Outre la beauté d'un livre en tant qu'objet, et la qualité, néanmoins fluctuante, de son contenu, une part de la magie d'un livre se trouve dans son odeur. Odeur plus âcre du vieux livre d'occasion ou de collection, ou si caractéristique du livre neuf, pourquoi apprécions-nous ces effluves si particuliers ? Et comment expliquer ces senteurs ? Miracle : la science a son mot à dire.
Le 19/02/2022 à 09:00 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
19/02/2022 à 09:00
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Avant que le livre numérique n'arrive, personne n'avait véritablement songé à revendiquer le bruit ni l'odeur des livres comme source d'attachement profond à l'objet. Pourtant, la relation de chacun relève d'une dimension intellectuelle, sensuelle et émotionnelle. Interviennent en effet le visuel, le toucher ainsi que l'odorat, qui plonge les scientifiques dans de délicieuses découvertes.
Une odeur de neuf
Lors de l'achat d'un livre, un sentiment de propriété nous envahit et s'associe à l'odeur de l'objet – le tout titillant les neurones du plaisir. Ce processus se répétant, le parfum finit par s'associer à cette stimulation, et les deux éléments s'imbriquent, explique en substance la neuroscientifique et experte en psychologie de l'odorat, Rachel Herz, à BBC Mundo.
Par les odeurs, la reconnaissance s'enclenche, amorçant un processus de réflexe conditionné, à la manière du célèbre chien de Pavlov. Ou plus délicatement, comme un parfum s'associerait à une personne. Pour le cerveau, propriété et odeur, autour du livre, convergent, dans une amusante confusion de causalités.
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D'autant que le papier contient différentes substances chimiques que le cerveau interprète. Il s'agit notamment de l'acide acétique, qui rappelle l'odeur du vinaigre, des aldéhydes, qui sentent l'herbe séchée, du benzaldéhyde et ses senteurs d'amande amère, et même de la vanilline, qui comme son nom l'indique, sent la vanille.
« Si vous combinez toutes ces senteurs, vous obtiendrez probablement quelque chose comme de la crème glacée au caramel. Certains de ces composants peuvent également être présents dans certains aliments transformés, comme le café ou les toasts », explique Matija Strlic, professeur de sciences du patrimoine à l'University College de Londres.
Ne rigolons pas trop vite : certaines chaines de librairies en ont fait un fond de commerce, en vendant des parfums aux eaux de bookstores lesquelles contiennent cette puissance enivrante du biblichor. On vous laisse découvrir.
La vie des livres
Le penchant pour l'odeur que dégagent les ouvrages anciens serait, a priori, moins évident à comprendre. « Un agencement de notes herbacées, avec des pointes acidulées et un soupçon de vanille sur des relents de moisi sous-jacent », c'est ainsi que Matija Strlic décrit cette fois-ci l'odeur des vieux livres, dans un article de 2017, Heritage smell : a framework for the identification, analysis and archiving of historical smells (L'Odeur patrimoniale : un cadre pour l'identification, l'analyse et l'archivage des odeurs historiques).
Malgré cette (dé)composition peu ragoûtante, pour la neuroscientifique Rachel Herz, leur parfum nous procure également un sentiment de bien-être, mais cette fois-ci en lien direct avec le souvenir. La fameuse madeleine de Proust. Et plus on les fréquente, plus l'odeur devient coutumière, provoquant une forme d'accoutumance. Gare à la cure de désintox.
La dimension sensitive, évocatrice – baudelairienne, presque, « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent... » – l'emporterait donc sur une réalité objective. Tout particulièrement quand l'odeur s'avère en soi plutôt désagréable.
« Nous reniflons un livre défraîchi ou ancien qui croise notre route, ou caché dans un coin et que l'on cherche. Le livre en question pourra sentir la moisissure, le papier qui se corrompt, l'encre en décomposition, ou les remugles d'où il a été entreposé. Ce livre saura alors, pour certaines personnes du moins, leur renvoyer à un autre livre ancien, et les rendre heureux en exhumant des souvenirs », explique Rachel Herz.
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Le papier vieilli n'échappe pas à la règle de la dégradation : s'il exhale quelques senteurs étrangement séduisantes, c'est avant tout que les produits qui le composent se détériorent, à commencer par la lignine. Cette dernière est un polymère issu de la biomasse, ou biopolymère. « Sa présence dans les arbres et les plantes en fait l'un des principaux éléments du monde végétal », explique Marcelo Domine, docteur en chimie à l'Université de Valence.
Dans la fabrication du papier, la cellulose est extraite pour créer la pâte à papier : pour en garantir la qualité, on retire le plus possible de cette lignine – mais jamais la totalité. Les traces persistantes, alliées au passage du temps et l'exposition à l'humidité, dégradent ainsi le livre, lui donnant son aspect bistre ou sépia (fragilisant les pages, au passage).
Marcelo Domine ajoute : « Lors du processus de suppression de la lignine, certaines de ses huiles essentielles se maintiennent avec la cellulose. Ce sont ces essences végétales qui donnent au papier ses senteurs spécifiques. » Ce qui tue les livres est également ce qui donne leurs parfums caractéristiques, donc une partie de sa sensualité.
Et un parfum aux fragrances Auteurs morts, ça inspire quoi ?
Crédits photo Shutterstock
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
4 Commentaires
Tiempos Futuros
21/02/2022 à 16:13
J´ai senti un immense plaisir à lire l´article.
Merci.
Jujube
22/02/2022 à 00:54
J'ai réalisé l'expérience du reniflement des livres de ma bibliothèque perso. Je précise que celle-ci est ouverte à tous les vents -préférablement alizés-, tempêtes draineuses de cendres volcaniques, effluves alimentaires des voisins et denses nuages de poussières, aussi imposantes que chargées d'ingrédients mystérieux, où gisent aussi les cadavres de menus insectes délestés par ma tribu d'araignées, lectrices assidues - certaines -, et gardiennes de temple - d'autres.
N'ayant pu bénéficier des senteurs promises par votre texte, j'ai pensé d'abord fesser tous ces livres ingrats, sans parfum ni même haleine. Puis j'ai eu l'idée saugrenue d'un grand nettoyage - activité qui tient du mythe. Finalement, j'ai vaporisé les bouquins de Chanel N°5, J'adore L'absolu de Dior et Manifesto d'Yves Saint Laurent. Ma biblio est devenue un vrai jardin.
J'espère que ces fragrances ne feront pas moisir mes livres et que mon épouse me pardonnera l'emprunt de ses flacons.
Kim
22/02/2022 à 21:09
Cet article intéressera une minorité. Celle-ci a senti le même plaisir que moi en lisant: j'adore les livres, anciens ou nouveaux l'odeur est toujours exaltante, attisant notre libido littéraire.
Guillaume
11/03/2023 à 11:47
Ok Vive l'odeur des livres.
Mais en tant que chimiste de formation je peux vous assurer que nombre de ces composés responsables des odeurs ont un caractère cancérigène.
Alors quand je vois tous ces livres empilés devant moi un sentiment d'effroi me traverse...
Idéalement il vaut mieux les enfermer dans des boîtes ou au moins les mettre dans un placard pour que l'odeur ne s'échappe pas trop et se prendre quelques shoot à l'occasion...
moi