BookBanUSA — Après plusieurs années de retraits et censures de livres en série, aux États-Unis, les militants des droits humains et des libertés civiques ont de quoi être fatigués. Mais les ressources ne manquent pas : Grace Linn, 101 ans, peut en témoigner. Se souvenant des autodafés de la Seconde Guerre mondiale, elle se mobilise à sa manière.
Le 16/01/2024 à 15:09 par Antoine Oury
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16/01/2024 à 15:09
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En mars 2023, le conseil scolaire du comté de Martin, en Floride, avait abordé la sensible question de la censure des livres jugés « obscènes » ou « dangereux pour les mineurs » au sein des bibliothèques scolaires. Une pratique devenue courante dans un certain nombre d'États, où des lois récentes permettent à des parents d'élèves de contester la présence de certains titres.
Parmi les œuvres visées, Genre Queer, de Maia Kobabe (traduction Anne-Charlotte Husson, Casterman), L'Œil le plus bleu de Toni Morrison (traduction Jean Guiloineau, 10/18), Le bleu ne va pas à tous les garçons de George M. Johnson (traduction Noémie Saint-Gal, De Saxus), ou encore 1984 de George Orwell (traduction Josée Kamoun, Gallimard) et Les Cerfs-volants de Kaboul de Khaled Hosseini (traduction Valérie Bourgeois, 10/18).
Ce jour-là, dans la salle, une certaine Grace Linn, alors âgée de tout juste 100 ans. « Je me fais du souci pour ma communauté et pour mon pays », commence-t-elle devant l'assemblée. « Je suis née l'année après le droit de vote accordé aux femmes. Mon premier mari est mort au combat pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est mort au nom de la liberté. La liberté est indispensable. »
Défendant le droit de lire de tous et toutes, mais surtout celui des plus jeunes, elle déploie alors une couverture cousue de ses propres mains, réalisée pour matérialiser son opposition radicale à la censure des livres.
« Une des libertés écrasées par les nazis fut celle de lire les livres qu'ils avaient jugé impropres à la lecture », rappela-t-elle également devant le conseil scolaire. « Brûler des livres et censurer des livres, c'est la même chose, car tous deux ont la même cause. La peur du savoir et de la connaissance. »
Depuis cette intervention très marquante, la couverture de Grace Linn, qui laisse voir différents livres censurés aux États-Unis ces dernières années, mais aussi un drapeau LGBTQIA+ ou une colombe de la paix, est devenue un véritable symbole de la lutte.
Grace Linn elle-même s'est aussi retrouvée sous les projecteurs, presque malgré elle. Les demandes de témoignages se sont multipliées, et la militante de répondre, le plus simplement du monde : « Les livres sont faits pour être lus — si on le souhaite —, mis en avant et protégés, ils ne doivent pas être craints ou mis à l'écart. »
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Invitée dans des clubs de lecture, tandis que son discours faisait le tour des plateaux de télévision, Grace Linn fait aussi partie des intervenants du documentaire de Sheila Nevins, The ABCs of Book Banning, qui revient sur les censures d'ouvrages, notamment en Floride.
Tandis que les actions en justice se multiplient contre les lois facilitant la censure et les États qui les ont mises en place, Grace Linn assure qu'elle poursuivra son combat en faveur de la liberté de lire. « Une pancarte fait l'affaire le temps d'une manifestation, une couverture dure bien plus longtemps », garantit-elle à PEN America.
Photographie : Grace Linn et son linge de lit contre la censure (PEN America)
DOSSIER - Aux États-Unis, une inquiétante vague de censure de livres
3 Commentaires
Aurelien Terrassier
16/01/2024 à 15:51
Bravo à Grace Linn pour son combat courageux pour la liberté d'expression via sa passion pour la couture contre les forces réactionnaires qui gouvernement la Floride, le Texas et le Tenessee et qui imposent une politique fascisante et insupportable.
Nadine Monfils
17/01/2024 à 04:34
Bravo à cette dame ! Il n’y a pas d’âge pour défendre et revendiquer la liberté ! Au nom de quel droit humain et moral ces capos de la culture imposent-ils la censure ? Que ce soit pour la jeunesse ou pour les adultes, le seul but est de nous laisser dans l’ignorance et de faire de nous des moutons incapables de décider par nous mêmes ce qui est bon ou pas pour nous. On interdit certaines lectures aux enfants… très bien ! Laissons les grandir dans l’ignorance au sein d’un monde que nous sommes en train de détruire allègrement. Les fleurs du mal de Baudelaire, le château de cène de Bernard Noël furent censurés - entre autres- chefs d’oeuvres. Un livre qui laisse des traces de pas dans la neige est dangereux pour les manipulateurs qui nous gouvernent.
Marie
17/01/2024 à 08:51
Chapeau, Madame!