, mouvant en larmes sur la digue, je fouille du regard la bite d’amarrage pendante
Terre froncée d'eau, toutes les eaux me ruissellent, chevilles empêtrées en paquebot juvénile
L'ode à l'abandon, d'aucune âme maritime ravitailler mon âme
Chaque maison perchée, haut le tronc d'arbres velus, ignorent ma palme d'or et orpheline
Où mes frères, tantes et poupons en nacelle, le jonc qui jonchait gazons et fleurs fragiles
La trachée s'étroite, s'emballe mon cœur, oh miséreux vaste entrelacs d'ondes
Que produit la mer, houle de la vague exaspérée qui gronde en ces interminables siestes
J'ôte chemise et pantalon râpé, déposé baluchon sur le sable, caressé naguère au râteau
Les châteaux piédestal des îles fanfaronnes, que sur cette plage d'écrevisse là-haut sur promontoire de galets en colonne j'ensevelis. ("Marines", SNG, 2018)
Marc Roger
11/04/2023 à 08:20
Chère Natacha Guiller que votre SNG en signature trahit.
On ne peut s'y méprendre, c'est bien vous !
Votre style, vos images, votre rythme d'écriture lié au souffle qui est le vôtre quand vous slamez vous-même vos textes, sont reconnaissables entre tous et font votre originalité dans le paysage poétique actuel.
Votre contribution à mes recherches bibliographiques me réjouit.
Un grand merci d'avoir pris le temps de le faire.
Je recommande vivement à celles et ceux qui ne vous connaissent pas de lire votre fulgurant
"Mocassin, je me prépare" (Nouvelles éditions Place, 2020).
Catherine Henri
13/04/2023 à 18:07
Très beau texte du grand Victor , et incroyablement actuel. Sur le même sujet - de la montée des eaux, de la responsabilité des hommes, et de la puissance de la nature- un très beau roman d'Elisabeth Filhol, Doggerland ( POL). Cela commence avec la gigantesque tempête Xaver, qui monte tout au long du livre et se termine avec le récit de l'engloutissement ( historique) du Doggerland ( il y a 6000 ans), grande île en mer du nord entre la Grande Bretagne, les Pays Bas et le Danemark.
Bon voyage, Marc.
Marc Roger
13/04/2023 à 22:45
Merci Catherine pour cette référence bibliographique qui va s'ajouter à la liste de livres à lire sur ce sujet passionnant.
Danièle
15/05/2023 à 21:28
"La carte date de 1962. Sa mère a tracé une ligne rouge au feutre pour montrer là où se trouve la côte désormais.
Elle désigne un point autrefois dans les terres, à présent situé sur la ligne rouge.
Ça, c'est l'endroit où la casemate de la Seconde Guerre mondiale a sombré en mer il y a dix jours, dit-elle.
Elle désigne un point un peu plus loin sur la côte.
Et là, c'est où ils ont installé une clôture, dit-elle
[...]
Elisabeth songe à la vieille casemate en briques sous l'eau, et aux bulles d'air qui s'échappent de ses pores lorque la marée la recouvre.
Je suis une brique sous l'eau se dit-elle."
Automne, Ali Smith, Grasset 2016
Entre crochets, le texte illustrerait plutôt ce que tu as pu voir à Calais peut-être.
Marc Roger
16/05/2023 à 10:43
Bonjour Danièle,
Merci pour cet extrait d'autant plus pertinent qu'il peut illustrer une carte postale d'Ault, photo prise en 1920 avec une de mes photos prise du même point de vue, aujourd'hui. Le recul de la falaise est très impressionnant.