#PrixdesDeuxMagots2023 – Antoine Blondin, la mystérieuse Pauline Réage, Geneviève Dormann, Bernard Frank, Jean-Jacques Pauvert, Raymond Abellio, François Bizot... Des noms qui disent plus ou moins quelque chose aux jeunes générations. Ce que partagent ces auteurs divers : une belle singularité et avoir remporté le Prix des Deux Magots. En revenant sur l'histoire de son palmarès, cette promotion de la noble déraison en littérature saute aux yeux...
Le 25/07/2023 à 12:23 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
25/07/2023 à 12:23
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Pauline Réage n’existe pas, ce qui ne l’a pas empêchée de remporter le prix de l’historique café de Saint-Germain-des-Prés en 1955, soit 20 ans avant qu’Émile Ajar n’obtienne le Prix Goncourt...
Derrière ce nom de Pauline Réage, et ce roman à scandale, un canular du couple Dominique Aury et Jean Paulhan de la Nouvelle Revue française (NRF). Celle dont le véritable nom est Anne Desclos a révélé être l’auteure de ce texte sulfureux, Histoire d'O, édité par Jean-Jacques Pauvert, en 1994 seulement.
Aujourd’hui considérée comme une œuvre majeure de la littérature érotique, elle raconte l’entrée en sadomasochisme de la Parisienne O, par son amant René. Cette dernière est amenée à un château où elle est conditionnée à devenir soumise à tous les désirs sexuels de ceux qui l’habitent. Variété de pratiques charnelles, toutes centrées autour de la domination. Une des grandes idées de l’ouvrage, reprise par Emma Becker : la soumission peut être une forme de pouvoir.
On comprend aisément l’audace qu’il aura fallu au Prix des Deux Magots, en 1955, pour choisir ce texte critiqué par certains pour sa représentation de la femme en tant qu’objet sexuel et son caractère explicite, et loué pour son style, ainsi que pour sa mise en scène sans tabou de la sexualité féminine, par d’autres. Dominique Aury raconte avoir écrit Histoire d’O en partie comme une lettre d’amour à son amant, Jean Paulhan, grand admirateur du Marquis de Sade, comme l’éditeur du titre.
Il confessa enfin avoir pensé ce livre comme une forme de provocation à l’égard des hommes, en démontrant qu’un membre de l’ancien sexe faible pouvait écrire un récit érotique aussi choquant et puissant qu’un représentant de la gent masculine. Pari réussi.
Dès le premier lauréat de la récompense littéraire du café des surréalistes, un certain Raymond Queneau, en 1933, le ton était donné : répondre au Goncourt attribué à André Malraux de Gallimard, jugé trop conventionnel. L’ironie du sort, quelques années plus tard, celui qui a été exclu du groupe mené par André Breton entre en 1938 dans la maison qui publie Louis Aragon. Il y devient lecteur, traducteur, avant d’intégrer dans le comité de lecture et d’être nommé directeur d’une collection de la Bibliothèque de la Pléiade en 1956, un an après que « Pauline Réage » soit couronnée du Prix des Deux Magots.
Le lauréat 1965, Fernand Pouillon, est un cas qui reflète singulièrement cette quête de la différence, pourvu qu’elle soit splendide. L’ouvrage récompensé, Les Pierres sauvages, est le seul roman de son auteur, un des architectes et urbanistes français les plus importants de l’après-guerre. Ce texte, il l’a rédigé en prison après des accusations de faux bilan, détournement de fonds et abus de biens sociaux...
En cavale un certain temps, il est finalement condamné en 1963 à trois ans de prison, auxquels s’ajoute un mois pour une évasion en 1965... Des démêlées avec la justice qui n’empêchera par le président François Mitterrand, pas scandalisé par ce type de parcours bien au contraire, de le promouvoir officier de la Légion d’honneur en 1985.
Cet unique roman en forme de journal de bord raconte la construction de l’abbaye du Thoronet au XIIe siècle sous la supervision du moine cistercien Guillaume Balz. Un travail qui permet à l’auteur de proposer une réflexion sur l’architecture, et à travers cet art, sur la création.
« Le jury des Deux magots jouait le jeu de l’événement, de la surprise », résume le président actuel du prix, Étienne de Montety. Le sensationnalisme, mais aussi le flair : en 1950, c’est le premier roman d’un certain Antoine Blondin, L’Europe buissonnière, qui est récompensé par le jury de l’époque : « Un coup d’éclat » pour l’auteur de La douceur, avec son style inimitable et « la légèreté, l’humeur vagabonde » : « Que la première gratification littéraire de cet auteur soit le prix d’un café est tout sauf anodin, quand on sait à quel point il les fréquenta une bonne partie de sa vie. »
L’écrivain-chroniqueur du tour de France mélange ici récit de voyage, réflexion historique et méditation personnelle à travers un périple dans l’Europe de l’après-guerre. Lieux chargés d’événements et de personnages pittoresques, et marqués des conflits et transformations socio-politiques des jours d’avant. L’Europe belle, diverse et identitaire. Car oui, Antoine Blondin ne s’est jamais caché d’appartenir à la droite, comme ses camarades des Hussards.
Une appellation qui réunit le Prix des Deux Magots 1950, mais aussi Roger Nimier qui reçut la récompense littéraire, mais par procuration et d’outre-tombe, par l’entremise de l’essai d’Olivier Frébourg en 1990, Roger Nimier - Trafiquant d’insolence, le Prix de l’Académie française 1973 Michel Déon, et le Goncourt 1971, Jacques Laurent. Leur maître à tous, Paul Morand, est également dans les lauréats du Prix des Deux Magots par l’intermédiaire de Pauline Dreyfus et son Immortel, enfin.
C’est un autre récipiendaire du prix, Bernard Frank, à ne pas confondre avec l’orientaliste, pour Un siècle débordé, qui a associé ces écrivains assez différents mais du style et de droite, autour du terme de hussard, dans un esprit critique : « Une figure qui mérite d’être réhabilitée, ami de Sagan, personnage de la gauche, autant fasciné par toutes ces plumes de la droite philosophique qu’il les a pourfendus en tant critique littéraire et chroniqueur du Nouvel Observateur et des Temps modernes », décrit Étienne de Montety. Sa plume ? Mordante et subtile.
Un siècle débordé, primé par le café d’Apollinaire en 1961, est un essai autobiographique où le journaliste littéraire raconte entre autres sa jeunesse de juif durant l’Occupation, et finalement son XXe siècle, le tout sans se départir de l’ironie et la finesse qui le caractérise, malgré les drames qu’il dépeint.
La fin des années 60-début des années 70 du Prix des Deux Magots ressemblent à la société : libre jusqu’à l’excès, folklorique. On peut citer l’écrivain devenu auteur de bandes dessinées, Guy Mouminoux, dit Guy Sager, dit Dimitri, lauréat 1968 avec Le soldat oublié.
Dans cet ouvrage autobiographique, traduit dans une trentaine de langues, il raconte son adolescence dans la Wehrmacht, sur le front de l’Est... Deux ans plus tard, c’est le « complètement inclassable » peintre, dessinateur, écrivain, dramaturge, poète, chansonnier, cinéaste, acteur, photographe... Roland Topor, qui remporte le prix du café littéraire de Saint-Germain, pour Joko fête son anniversaire.
« Jusqu’où devra-t-on s’humilier pour travailler ? » Voici la question posée par l’oeuvre. Pacôme Thiellement, qui a préfacé une réédition du texte en 2016 par les éditions Wombat, analyse : « Joko est un roman, entre autres, sur les véritables raisons de l’exploitation des hommes : ni la nécessité structurelle, ni l’organisation sociale, ni les froides raisons économiques, ni même l’impression de supériorité d’une partie de la planète, mais le plaisir de faire souffrir d’autres hommes. Oui, seulement ça. »
Il y a « cette figure très sympathique du monde parisien, qui n’avait pas sa langue dans sa poche », décrit le Président du prix, en la personne de Geneviève Dormann, lauréate 1975. Liée à Roger Nimier jusqu’à sa mort en 1962, mariée à Jean-Loup Dabadie, une plume énergique dans les journaux, et ici à nouveau, caractéristique du Prix des Deux Magots : aucune récompense littéraire avant celle-ci, puis la tripotée de gratifications. C’est son sixième roman, Le Bateau du courrier, qui est distingué par le prix du café littéraire, avant le Grand prix du roman de l’Académie française en 1989.
Second exemple, parmi tant d’autres : Sébastien Japrisot, « auteur presque un peu méprisé, populaire », récompensé en 1978 pour L’Été meurtrier, avant l’interallié en 1991 pour Un long dimanche de fiançailles.
Deux lauréats s’enchaînant sur deux années, laissent songeur avec le recul : Roger Garaudy en 1980 et Raymond Abellio l’année suivante. Le premier, c’est d’abord « l’intellectuel communiste pur et dur », avant de basculer petit à petit vers le conservatisme sans nuance... C’est aussi un spécialiste des négations, d’abord des Goulags durant sa période communiste, avant de nier l’existence de la Shoah dans les années 90.
Celui a été décoré de la Croix de guerre et fut un ami de l’abbé Pierre, a reçu le Prix des Deux Magots pour son ouvrage le plus célèbre, avec le triste Mythes fondateurs de la politique israélienne de 1996, Appel aux vivants, paru en 1979. Cet essai rend compte de son virage écologiste, après avoir été exclu du PCF. Il y critique le fétichisme de la croissance, et plus généralement l’Occident et son rationalisme philosophique qui l’aurait éloigné de la nature.
Le lauréat suivant, Georges Soulès, dit Raymond Abellio, vaut également le détour : « Un personnage fascinant, étrange, dans l’ésotérisme, associé à la guerre », décrit le Président du Prix des Deux Magots. Membre actif de la collaboration avec le régime de Vichy, avant de prendre ses distances, c’est après-guerre qu’il publie ces romans et essais reflétant une quête gnostique, parmi lesquels des textes importants comme La fosse de Babel paru en 1962, ou La fin de l’ésotérisme de 1973. L’ouvrage plébiscité par le jury présidé par Jean-Paul Caracalla à l’époque est le troisième tome de ses mémoires, Sol Invictus, qui raconte la période 1939-1947, édité par Jean-Jacques Pauvert chez Ramsey.
Jean-Jacques Pauvert, nouveau personnage iconoclaste et inclassable, est lauréat du Prix des Deux Magots pour Sade vivant en 1991. Celui qui publia pour la première fois, intégralement et sans censure, l’œuvre du Marquis de Sade, au début des années 1950, revient ici à son sujet de prédilection avec une biographie du « divin marquis ». L’éditeur engagé pour la liberté d’expression, allant jusqu’à republier les Décombres de Lucien Rebatet, est formel : Sade est « l’un des cinq ou six génies universels de très grande dimension ».
On entre dans les années 90 du prix littéraire du café des existentialistes et d’Alfred Jarry. Un résumé : temps d’avance et toujours cet éclectisme : le roman d’un haut fonctionnaire, Bruno Racine, en 1992, Au péril de la mer, d’un poète ermite l’année suivant en la personne de Christian Bobin, passé d’une belle confidentialité dans la respectable maison Fata Morgana à Gallimard. La reconnaissance en forme de best-seller grâce à son texte d’extase douce sur François d’Assise, Le Très bas.
Plus tard, non le flamboyant Jean-François Bizot, mais l’orientaliste François Bizot, qui raconte sa captivité par les Khmers rouges au Cambodge, dans Le portail. « Un livre d’une force incroyable » pour Étienne de Montety, et une expérience pour l’anthropologue dont il ressort sans haine pour ses geôliers, mais au contraire de la compréhension et de l’empathie. À force d’étudier le bouddhisme, on en est forcément imprégné...
Le jury actuel du Prix des Deux Magots s’est réuni lundi 3 juillet afin de sélectionner les ouvrages en lice pour le 90e Prix des Deux Magots, avant une liste de finalistes le 4 septembre et l’annonce du lauréat le 25. Un choix sans le soutien de la « rumeur » : beaucoup de premiers romans, comme celui de Julie Héraclès, Vous ne connaissez rien de moi, édité chez JC Lattes, d’Amaury Barbet, Le Diplôme, publié chez Albin Michel, ou d’Éric Chacour, Ce que je sais de toi, édité chez Philippe Rey.
En tout 10 titres, avec des plumes plus expérimentées, comme un auteur qui rend bien hommage au palmarès bigarré de la récompense littéraire : Guy Boley. Maçon, ouvrier d’usine, chanteur des rues, cracheur de feu, acrobate, saltimbanque, directeur de cirque, funambule à grande hauteur, machiniste, scénariste, chauffeur de bus, garde du corps, père Noël et cascadeur, animateur d’ateliers d’écriture en milieu carcéral, prof de guitare et de cinéma, dramaturge pour des compagnies de danses et de théâtre, et finalement romancier. Personne n’est parfait...
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Traditionnellement attribué à la fin du mois de janvier, le prix sera désormais remis le dernier lundi de septembre, s’inscrivant comme le premier grand prix de la rentrée littéraire de l’automne, et réaffirmant son importance dans le paysage littéraire.
Crédits photo : Henri Philippon, Albert Simonin et Marcel Duhamel (debout) 1953 © Droits réservés - Archives Les Deux Magots.
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1 Commentaire
Gerardin Gilles
26/07/2023 à 12:48
"Les Pierres sauvages" a été adapté pour le théâtre à la fin des années 80 dans le cadre du festival "Théâtre et Musique" du Thoronet. Une déambulation nocturne dans l'abbaye, mystérieuse, insolite et profonde. Des pliants de camping étaient distribués à l'entrée aux spectateurs. Au repas qui a suivi, la dame qui tenait la buvette évoquait le souvenir de Pouillon prenant des notes assis au bord de la fontaine. Magique.