Le Réseau de négociation et d'expertise des ressources documentaires électroniques Couperin inaugure aujourd'hui ses deux journées d'étude, les 24 et 25 janvier. Cette 5e édition des journées Open Access aura pour thème Généraliser l'accès ouvert aux résultats de la recherche. Une thématique dont on comprend bien qu'elle est en relation très étroite avec les questions qui agitent aujourd'hui la BnF. Un parallèle intéressant, proposé par le blog Numeribib, nous offre une mise en perspective également des enjeux liés à une privatisation du domaine public, désormais largement dénoncée.
Le 24/01/2013 à 08:18 par Cécile Mazin
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24/01/2013 à 08:18
Nous sommes à quelques jours d'un évènement national important pour le monde de la recherche et des bibliothèques : le consortium universitaire de publications numériques Couperin organise les 24 et 25 janvier deux journées consacrées aux archives ouvertes et intitulées: "Généraliser l'accès ouvert aux résultats de la recherche".
Le consortium Couperin fera-t-il le grand écart les 24 et 25 janvier 2013 ? Montage à partir de: Grand écart aérien. 24e édition du Grand Prix de THIAIS de Gymnastique rythmique au Palais Omnisports de Thiais. Photo : Julien Paisley. CC-BY-NC. Source : Flickr
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Du point de vue juridique, c'est la première fois qu'on voit se constituer un partenariat public-privé organisant l'appropriation exclusive et temporaire de l'accès à la version numérique d'oeuvres du domaine public. Jusqu'à la date de l'annonce des accords, l'expression d' "exploitation exclusive du domaine public" était une oxymore : par définition, le domaine public est l'ensemble des "biens non susceptibles d'appropriation privée". Depuis l'annonce des accords, les étudiants de droit de première année ne pourront plus être recalés en écrivant une affirmation aussi problématique. Bref, avec la Bnf et le soutien du Ministère de la Culture et de la Caisse des Dépôts, le droit se réinvente !
Il y aurait deux moyens pour la BnF de répliquer aux critiques qui commencent à fuser de toutes parts (par exemple ici, là, de ce côté, ou bien encore ici, ou là) :
- Considérer les accords de partenariats publics-privés comme de simples actes de concessions temporaires. Seulement voilà : pour accorder une concession sur les oeuvres numérisées, autrement dit pour céder le droit à des tiers d'en percevoir les fruits (le fructus), il faudrait que la BnF soit propriétaire des oeuvres du domaine public (qu'elle en détienne l'abusus). Ce qui ressemble beaucoup à une nouvelle oxymore : une institution publique ne saurait être propriétaire d'une oeuvre du domaine public, elle en est au mieux la dépositaire. Le domaine public appartient aux citoyens et à la Nation, non aux institutions culturelles qui en assurent la conservation. Est-ce qu'il n'aurait pas fallu que la BnF sollicite au préalable l'avis du Conseil d'Etat?
- Considérer que les oeuvres sous leur forme numérisée sont des données publiques culturelles en appliquant le raisonnement exposé dans un billet précédent: "en tant qu'ensemble de données composées de 0 et de 1, les œuvres [du domaine public] numérisées sont des données publiques culturelles et peuvent faire l'objet de restrictions d'accès" au nom du principe de l'exception culturelle énoncé par l'art. 11 de la loi du 17 juillet 1978. Seulement la jurisprudence est en train de battre en brèche la sacro-sainte exception : l'arrêt de la Cour Administrative d'Appel de Lyon du 4 juillet 2012 énonce que les données détenues par les Archives Départementales, et plus généralement les données culturelles, sont bien soumises, au principe de libre réutilisation énoncé par l'ordonnance de 2005. Le principe d'ouverture l'emporte sur le régime dérogatoire de l'exception culturelle.
Appliquons le raisonnement jusqu'au bout : si le régime de l'exception culturelle n'a pas lieu de s'appliquer aux oeuvres du domaine public numérisées dans le cadre du partenariat public privé, cela signifie que ces dernières entrent dans le droit commun des données publiques. Or l'article 14 de l'ordonnance de 2005 énonce :
La réutilisation d'informations publiques ne peut faire l'objet d'un droit d'exclusivité accordé à un tiers, sauf si un tel droit est nécessaire à l'exercice d'une mission de service public.
Le droit d'exclusivité accordé par la Bnf aux sociétés ProQuest, Believe Digital et Memnon Archiving Services est-il "nécesssaire à l'exercice d'une mission de service public" ? Rien n'est moins sûr. Le PPP n'implique-t-il pas au contraire un dévoiement des missions premières de la Bnf en matière de mise à disposition du domaine public ?
Pour conclure, revenons maintenant aux journées Couperin du 24 et du 25 janvier. Les accords signés par la BnF, en restreignant pendant 10 ans la consultation des oeuvres sous leur forme numérisée dans les emprises de la BnF, constitueront un frein à l'essor de la recherche académique, principalement dans le domaine des Digital Humanities. Sachant par ailleurs que le consortium Couperin, la CPU, la CGE, la CDEFI, et le CNRS ont maintes fois affirmé leur attachement au développement de l'Open Access, on ne voit pas comment ces instances pourront faire l'économie d'un débat et d'une prise de position publique à propos des accords. Et on les imagine difficilement exprimer un avis positif, sauf à courir le risque de se trouver dans une posture assez inconfortable de grand écart...
Par Cécile Mazin
Contact : cecilem@actualitte.com
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