Lewis et Irène

Paul Morand

Paul Morand est certainement un des stylistes les plus importants du XXe siècle - alliage de prose musicale et d’un fin sens de l’observation. À l’époque de la force de l’âge, les années 20-30 pour l’écrivain, il fut un grand moderne, annonçant de son approche intuitive les mutations sociétales, technologiques et culturelles du futur. 

Il était encore celui qui faisait voyager les bourgeois dans ces années où en général, seuls les originaux bougeaient de leur bled, qui pouvait être Paris, grâce notamment à ses considérables et sans prétention recueils de nouvelles : Ouvert la nuit, Fermé la nuit, L’Europe galante, Bouddha vivant, Magie noire, Champions du Monde… Les années 20, il publie son premier roman, pas long, comme toutes ses œuvres, Lewis et Irène.

Jeune financier que les cours de la Bourse préoccupent plus que les femmes, Lewis tombe amoureux d’Irène - de la famille Apostolatos, riches banquiers de Trieste. Que deviendra l’amour entre ces deux requins qui, tout en se caressant, se disputent les mines de San Lucido, en Sicile ? 

Aisance financière, et c’est bien de finance dont il est question, autant que d’amour. La finesse de l’écrivain qui dépensa beaucoup d’argent par goût de la pauvreté : l’amour appartient entièrement à la problématique de l’offre et la demande : combien tu m’aimes est l’interrogation la plus censée d’une relation. Réalité de base posée, sur laquelle peut ensuite se déployer l’amour et ses complexités infinies : « Dans les ondulations d’une vague dans l’eau, les rochers sous-jacents. »

Morand, avec sa plume évocatrice entre Paris, la Dolce Vita sicilienne et l’âpre paradis grec, capture les nuances de cette relation. C’est enfin l’Occident (« La citoyenneté en France, c’est l’Impôt »), face à l’Orient (« Je suis une Grecque, et pour moi toute rêverie, toute pensée doit prendre forme »), qui s’appréhendent, se fascinent, se reniflent, se méprennent.

Une phrase de l’auteur qui n’est pas du roman, mais qui le contient dans sa totalité : « Le plus beau voyage d’ici-bas, c’est celui qu’on fait l’un vers l’autre. » Et une philosophie : « Être léger et inconstant. »

En bonus, quelques formules de Lewis et Irène, pour le plaisir : « L’oisiveté est la mère de tous les vices mais le vice est le père de tous les arts. » « Il croyait que l’élégance est le privilège exclusif des natures corrompues. » « Lorsque nous vivons très près de quelqu’un, un être plus subtil que notre conscience nous renseigne sur lui, et nos actes, alors qu’ils nous paraissent inexplicables, sont la conséquence d’une occulte logique. » « Dans le doute, abstiens-toi de te servir de ta raison. » « Il sacrifiait la profondeur à l’étendue. »

 

Une michronique de
Hocine Bouhadjera

Publiée le
21/08/2023 à 13:18

2 Commentaires

 

Marc Acquillon

23/08/2023 à 20:20

"Paul Morand est certainement un des stylistes les plus importants du XXe siècle"

C'est avant tout un antisémite et collabo de premier ordre.

LOL la littérature

Marie

25/08/2023 à 10:09

Entièrement d'accord, "styliste très important" et merci, je commande cette oeuvre méconnue.

Lewis et Irène

Paul Morand

Paru le 16/02/2011

156 pages

Grasset & Fasquelle

9,50 €