#PrixdesDeuxMagots2023 – Cette année, le Prix des Deux Magots fête ses 90 ans. Né le 7 décembre 1933, même jour que la remise du Goncourt à André Malraux pour La Condition humaine, il constitue l’une des plus anciennes récompenses littéraires : seulement 7 ans après le Renaudot. L’ambition première du prix : se faire une place entre l’intelligentsia officielle de l’époque et l’avant-garde surréaliste.
Le 17/05/2023 à 11:13 par Hocine Bouhadjera
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17/05/2023 à 11:13
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À l’occasion du 90e anniversaire du Prix Des Deux Magots, son président actuel, Étienne de Montety, tente un pari : basculer l’annonce du lauréat de janvier à septembre. Avec une conséquence : il précédera à présent tous les grands prix de la rentrée littéraire de l’automne.
« Le 90e anniversaire du Prix a été pour nous l’occasion de nous plonger dans son histoire et de nous rendre compte que les premières éditions avaient eu lieu en automne », explique Étienne de Montety, et d’ajouter : « Le pari d’être cette fois parmi les premiers à repérer les grands livres d’une rentrée littéraire nous plaît beaucoup. »
Un anniversaire qui offre l’opportunité de revenir sur la genèse et l’histoire de la prestigieuse récompense, quasi centenaire.
Attablés dans le café des débuts du surréalisme et de l’existentialisme, les Deux Magots, le journaliste et directeur d’une modeste revue littéraire, La Courte Paille, Henri Philippon, accompagné de la bibliothécaire de l’École des Beaux-Arts, Martyne Vitrac et du dramaturge et poète, Roger Vitrac, prennent une grande décision : fonder leur propre prix. La journée suffit pour réunir les treize premiers membres du jury.
Cette Cène au XXe siècle, constituée d’écrivains et journalistes amis, mettent chacun 100 francs au pot, pour une dotation de 1300 francs. En apprenant la création du prix dans la presse le lendemain, le propriétaire du Café des Deux Magots de l’époque, Auguste Boulay, décrète qu’il dotera lui-même la gratification littéraire. Depuis lors, chaque année, le Prix des Deux Magots est doté par la famille Boulay-Mathivat, à la tête de l’établissement depuis quatre générations.
Le premier lauréat est le jeune Raymond Queneau, pour son premier roman, Le Chiendent. Une décision qui rend compte de l’esprit du prix : récompenser un bâtisseur de formes, entre ambition artistique et non-conformisme.
Selon l’un des jurés actuels du Prix des Deux Magots, Pierre Kyria, « au choix de la célèbre académie, si institutionnalisée, si embourgeoisée, ils opposèrent celui de Raymond Queneau ; c’était prendre le parti de la libre fantaisie, de l’humour inventif et caustique, à l’opposé de ce que les sartriens appelleront plus tard “l’esprit de sérieux.” »
Trois présidents se sont, en 90 années, succédés à la tête du prix, en commençant par son fondateur Henri Philippon, qui resta en poste près de 40 ans, jusqu’en 1971. Il y impose sa patte : récompenser des personnalités singulières, voire fantasques, dont les œuvres sont à leur image, face aux choix « par trop académiques du Goncourt ».
Parmi ses plumes mécréantes, le grand styliste souvent alcoolisé, Antoine Blondin, retenu pour son Europe buissonnière de 1950, ou encore le parrain du « roman de truands à la française », Albert Simonin. Quelques mois avant la remise du prix, ce dernier joignait à son manuscrit une lettre des plus originales, afin d’attirer l’attention...
J’ai fini par mettre la pogne sur le bidule en question qui était planqué dans le fond d’une des fouilles de mon pardingue. Ce qui explique que mon papelard est un tantinet crado, mélangé qu’il était avec mes pipes et mon perlot et je m’en excuse. Pour les archives du prix des Deux-Chinetoques, c’est plutôt tocard et vous allez me prendre pour le dernier des caves.
– Albert Simonin, lauréat (1953)
Une « littérature hédoniste et audacieuse » qui correspond à l’histoire du café qui accueille dès le départ des artistes qui y débattaient, élaboraient le présent et le futur de l’art, et exprimaient leur jeunesse insolente... On se souviendra d’Alfred Jarry tirant un coup de pistolet sur l’un des miroirs du café, avant de se tourner vers sa voisine de table : « Maintenant que la glace est rompue, causons ! ».
38 ans de présidence pour Henri Philippon, et 36 avec celui qui lui succède, l’auteur et l’éditeur Jean-Paul Caracalla. Le Prix des Deux Magots se fixe désormais en priorité le rôle de dévoiler une littérature discrète mais inventive, et toujours « capable de s’éloigner des trames littéraires ressassées ». En résumé : défricher, révéler, et ce en toute indépendance.
De nombreux écrivains sont distingués par le Prix des Deux Magots avant d’obtenir d’autres récompenses significatives, comme Marc Dugain, lauréat en 1999 pour La Chambre des officiers, auréolé par la suite de près de vingt prix littéraires.
En 2015, le jury accorde ses voix à Serge Joncour, alors candidat malheureux aux grands prix d’automne. L’année suivante, l’auteur de L’écrivain national reçoit le Prix Interallié. En 2016, c'est le premier essai du jeune auteur Pierre Adrian, La Piste Pasolini, qui remporte le prix, avant que l'écrivain ne reçoive le prix François-Mauriac de l’Académie française.
Étienne de Montety également, couronné par le Grand Prix de l’Académie française en 2020 pour La grande épreuve, précédemment vainqueur du Prix des Deux Magots en 2014 pour La route du salut.
Le lauréat 2014 succède en 2018 à Jean-Paul Caracalla, avec une même ambition : repérer le talent, romancier ou essayiste, « qui vient d’éclore ou qui ne bénéficie pas de la reconnaissance qu’il mérite », sans désir de conformité ou d’approbation populaire. Et même de s’autoriser à dévier de cette ligne, car « tel est son bon plaisir ».
En 2022, le prix des Deux-Magots a accueilli trois nouveaux jurés, en les personnes de la comédienne et autrice de trois romans, Les Rêveurs (2018), Du côté des Indiens (2020), Le jeu des si (2022), Isabelle Carré. Le Prix Femina et Goncourt des lycéens 2021 pour S’adapter, Clara Dupont-Monod, et le Prix de Flore 2021 pour Le voyant d’Étampes, Abel Quentin, complètent le tableau.
« Une nouvelle génération arrive et c’est bien, car un lecteur de 30 ans n’a pas le même œil qu’un lecteur de 50 ans », confie Étienne de Montety. Et de continuer : « Clara Dupont-Monod, Abel Quentin et Isabelle Carré sont les radars littéraires d’aujourd’hui. Cela donne un jury vivant, bien dans son époque. »
Outre ces trois fraîchement jurés, le jury est actuellement composé de : Laurence Caracalla, journaliste et écrivaine ; Jean Chalon, journaliste et écrivain ; Jean-Luc Coatalem, journaliste et écrivain ; Éric Deschodt, journaliste et écrivain ; Pauline Dreyfus, écrivaine ; Benoît Duteurtre, producteur de radio et écrivain ; Pierre Kyria, écrivain ; Marianne Payot, journaliste.
Le prochain Prix des Deux Magots sera décerné le 25 septembre 2023.
Crédits photo : Jury du Prix des Deux Magots, sous la présidence de Jean-Paul Caracalla, 1980 © Collection privée Les Deux Magots.
DOSSIER - Le prix des Deux Magots : 90 années à “défricher le talent”
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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