Depuis le film de Mathieu Kassovitz, La Haine, le refrain est entré dans les têtes : « Tu roules avec OCB ? Ouais, tu m’connais. » Vincent Cassel et ses acolytes, la tour Eiffel au loin, et l’on fait tourner des pétards sur les toits de Paris. OCB, sigle d’Odet-Cascadec-Bolloré, la marque de papier à cigarettes n’est plus à présenter dans le milieu cannabitique. Mais côté édition, on a presque oublié ses liens avec… La Pléiade.
Le 12/02/2022 à 11:38 par Nicolas Gary
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Publié le :
12/02/2022 à 11:38
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Dans la réclame de l’époque, la punchline était provocatrice, aguicheuse et misogyne : « Si vous les aimez bien roulées », le slogan accompagnait le clin d’œil bien appuyé d'un fumeur affairé. Difficile de manquer le sous-entendu. En revanche, les observateurs noteront que ce papier sortait des Papeteries René Bolloré.
Papier, papeterie, imprimerie, tout cela est en effet assez cohérent. Si par la suite, le réclame bascula vers une représentation plus stylisée, la marque, elle appartint au groupe Bolloré jusqu’en juillet 2000. Et entre sa fondation en 1918 et son départ, eut une activité d’impression de papier. Pas n’importe lequel.
Dans un portrait que publie Ouest France, est en effet rappelé que l’entreprise familiale, à travers son imprimerie, a fourni le papier bible de la célèbre collection La Pléiade (Gallimard).
Érik Orsenna en faisait d’ailleurs état dans son ouvrage, Sur la route du papier. Petit précis de mondialisation III (février 2012, chez Stock). « En 1914, les établissements Bolloré détiennent 80 % du marché mondial du papier à cigarettes. Je me souviens d’avoir entendu Gwenn-Aël Bolloré m’expliquer comment l’entreprise familiale utilisait des filets de pêche locaux et des roseaux abaca philippins pour fabriquer les papiers les plus fins. Ainsi, ils avaient régné sur le papier carbone et allaient fournir les éditions Gallimard pour leur plus belle collection : La Pléiade. »
C’est René Bolloré fils qui dirigera durant trente années l’usine produisant le fin papier à cigarette et qui, dans le même temps, alimentait donc les livres de la maison. Mais historiquement, l’usine fournissait également d’autres éditeurs, comme Calmann-Lévy, en papier plus traditionnel.
Chose amusante, dans le récit de fabrication d’une Pléiade que livre officiellement la collection (voir ici), aucune mention des papiers OCB ni de l’usine Bolloré dans la production des ouvrages.
En décembre 1949, dans un article de Réalités, indique : « Une machine, enfin, est employée à fabriquer du papier bible. Bolloré est à l’heure actuelle le seul fournisseur français des Éditions de la Pléiade, dont on connaît le succès. » Évidemment, produisant des feuilles de papier ultrafin, l’usine alimentait également en papier bible les missels qui étaient alors produits. Les groupes s'appéciaient donc plutôt en ce temps-là.
Il semble d’ailleurs que Vincent Bolloré soit particulièrement fier de cet héritage : « Il conserve précieusement de cette époque un exemplaire des Mémoires de guerre dédicacé par le général de Gaulle », indiquait Le Monde en 2013. Et le journal de pointer que les exemplaires portaient encore la mention : « Achevé d’imprimer sur bible des papeteries Bolloré. »
Vérification faite, sur l’unique exemplaire à portée de main de la rédaction :
Les Papeteries Bolloré Technologies officiaient bel et bien en 1994, et après. La collection de Jacques Shiffrin, initiée en 1931 et reprise trois ans plus tard chez Gallimard, doit ainsi beaucoup à la famille Bolloré.
Dans une période de tension comme celle que traverse l'édition, avec la fusion prochaine de Largardère et Vivendi, susceptible d'aboutir à la création de Edithachette, les craintes exprimées par Antoine Gallimard à l'encontre de Vincent Bolloré prennent ici une autre tournure... D'autant que, pour preuve le Pléiade de Flaubert, la collaboration avec Bolloré ne s'est manifestement pas arrêtée :
Alors, conclusion ? Gallimard paniqué de ce que les médias appartenant à Vincent Bolloré ne parlent plus de ses livres à l'avenir, craindra-t-il également que la Pléiade souffre d'une pareille mesure coércitive ? Tous en choeur : « Tu roules avec Bolloré ? Ouais tu m'connais... Tu roules avec Bolloré ? Ouais tu m'connais... »
crédits photo : Jonathan M, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
5 Commentaires
Carloman
13/02/2022 à 08:55
Surprenant ! Mais il faudra, aussi, que j'ouvre à nouveau mon exemplaire de la Pléiade, malgré tout plus ancien que celui cité, pour satisfaire ma curiosité inextinguible... 😉
Rey
16/02/2022 à 13:47
Medicine, selon vous, avec la mentalité de merde de maintenant.
Pas à l'époque, où les slogans publicitaires n'avaient quasi aucun double sens.
Ce que vous faites, c'est de la surinterprétation merdique, celle la même qui provoque inutilement des vagues de haines et de harcèlements, sur les réseaux sociaux. Vu que les gens du 20ème siècle sont devenus aussi DÉBILES que les américains ou les islamistes.
Eli
01/04/2022 à 13:53
Qui déferle des vagues de haine là ? Il faut être demeuré pour ne pas comprendre le double sens dans "vous les aimez bien roulées"
Imbault Evelyne
20/07/2024 à 15:56
Je savais depuis longtemps que Bolloré fournissait OCB, quand j'étais jeune on se fichait des copains qui
'' roulaient pour Bolloré '' . Pour la Pléiade, un ami m'en a parlé il y a quelques mois et je n'y ai pas cru ; d'ailleurs le lui avait dit que je rechercherai.
Entre temps j'ai relu '' la faim '' de Kurt Hamsum édité dans le Club du Livre du Mois ( je crois) publié dans les années 60 ou 70, ( ayant été libraire pendant 50 ans quand je lis un livre le commence par le copyright jusqu'à l'achèvement d'imprimer ) et ce bouquin des années 60 ou 70 est imprimé en caractères Garamond que je croyais réservé à la Pléiade.. je fais une recherche très succinct car je suis en mobilité réduite à zéro après un A V C et bien aucun renseignement sur le papier Bolloré et qui plus est s'occupe de la reliure plein cuir doré à l'or fin. La plus prestigieuse collection littéraire du monde dépend de la maison Bolloré. En tout cas Gallimard n'en fait pas la publicité, ils ont raison car ce ne serait pas de la publicité positive.
Imbault Evelyne
20/07/2024 à 15:58
Sera- il rejeté ?