L’inflation battait la campagne dans l’Hexagone quand la loi Darcos fut pleinement mise en application : entrée en vigueur en avril dernier, elle imposerait un tarif fixe de 3 € de frais de port pour les livres achetés en ligne. Amazon perdait la bataille, étant désormais contrainte à gagner plus d’argent : en librairie, on criait victoire, sans imaginer avoir à porter le fer contre... le Père Noël...
Le 28/11/2023 à 15:20 par Nicolas Gary
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28/11/2023 à 15:20
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Dans la nuit du 24 au 25 décembre, le plus célèbre joufflu des barbus parcourra en un temps record la planète — les réticences du Guinness n’y changent rien. Sa mission : apporter des cadeaux aux enfants sages. Casanier, le Père Noël n’a jamais quitté sa ville natale, Rovaniemi (Finlande) : il y installa ses usines de fabrication et entrepôts, bénéficiant d’un statut de Zone de Revitalisation Rurale (ZRR) propice au développement de son activité.
Helsinki regrette désormais son entrée en janvier 1995 dans l’Union européenne : le tourisme lié au Père Noël attire quelque 600.000 visiteurs dans le Grand Nord finlandais, mais l’affaire C-666/007, Laponie contre Equitéclat, du 28 avril 2023 ébranle les fondements de cette manne : « La ville tient là une affaire juteuse : une renne aux oeufs d'or », assure-t-on à la mairie rovaniemicale, depuis devenue hostile.
Monsieur Equitéclat, compte parmi les salariés-lutins de l'association Babbo Natale – référence aux origines italiennes de son fondateur. Voilà des années qu'il se débat pour créer un syndicat et instaurer un forfait d’heures annuelles limité, garantissant des maxima d’heures travaillées pour le dernier trimestre.
Le Père Noël et la Finlande ont longtemps opposé à Equitéclat le statut de ZRR : le pays l'avait accueilli suite au départ fracassant de l’État du Vatican. Au coeur de ce désaccord, la bulle papale de Pie IX, lors de Vatican I, du 8 décembre 1869 au 20 octobre 1870. Le texte définissait, entre autres, l'infaillibilité pontificale. « Concile œcuménique ton Immaculée conception ! » Cette réponse de celui qui à l'époque s'appelait Saint Nicolas devint célèbre : pour défier Infaillibilité pontificale, dans un ultime sacrilège, il se rebaptisa alors Le Père Noël. Ces péripéties nous amèneraient trop loin.
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La Cour de Justice de l'Union Européenne a statué en faveur du plaignant Equitéclat : la décision impliquait par ailleurs le Père Noël se conformerait dorénavant aux lois des pays traversés lors de sa tournée. La Finlande, en tant que destination de cette tournée, autorise donc Monsieur Equitéclat à appliquer la convention collective des « magasiniers quais » d'Amazon en Finlande. Premier coup dur pour son employeur.
Maintenant, c'est au puissant Syndicat Librettistes Français (SLF) de recourir à cette récente jurisprudence pour chahuter le vieux bonhomme. Le SLF estime que l'arrêté du 4 avril 2023, fixant le montant minimal de tarification du service de livraison du livre, s'applique in iure aux livres déposés par voie de cheminée ou de radiateur électrique, durant la tournée effectuée du 24 au 25 décembre.
« Qu'ils soient sages ou non, les enfants bénéficient d'une livraison à domicile, opérée à titre gracieux, quand la législation contraint à payer 3 euros pour l'acheminement d'ouvrages – en deçà de 35 € de commande. Et qu'importe que ladite progéniture n'ait pas acheté à proprement parler les documents : cette livraison gratuite caractérise l'impunité dont croit jouir le Père Noël », assure le SLF dans un communiqué.
De fait, la loi du 30 décembre 2021 stipule clairement que « le service de livraison du livre ne peut en aucun cas, que ce soit directement ou indirectement, être proposé par le détaillant à titre gratuit, sauf si le livre est retiré dans un commerce de vente au détail de livres ». Me Pipeau, avocat du syndicat des librettistes, le rappelle : « Cette disposition vise à protéger les librairies indépendantes et à maintenir un réseau dense de détaillants, en évitant une concurrence déloyale. »
Le Père Noël, dans sa distribution annuelle de cadeaux, inclut souvent des oeuvres de l'esprit qu'il délivre gratuitement aux enfants du monde entier. Cette pratique, bien que louable dans son intention, enfreindrait donc le texte : en tant qu'acteur économique, il ne répondrait pas aux exigences légales. « Il est tentant d'arguer que le Père Noël, en tant que figure mythique, échappe aux contraintes du droit commercial et de la régulation économique », soulève Me Pipeau. « En ne se conformant pas au montant minimal de tarification fixé, il déstabilise le marché du livre. »
Le Père Noël a confié la défense de ses intérêts à Maître Lucie Fern, du cabinet FERN et BRANCA, déjà interviewée dans notre journal à l’occasion de l’affaire opposant le syndicat des démons aux exorcistes du Vatican. Elle a ainsi permis une victoire des démons en se basant sur l’article 2276 du Code civil stipulant que « en fait de meuble, possession vaut titre ».
« Mon client incarne une figure culturelle, mais ne se situe pas au-delà des réalités économiques », assure l'avocate. « La tournée du 24 décembre s’inscrit dans une tradition, et à ce titre, établit un ensemble de pratiques et d’usages communs, qui constituent une source de droit : la règle coutumière a pouvoir de suppléer la loi — tant qu’elle ne va pas à l’encontre d’un texte », pointe Me Fern.
« Or, le don manuel, qu’interdit par exemple l’article 921 du Code civil, est autorisé de par la coutume. Mais le Code général des impôts, en son article 757, qualifie le don manuel comme autorisé dès lors qu'il représente un cadeau, intervenant lors d'événements spécifiques. Le SLF veut-il tuer Noël ? »
En outre, le code APE du Père Noël est le 9999Z - "Plaisir d'offrir, joie de recevoir". La distribution de livres devient une activité purement annexe et ne saurait alors être assimilée à celle d'un libraire, dont l’objet social diffère radicalement. En outre, les frais de 3 € ne s'appliquent qu'aux commandes de livres neufs d'une valeur inférieure à 35 € TTC. « La période de Noël est précisément celle où un foyer mutualise ses emplettes. Ainsi, même si le SNL prouvait une faute au regard du droit de la concurrence, le préjudice serait forcément dérisoire. Et nous attendons toujours les preuves démontrant la véracité de leurs assertions. »
Enfin, et jusqu’à preuve du contraire, les livraisons réalisées lors de la tournée s’effectuent sans but lucratif ni contrepartie marchandée — l’une des conditions qu’invoque l’article 6 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur. « Il ne nous est pas possible de rendre publics les accords passés avec les éditeurs — compte tenu de leur nature unique et du secret des affaires. Mais mon client respecte bien évidemment les lois sur le droit d’auteur, en distribuant des livres acquis légalement », poursuit l’avocate.
Elle conclut que le SNL tente simplement de capter anticipativement les clients déçus des lectures qu'ils découvriraient au matin du 25 décembre, pour les inciter à commander directement via les sites de ses membres. « Ne confondons pas folklore et politique : l’un se nourrit de légendes, l’autre de mensonges », tranche Me Lucie Fern.
Resterait alors à définir comment se finance toute cette logistique : voilà plusieurs années que les liens entre une marque de soda et le Père Noël ont été établis. Ce dernier avait reconnu « la signature d'un contrat, en tant qu'influenceur », par lequel il est tenu de conserver la même tenue rouge et blanche, en privé comme en public.
Illustration réalisée avec l'intelligence artificielle DALL·E.
7 Commentaires
Grim
28/11/2023 à 19:27
On peut savoir à quoi sert de parler de la lutte des auteurs contre l'IA si c'est pour que vous illustriez vos papiers avec Dall-E ? Vous avez oublié que les illustrateurs se faisaient voler leur travail eux aussi ?
Nicolas Gary - ActuaLitté
29/11/2023 à 09:31
Bonjour
Je vous remercie de cette intervention et prends acte que le sujet ne vous a donc pas intéressé pour autre chose que l'illustration. Dommage, je m'étais donné du mal.
Pour l'instant, sauf erreur de ma part, l'utilisation des modèles de langage n'est pas interdite, n'a pas encore fait l'objet de sanctions : les utiliser n'est donc passible que de commentaires virulents.
Nous produisons suffisamment d'articles sur ces sujets pour être au courant de la situation et souhaiter que les créateurs ne soient pas perdants.
Maintenant, une nuance est à apporter, et de taille : c'est la première fois que nous nous servons d'une image d'IA pour un article (donc pas “vos papiers”, juste un seul). Et elle nous a semblé amusante avec ses défauts et ses points grossiers.
De la modération, donc, avant de monter au créneau.
Dominique Ehrhard
29/11/2023 à 08:38
Des rennes siamois, d'autres à 6 pattes et demie, un cigare en lévitation...non seulement l'image est hideuse mais l'utilisation de l'AI pour illustrer un article est une injure lorsqu'elle provient d'un site qui prétend défendre les droits des autrices et auteurs, illustratrices et illustrateurs...
Nicolas Gary - ActuaLitté
29/11/2023 à 09:32
Cher Dominique Ehrhard,
Je vous renverrai à la réponse formulée ci-dessus pour toutes ces observations finement vues, et qui nous, nous ont amusé – le beau, l'universel sans concept : merci d'avoir partagé ici votre conception personnelle et votre vision esthétique.
Marianne L.
29/11/2023 à 11:54
Oh la la, les gars, y'en a qui s'éclatent à écrire leurs articles ... j'étais morte de rire en le lisant, j'aime tout particulièrement l'avocate Lucie Fern (je la garde celle-là) ...
Bon, vous m'avez légèrement perdue en route avec l'histoire du Vatican, mais j'ai réussi à raccrocher les wagons !
Continuez de bien vous amuser, mais gare à l'usage de substances illicites pendant la rédaction d'articles, ça va finir par se voir ...
Cordialement !
Actualisant
29/11/2023 à 18:08
Alors, à mes yeux le passage Vatican n'était pas nécessaire : cet texte était déjà suffisamment foufou en l'état.
Cependant, j'avoue que votre avocate me plait bien, et qu'elle manipule intelligemment les concepts et articles pour analyser vos sujets hors cadres.
Ce qui est surtout rafraîchissant, c'est de vous voir prendre le temps de pareils papiers, qui reposent l'esprit, font oublier un instant les turpitudes concentrationnistes actuelles et, oserai-je, font sourire.
Merci donc.
pour Dall•e, personnellement, je m'en moque, l'illustration est hideuse non pas esthétiquement, mais dans ce qu'elle véhicule comme image. Et une image d'IA pour illustrer un sujet de concurrence déloyale, ça ressemblerait presque à un pied de nez...
Sans vous prêter trop d'intentions, j'entends.
Kristine
30/11/2023 à 10:03
bon ben merci ! j'ai bien rigolé... et meme j'y ai cru un instant... apres tout personne n'a jamais prouvé que la distribution du Pere Noel était fausse, juste que c'etait compliqué à realiser.