Alors que la plus païenne des fêtes commerciales (ou inversement) peuple les devantures de citrouilles et d’évocations lugubroranges, Halloween sonnera le dernier jour du Mois de l’Imaginaire. Eh oui. Octobre, période désormais consacrée à ces mauvais genres méritait bien un coup de chapeau, avec ou sans tête. Avec une évidente Sympathy for the Devil, ActuaLitté rend justice à ces créatures mal-aimées que sont… les démons…
Le 30/10/2023 à 11:46 par Nicolas Gary
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30/10/2023 à 11:46
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Êtres surnaturels, accusés de tourmenter les humains, le démon relève de la catégorie ange déchu, intrinsèquement liée au monde du livre. Dans la mythologie juive, on l’appelle dibbouk, et inutile de le souligner : 10 boucs, hein ? C'est énorme ! Pour contenir leur dimension malfaisante, on les enferme dans des objets (armoire, placard), avec interdiction d’ouvrir sous peine de mauvais œil.
En somme, le démon est une créature en quête d’un habitat, tel le Bernard-l’hermite qui protège sa partie faible en l’abritant dans une coquille. Un modèle à suivre pour les autrices et auteurs, qui, en qualité de partie faible d’un contrat, auraient bien souvent besoin d’une carapace.
On l’ignore, mais le législateur accorde une place aux démons via le Code civil : l’article 2276 en fait explicitement état : « En fait de meubles, la possession vaut titre. » Mais tremblant comme à chaque fois, ce même législateur a introduit une nuance permettant de ne pas léser un propriétaire dépossédé.
« Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. »
La possession, faculté propre au démon, fut régulièrement interrogée par la littérature — le plus documenté et fulgurant des exemples demeure l’ouvrage du romancier William Peter Blatty, L’Exorciste. Paru en 1971, il donna lieu au film de William Friedkin en 73 et Robert Laffont le publie dans une traduction de Jacqueline Remillet et Pierre Guglielmina. Alors certes, le démon possédant se montre parfois vulgaire, mais cette dérive linguistique le prive-t-elle de droit pour autant ? Pas d'accord...
Actu-alité (comme toute victime possédée) entend défendre aujourd’hui les démons qui, privés de tout syndicat représentatif, peinent aujourd’hui à comprendre leurs droits, tant les usages tendent à leur faire croire depuis quelques siècles qu’ils n’en ont plus aucun. La question est donc de savoir dans quelle mesure ils pourraient revendiquer les dispositions de l’article 2276 du Code civil. Pour ce faire, nous avons sollicité Maître Lucie Fern du cabinet FERN&BRANCA, spécialisé en la matière.
Nul doute que le critère de « possession » exigé par cet article soit facilement rempli. Il est inhérent à la condition même des démons. Un bien quelconque touché par un démon remplit de jure la condition de bien possédé. La question est en revanche de savoir sur quels genres de meubles, dont la possession est ainsi constatée, les démons pourraient faire valoir leur titre de propriété.
On le comprendra immédiatement, cette disposition prive les démons de toute possession immobilière. C’est une des raisons qui les a conduits à faire modifier en profondeur l’ISF, qui taxe désormais plus fortement les contribuables fonciers, que ceux ayant choisis de diversifier leur fortune par des biens meubles comme des actions.
Nul besoin de trop développer cet aspect. Il est aisément constatable que les principales fortunes françaises sont aujourd’hui toutes influencées par des démons, ayant brillamment réussi à faire de l’égoïsme et de la cupidité la valeur refuge censée protéger les êtres humains de toute guerre, la libre circulation des biens et services assurant à elle seule le rempart contre toute barbarie trop visible.
Mais pour autant, nos démons ne sont jamais à l’abri d’un héritier inconsidéré qui chercherait à dilapider rapidement toute la fortune qu’ils ont aidé leurs aïeux à acquérir, dans des œuvres humanitaires. Il paraît donc essentiel de comprendre dans quelle mesure les démons pourraient également revendiquer une possession sur l’âme des actionnaires qu’ils savent si bien soudoyer de leur vivant, et par extension sur l’âme de leurs héritiers.
L’article 527 du Code civil nous apprend que « les biens sont meubles par leur nature ou par la détermination de la loi ». Aucune disposition particulière n’étant prévue dans la loi au sujet de l’âme des actionnaires et de leurs héritiers, c’est leur nature qu’il convient d’interroger. Pour cela, l’article 528 nous indique que « sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre ».
Nul doute qu’un corps puisse être considéré comme transportable d’un lieu à l’autre, et que par conséquent l’âme, via la théorie de l’incorporation, soit également considérée comme transportable du temps au moins du vivant de la personne. Selon certain, cette interprétation se heurterait à diverses dispositions d’ordre public discriminantes qui tendent à exclure toute qualification de meuble à un corps humain. Ne hurlons pas avec les loups.
Concernant la possession de l’âme des héritiers, il nous semble toutefois mettre une limite à la durée de possession des démons. La possession ne saurait permettre la création d’un monopole indu pour des démons devenus fainéants, dont la rente de situation les conduirait petit à petit à plus de mansuétude à l’égard de leurs possédés. En conséquence, il nous semblerait utile de caler la durée de possession des démons sur l’âme des défunts et de leurs héritiers à une durée de 70 ans à compter de leur mort. À l’instar du droit d’auteur, cela créerait une balance entre les intérêts des vieux et des jeunes démons, et assurera au climat de malsaine concurrence que tout démon est en droit de revendiquer.
La question est donc de savoir si, compte tenu de la théorie de l’incorporation, ces dispositions font également obstacle à la possession de l’âme. Heureusement pour les démons, il nous semble qu’il puisse être fait ici appel à la loi de 1905, qui implique, à l’instar des diverses rémunérations dues aux auteurs, une stricte séparation entre ce qui relève du Code civil et ce qui relève d’un droit immatériel sur l’âme.
Dans ces conditions, il nous semble tout à fait envisageable de séparer l’âme du corps, et de pouvoir constater que l’âme est aisément transportable au gré des fantasmes des individus, et peut donc parfaitement être possédée.
Afin d’éviter que nos détracteurs nous accusent d’occulter les enjeux sous-jacents de ces analyses et dans un effort de démystification, il importe d’aborder les dérives connues. Ainsi, un exorciste est-il fondé en droit à pratiquer un rite de dépossession, dès lors qu’il respecte le délai maximal de trois ans ? Et comme l’indique le Code civil, « sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient » : quels recours existent alors pour un démon chassé indûment ?
Nous renverrons ici à la lettre du 29 septembre 1985 du cardinal Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, qui rappelait fort justement les termes du canon 1172 du Code de Droit canonique.
« Personne ne peut légitimement prononcer des exorcismes sur des possédés s’il n’a pas obtenu de l’Ordinaire du lieu une permission particulière et expresse (par. 1), et détermine que cette permission ne doit être accordée par l’Ordinaire du lieu qu’à un prêtre qui se distingue par sa piété, sa science, sa prudence et l’intégrité de sa vie (par. 2). »
Nous conseillons ainsi à tout démon qui se verrait voir pratiquer un exorcisme en dehors de cette procédure de se faire assister par un Commissaire de justice afin de constater les manquements constatés, et demander sa réintégration ultérieure dans le corps. Pour une liste de Commissaire de justice, il convient de se présenter à l’accueil du ministère de la Culture qui dispose de nombreux noms liés à la multiplication des constats effectués par les organisations d’auteur.
Nous renverrons à la jurisprudence concernant les autres problématiques soulevées notamment par l'Évangile de Matthieu (17,21) : « Il est des démons qu’on ne peut chasser que par le jeûne et la prière. » De fait, ces méthodes relèveraient de l'expropriation abusive, sauf à ce qu'elles respectent bien la règle des trois ans.
Un autre point, plus délicat, nécessitera un examen scrupuleux, à la lecture de l'Évangile de Marc 5,8-9 : « Car Jésus lui disait: Sors de cet homme, esprit impur ! / Et, il lui demanda: Quel est ton nom? Légion est mon nom, lui répondit-il, car nous sommes nombreux. » Dès lors, se pose en effet une interrogation plus vaste : plusieurs démons sont-ils fondés en droit à simultanément revendiquer un titre en cas de possession ?
Quant à ceux qui douteraient que la question de la possession démoniaque n'ait rien à voir avec l'industrie du livre, nous leur soumettrons la lecture de cet article tiré d'un contrat d'édition – certes, américain, mais néanmoins – pour les assurer du bien- fondé de notre réflexion.
Crédits photo : The Exorcist, 1973
Paru le 21/10/2021
543 pages
Robert Laffont
13,00 €
Paru le 04/05/2023
265 pages
Presses du Châtelet
21,00 €
Paru le 23/05/2023
375 pages
Salvator
9,90 €
11 Commentaires
jujube
31/10/2023 à 04:43
J'aime beaucoup votre style: je vais vous coopié.
Astaroth
31/10/2023 à 07:31
Z'avez de la chance que je sois de bonne humeur, mes loustics, parce qu'un autre jour que celui-ci je vous aurais fait voir de quelle possession je me chauffe.
Mais finalement j'ai bien ri à vos âneries.
Je vous promets un accueil personnalisé quand vous irez en enfer.
Car vous irez.
N'ayez aucun doute là dessus.
Azazel
31/10/2023 à 07:42
En tant qu'inventeur originel des réseaux sociaux – je vous rappelle que chaque année, on me sacrifie en plein désert un bouc, d'où le nom qu'a choisi Marc, de Facebouc – je trouve votre initiative éminemment louable.
Merci de nous rendre justice à travers ces propos pleins de bon sens. Et comme le dit pas mon collègue Astaroth, sachez que nous ne prendrons aucun plaisir à vous faire expier vos péchés une fois arrivés chez nous.
Mais que voulez-vous, nous ne faisons pas les règles...
Actualisant
31/10/2023 à 07:44
Je dois avouer que je n'avais jamais envisagé de comparer un Bernard-l'hermite à un démon. Mais maintenant que j'y pense, ils ont tous les deux cette tendance à squatter des endroits qui ne leur appartiennent pas.
Coïncidence ?
Je ne pense pas...
Syndicat des Démons Démunis (qui t'emportent au bout de la nuit)
31/10/2023 à 09:30
Nous sommes de pauvres créatures incomprises.
Nos revendications tiennent en quelques mots : un peu de reconnaissance légale.
Après tout, pourquoi les anges auraient-ils tous les avantages ?
Les démons ont aussi des sentiments, vous savez.
Légion de lecteurs
31/10/2023 à 08:04
Ah, la belle époque où l'on se préoccupait des problèmes concrets comme le changement climatique ou la faim dans le monde. Mais aujourd'hui, nous avons enfin mis le doigt sur le vrai problème : les droits des démons.
J'ai toujours pensé que les démons étaient lésés en matière de droits immobiliers. Heureusement, le Code civil est là pour rétablir la justice : Qui aurait cru que cet héritage napoléonien aurait des réponses à ces questions brûlantes ?
Bravo pour cet éclairage indispensable.
Marie
31/10/2023 à 09:00
Depuis quelques années sévit cette horrifique tradition qui a pour ,nom "Halloween" et qui nous vient bien sûr des Yankees. J'avoue ignorer pourquoi elle perdure, tant elle est laide -j 'eusse préféré la couleur Orange des Nassau, à tout prendre...-Il est vrai que la laideur est devenue commune, tant et si bien qu'elle s'est mise à "inspirer" des scribouillards. Mais je ne mets pas l'article de ActuaLitté dans le lot!
Nicolas Gary - ActuaLitté
31/10/2023 à 09:29
Merci Marie.
Evidemment, nous pourrions être accusés de Marronnier grossier, mais j'espérais avec ce sujet apporter quelque chose d'inédit et d'insolite (osons : peut-être même d'amusant).
Mais tout le mérite revient à Me Lucie Fern, pour son soutien inconditionnel, contractuellement signé avec mon sang :-)
Nicolas
Marie
31/10/2023 à 16:51
...bon sang ne saurait mentir...Rions heureux en attendant?...
jujube
31/10/2023 à 17:33
J'espère, cher Nicolas, qu'il vous reste un peu de sang.
Voyez-vous, tous les mercredis, je me livre à un divertissement contre lequel je ne puis rien, hélas, et cela depuis nourrisson. Je suis vampire spécialisé en AB négatif, mais, à défaut, je m'abreuve aussi du menu fretin - en O.
J'aurai le plaisir de vous rendre visite demain (quand les démons se retireront, fourbus et dégoutés des citrouilles) pour vous démontrer mes talents. (Ayez l'obligeance de me rappeler le numéro d'ActuaLitté, rue de Rivoli; merci de tout coeur).
J'espère retrouver dans vos veines un quelconque sang négatif appétissant. Donc, aujourd'hui, abstenez-vous de consommer de l'ail. Si, malheureusement, vous êtes un lamentable positif, pas de problème: ou vous trucidez un badaud qui ne l'est pas, ou vous achetez un litre de sang adéquat à l'hôpital le plus proche.
Après l'office, nous irons visiter les enfers qui ne travaillent qu'au gaz.
Le programme vous plait?
Bien à vous, que je vois aussi cuit aux trois quart, ou sanglant, en cas de panne.
Nicolas Gary - ActuaLitté
31/10/2023 à 18:17
Cher Jujube
Soyez assuré (avec une solide complémentaire) que j'aurais eu plaisir à débattre avec vous, mon côté cabot, ou canin – voire canine – au 49 de la rue de Rivoli, mais j'héberge l'Amicale de Lupus Repenti, qui bien qu'essentiellement vegans, garde une dent contre votre espèce. Le Loup-garou à l'Adam dure, pour ne pas dire le sang chaud (Panza, cela va sans dire).
Aussi pourrions-nous postponer, comme le disent nos voisins d'outre-Quiévrain, ce qui me permettra, A+ indécrottable que je suis, de vous offrir un rafraîchissement digne de votre venue.
Avec toutes mes amitiés, et désolé de vous savoir avec la dent creuse.
Nicolas